Co-auteur et metteur en scène de la pièce « Ping-pong (de la vocation) », jouée au village vacances d’Anglet le 23 octobre dernier quelques heures avant l’instauration du couvre-feu, Nicolas Kerszenbaum nous livre son ressenti sur ce moment partagé avec les spectateurs. L’occasion aussi de revenir sur son parcours, son travail et la place de la culture dans nos vies.
La pièce en bref
Thomas et Cléo sont frère et sœur. 2004 : Thomas gagne le tournoi de ping-pong de Gif, Cléo est admirative. Ils lancent les dés. 2011 : Cléo triomphe dans son nouveau métier, Thomas galère. Ils relancent les dés. 2017 : Thomas rebondit, Cléo échoue. Ils relancent les dés…
Le spectacle s’est-il bien déroulé ? Avez-vous senti le public réceptif ?
Nicolas Kerszenbaum – Franchement, on ne pouvait pas espérer mieux. On avait le cocktail gagnant : d’un côté, des comédiens dans un bon soir, assurant une prestation de qualité ; de l’autre, le public idéal, intergénérationnel, accueillant, à l’écoute, et qui réagissait bien.
Et puis, ironie du sort, l’histoire de la pièce entrait en résonance avec le profil des spectateurs : on y parle d’électricien, du Bafa et des animateurs, et on jouait devant des jeunes en formation Bafa, des animateurs et des électriciens !
On a vraiment senti que le public était content d’être là, ce qui a sans doute galvanisé les comédiens. Après le spectacle, ça a été un bonheur de pouvoir échanger avec des gens curieux et réfléchis. Un véritable moment de stimulation collective, si précieux en cette période troublée par la crise sanitaire.
L’une des tendances majeures du théâtre contemporain consiste à briser la frontière entre public et acteurs. Était-ce votre objectif en adoptant une mise en scène en bi-frontal ?
Nicolas Kerszenbaum – Oui. Installés comme dans la tribune d’un match de ping-pong, les spectateurs se trouvent dans une posture active, celle de témoins d’un match qui oppose un frère à sa sœur. Ce type de mise en scène permet une synergie entre les acteurs et le public, qui monte crescendo, comme dans une centrifugeuse, au fur et à mesure de la représentation.
Nous avons volontairement fait le choix d’une mise en scène minimaliste : pas de jeu de lumière, presque pas de décor, très peu de son, très peu de costumes. La réussite de la pièce repose principalement sur l’idée que l’énergie des acteurs doit rebondir avec celle des spectateurs. Sans ça, la pièce ne peut pas marcher.
J’aimais être accompagné par les gens de théâtre : ils m’ont fait comprendre que l’existence n’était pas qu’une injonction à « faire du profit ».
Cette pièce a pour principal sujet la recherche de sa vocation. À travers ses personnages, on comprend que les cheminements de vie ne sont jamais linéaires. Le vôtre est d’ailleurs un exemple : vous avez commencé par des études d’économie pour finir dans le monde du théâtre. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Nicolas Kerszenbaum – Je peux vous l’assurer : ma vocation, quand j’étais étudiant, j’étais loin de l’avoir trouvée. J’avais bossé d’arrache-pied pour intégrer une grande école de commerce et je me suis retrouvé à l’Essec, l’une des meilleures. Mais j’ai rapidement compris que ça ne me correspondait absolument pas. Pire : ça me rendait malheureux.
En même temps, je ne voulais pas m’apitoyer, par peur de passer pour le petit gosse pourri-gâté qui a la chance d’avoir une place très convoitée au sein d’une grande école et qui ne profite pas de cette opportunité qui lui a été donnée. Il s’avérait qu’en parallèle je faisais du théâtre et que j’aimais vraiment ça. Mais il ne m’était jamais venu à l’idée que je pourrais en faire mon métier. Je n’avais pas de modèle de réussite en la matière dans mon entourage.
J’ai quand même pris l’initiative de m’inscrire à la fac en études théâtrales. Et là, ça a été une révélation : j’ai découvert des gens simples, qui ne parlaient pas uniquement de business. Ça m’a fait un bien fou ! On ne peut pas dire que le théâtre était une vocation au sens caricatural du terme. Il n’y a pas eu d’appel divin, je n’ai pas vu la lumière en me disant que c’était ma raison de vivre.
En revanche, j’ai rapidement perçu que je me sentais à mon aise dans cet univers. J’aimais être accompagné par ces gens de théâtre : ils m’ont fait comprendre que l’existence n’était pas qu’une injonction à « faire du profit », mais qu’elle pouvait être porteuse d’une certaine poésie.
Ces clés de l’émancipation, qui vous ont en partie été données par les personnes que vous avez rencontrées, souhaitez-vous les transmettre à votre tour, notamment par le biais de vos pièces ?
Nicolas Kerszenbaum – Il m’est difficile de répondre à cette question, car pour moi, la notion d’émancipation est floue. Et quand bien même on arriverait à en établir une définition, cela ne pourrait que figer cette notion.
Et puis, c’est compliqué ; il ne suffit pas de dire aux gens : « Allez, émancipez-vous ! ». Tout simplement parce qu’ils subissent des rapports de forces difficiles à combattre et, en premier lieu, complexes à comprendre et à intérioriser. Car beaucoup d’entre nous les subissent sans s’en rendre compte.
Selon moi, monter un spectacle, c’est avant tout vouloir raconter une histoire. Après, bien entendu, tant mieux si celle-ci pousse les gens à conforter leur état d’esprit ou à en changer, à se questionner. Et on fait tout pour cela. Mais ça s’arrête là : le théâtre de propagande, moi, je n’y crois pas.
Invisibiliser les gens, c’est les faire disparaître. Alors, avec mes moyens et mon outil de travail, j’ai essayé de mettre en avant la classe laborieuse.
Si les planches ne sont pas un terrain de propagande, le théâtre, lorsqu’il entre en résonance avec son époque, s’approprie quand même des faits de société : vous avez réhabilité la notion de lutte des classes dans « Swann s’inclina poliment », adaptation de l’œuvre de Marcel Proust. Qu’est-ce qui vous a poussé à traiter ce thème ?
Nicolas Kerszenbaum – Il était important pour moi de parler de la lutte des classes. J’ai écrit ma pièce avant le mouvement des gilets jaunes, mouvement qui a d’ailleurs rappelé que cette notion n’était pas tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Si on ne parlait plus de classes sociales dans les médias et la société en général, ce n’est pas parce qu’elles n’existaient plus, mais parce que la classe dominante avait volontairement rendu les autres invisibles.
Sauf qu’à mon sens, invisibiliser les gens, c’est les faire disparaître. Alors, avec mes moyens et mon outil de travail, j’ai essayé de mettre en avant la classe laborieuse. De manière générale, dans tous mes travaux, j’ai été amené à parler de rapports de forces, quels qu’ils soient. D’ailleurs c’est presque inévitable car, qu’on le veuille ou non, ils régissent tout, que ce soit dans nos relations amoureuses, amicales ou familiales.
Certains essaient de rééquilibrer ces rapports de forces. Cette nécessité est d’ailleurs le fer de lance de la CCAS. En tant qu’artiste, que pensez-vous des Activités Sociales dans leur implication pour la promotion de l’éducation populaire ?
Nicolas Kerszenbaum – C’est un luxe aujourd’hui d’avoir des gens qui se battent pour montrer des spectacles, mettre en avant des artistes, qui y mettent des moyens et informent à ce sujet. Et le tout en ayant conscience qu’il ne s’agit pas seulement de divertissement, que la culture est un besoin élémentaire et indispensable, au même titre que la nourriture, la respiration, le travail et le logement.
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