Française d’origine malgache, Aurélie Champagne livre avec « Zébu Boy » un premier roman d’aventures. Ce « road movie » relate les tribulations d’Ambila, soldat des colonies qui, revenu au pays natal après avoir combattu pour libérer la France du joug nazi, va être pris dans les affres de l’insurrection indépendantiste malgache de 1947.
« Zébu Boy », roman d’Aurélie Champagne, éd. Monsieur Toussaint Louverture, 2019, 256 p.
Un livre à retrouver dans les bibliothèques des villages vacances CCAS.
Madagascar, mars 1947. L’insurrection gronde. Ambila, dit Zébu Boy, du nom de ces jeunes pratiquants de la savika, s’est engagé pour la Très Grande France, s’est battu pour elle et a survécu. Héros rentré défait et sans solde, il a tout perdu et dû ravaler ses rêves de citoyenneté. Guerrier sans patrie et sans uniforme, sans godasses et sans mère, il erre comme arraché à la vie et se retrouve emporté dans les combats et dans son passé.
Une auteure en tournée : « Je suis très emballée, et fière que « Zébu Boy » ait été choisi pour les bibliothèques de la CCAS, dont on m’a vanté la qualité des ouvrages. Ce n’est pas forcément un récit pour une lecture de vacances, cependant c’est une occasion pour ce roman de faire son chemin ailleurs que dans les cercles littéraires parisiens. C’est un livre écrit pour des gens qui me ressemblent ; un livre de plaisir. J’ai hâte d’en discuter avec les vacanciers. »
Votre roman se déroule en 1947, sur fond d’insurrection malgache. D’où vient ce choix ?
De l’insurrection, je n’en connaissais que les deux lignes inscrites dans mon livre d’histoire en classe. J’ai des origines malgaches inconnues et floues. À part un nom de famille [Razafindrakoto, ndlr] et les plages de carte postale, je n’avais pas grand-chose à mettre derrière Madagascar. À vingt ans, j’ai décidé de découvrir l’île. J’y suis finalement restée six mois.
C’était l’anniversaire de l’insurrection. J’ai constaté avec étonnement que le souvenir en était encore très vivace. En rentrant à Paris, j’ai commencé par écrire une nouvelle qui a été publiée, puis un premier récit. Durant plusieurs années, j’ai retravaillé le roman, trop historique à mon goût. En 2016, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé l’histoire que je voulais écrire.
Qu’est-ce qui anime Ambila, le personnage principal de votre roman ?
Mon roman est avant tout le portrait d’un survivant. Survivant à la guerre, à la mort, aux deuils, aux drames de la vie… La mort est une compagne permanente pour lui. Cet homme qui a peu d’égards pour la vie humaine se réalise dans l’adversité. Il est néanmoins déterminé à survivre quoi qu’il arrive. Ce soldat qui rentre de la guerre sans les honneurs est en quête de reconnaissance et de dignité. Reconnaissance qu’il obtient par le combat.
La mort et la magie, intimement liées, semblent fortement influencer vos personnages…
En 1947, le culte de la magie est partout. Les croyances occultes ont participé à la remontée des valeurs patriotiques indépendantistes malgaches. La pseudo-invincibilité des combattants passait par la transparence obtenue grâce aux amulettes. Un dicton malgache dit que « les morts ont juste changé de peau ».
La mort précoce de sa mère est un acte fondateur pour Ambila. Ce chagrin absolu, qui le hante, développe chez lui un rapport intime à la mort. Sa survie à la guerre est comme une révélation qui l’ouvre aux croyances, à ce qu’on appelle là-bas « l’invisible », la magie. Entre duperie et duplicité, il se sent finalement investi d’un pouvoir.
Pourquoi avoir préféré un personnage ambigu, qui participe à l’insurrection par intérêt, pour relater cet évènement historique ?
Il me semble beaucoup plus intéressant de construire un personnage qui acquiert son étoffe de héros au fur et à mesure. Les héros sont souvent le produit de l’Histoire. Ce genre d’hommes va au combat sans idéologie ni convictions précises. Ce type, pragmatique, sans foi ni loi, familier de la violence, est taillé pour combattre. Ambila tranche avec l’image, la vision que l’on se fait du combattant ; c’est un paradoxe intéressant. Il est un héros malgré lui.
Vous évoquez longuement le sort des soldats coloniaux durant la Seconde Guerre mondiale. Ont-ils joué un rôle dans le soulèvement de 1947 ?
Plusieurs foyers insurrectionnels couvaient dans le monde à ce moment-là : en Inde, au Vietnam… Madagascar s’inscrit dans cette lignée-là. Hô Chi Minh [figure de l’anticolonialisme en Indochine, ndlr] était l’exemple à suivre : il suffisait de prendre les armes et de tenir quelques jours afin que l’indépendance soit reconnue, pensaient les insurgés.
L’armée française a rapidement maté la rébellion malgache dans un bain de sang. Le retour au pays des soldats coloniaux a effectivement nourri le mouvement indépendantiste. Ils sont rentrés dotés d’un savoir-faire militaire utile à l’insurrection, mais sans les honneurs, ni la moindre gratitude de la patrie pour ses combattants. Ils espéraient un statut que la France leur a refusé.
Quels liens entretenez-vous aujourd’hui avec Madagascar ?
Aucun, à part un rapport livresque que j’ai construit moi-même. J’ai un quart de sang malgache, mais aucune famille là-bas. Néanmoins, c’était comme si je vivais avec la nostalgie d’un pays inconnu qui ne me lâchait pas. J’ai sans doute écrit ce livre pour combler un manque, une béance. Pour conjurer le mal d’un pays dont j’ai hérité par procuration.
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