Il allait fêter ses 101 ans. Engagé dans les FTP et déporté, Jean Villeret est allé à la rencontre des lycéens jusqu’à la fin de sa vie pour leur raconter la Résistance et la Déportation, expériences qui ont à jamais marqué sa vie. Entré chez GDF en 1951, il avait été bénévole puis salarié à la CCAS. Il est décédé lundi 20 novembre.
« Si c’était à refaire, je referais tout ce que j’ai fait », affirmait Jean Villeret, toujours espiègle et gouailleur lorsque nous l’avions rencontré, au printemps 2023, alors qu’il venait de fêter ses 100 ans et publiait ses Mémoires, intitulés « Un jour, nos voix se taieront ». Sa voix s’est tue lundi 20 novembre, à l’orée de ses 101 ans, qu’il allait fêter le 11 décembre prochain.
Itinéraire d’un réfractaire
Jeune tourneur-fraiseur, Jean Villeret vit les premières années de l’Occupation chez ses parents, ouvriers à Maison-Alfort. Sur des cahiers d’écolier, il note régulièrement l’évolution des opérations militaires, en commençant chaque fois par compter les « jours de lutte du peuple français pour sa libération » : une formule empruntée à l’émission « Les Français parlent aux Français », diffusée par la BBC, qu’il suit assidûment.
Début novembre 1942, il passe en zone Sud avec l’intention de rejoindre Londres, mais en est empêché par l’invasion allemande. Convoqué pour partir en Allemagne dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), il devient réfractaire.
À la fin de l’année 1943, il regagne Maisons-Alfort et s’engage dans les Francs-Tireurs et partisans (FTP). « C’était très difficile ! On n’intégrait pas un réseau de la France combattante comme on entre dans un bureau de poste », rappelait-il avec humour dans ses Mémoires.
Extrait d’une série d’entretiens réalisés au printemps 2023 avec Jean Villeret. ©CCAS
En camp de concentration au Struthof puis à Dachau
Le 31 janvier 1944, il est arrêté par la police française en possession d’un pistolet et de faux papiers, interné à Fresnes puis remis aux Allemands. Le 7 juillet, il est déporté Nacht und Nebel au camp de Natzweiler-Struthof, dans le Bas-Rhin, alors annexé au Reich, puis transféré à Dachau le 6 septembre 1944, où il est affecté au travail dans une usine qui fabrique des moteurs d’avion pour BMW. Atteint du typhus, il échappe de peu à la mort. Il rentre en France après la libération du camp par l’armée américaine le 26 mai 1945.
Il revient alors à Maisons-Alfort, se marie en 1947, reprend son métier de tourneur-fraiseur dans plusieurs entreprises et se syndique à la CGT. « J’envoyais balader un contremaître pour un oui ou pour un non. C’était sûrement lié aux séquelles psychologiques de ma déportation, mais je ne l’ai analysé que plus tard », raconte-t-il dans ses Mémoires.
Extrait d’une série d’entretiens réalisés au printemps 2023 avec Jean Villeret. ©CCAS
D’EDF-GDF aux Activités Sociales
En 1951, il entre à GDF comme releveur de compteurs, et s’investit dans les œuvres sociales d’EDF-GDF. Ce passionné de football, sport qu’il pratiquera jusqu’à plus de 60 ans, avant de se mettre au golf et ce, presque jusque à la fin de ses jours, est moniteur de colo, puis économe dans plusieurs centres de vacances en qualité de salarié détaché.
Celui qui disait « préf[érer] [s]a jeunesse à celle que vivent les jeunes d’aujourd’hui » aimait travailler au contact des jeunes. Il restera bénévole de la CCAS jusqu’en 1992, après avoir pris sa retraite d’inspecteur commercial chez GDF en 1980.
« J’avais toujours à l’esprit ce que les enfants avaient subi durant la guerre. »
Il disait éprouver « une grande satisfaction, et un grand bonheur » à encadrer les enfants de la guerre. « J’avais toujours à l’esprit ce qu’ils avaient subi durant la guerre. Je n’oubliais jamais ces milliers d’enfants déportés et tués. Cela m’était insupportable. Moi qui ai eu une jeunesse heureuse, formidable, je voulais leur rendre la vie plus douce. C’était normal de gâter un peu ces mômes ».
Facsimile d’un cahier réalisé par Jean Villeret, alors animateur en colonies de vacances, intitulé « Le refuge de Fabian n°4, journal de bord d’un séjour jeunes dans les années 1950 ». ©Jean Villeret, archives personnelles
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Très engagé parmi les anciens déportés
C’est aussi par l’intermédiaire de son travail qu’il s’implique dans le mouvement des anciens déportés en adhérant en 1973 au Comité de liaison des anciens déportés-résistants d’EDF-GDF, dont il deviendra président. À partir de la fin des années 1990, il intervient régulièrement dans les écoles, collèges et lycées pour évoquer la Résistance et la Déportation et participe aux cérémonies mémorielles revêtu de son « rayé », comme il l’appelait.
Il adhère à la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP), dont il deviendra coprésident en 2017, et aux Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation. Jean Villeret avait été élevé en 2019 au grade de commandeur de la Légion d’honneur.
Mais la distinction dont il était le plus fier, et qui trônait dans le petit salon de sa maison d’Alfortville, était les Palmes académiques, remises à celui qui avait quitté l’école en 1936 avec le certificat d’études (mention Bien) en hommage à son rôle d’infatigable témoin dans les établissements scolaires.
À lire
« Un jour, nos voix se tairont », de Jean Villeret, entretiens avec Julien Le Gros, éditions Alisio, 2023, 18 euros.
Rédigé sous forme d’entretiens avec le journaliste Julien Le Gros, « Un jour, nos voix se tairont » est organisé en trois parties, intitulées « Une jeunesse en Résistance », « L’enfer de Dante » puis « Transmettre ».
Le livre comprend aussi des témoignages d’élèves des classes où Jean Villeret est intervenu ainsi que des évocations de sa forte personnalité par celles et ceux qui l’ont côtoyé.
Sur chaque livre vendu, 1 euro est reversé à l’Amicale des déportés de Natzweiler-Struthof.
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