Partage de savoir-faire et de services, heures de bénévolat, covoiturage et logement : un rapport commandé par l’Iforep, l’institut de recherches des Activités Sociales, parie sur le web collaboratif pour recréer du lien social entre les bénéficiaires.
Facebook, BlaBlaCar, Wikipédia, Airbnb… Les avatars du web social ou collaboratif concernent aujourd’hui aussi bien le partage de connaissances que l’achat de services, la construction d’un savoir commun que le logement et le transport. Pour légitimes qu’elles soient, les inquiétudes soulevées par cette mise en relation algorithmique des individus (précarisation du travail, déshumanisation, dictature de l’opinion, sécurité des données personnelles) s’accompagnent d’une méfiance presque instinctive vis-à-vis des outils numériques.
Et si, à rebours de cette posture défensive, on s’en emparait pour poursuivre toujours la même ambition d’émancipation et de solidarité ? Ainsi raisonnent en ce moment même les Activités Sociales, à l’appui d’un rapport de l’Association science technologie société (ASTS) présenté par l’Iforep lors de son assemblée générale le 8 octobre dernier : « Numérique, démocratie et lien social ».
« Le numérique n’est que le support d’un rapport social. Et c’est le projet politique que nous portons qui donnera du sens à notre usage du numérique. »
Edward Lépine, agent Enedis et président de l’Iforep
Ce faisant, les Activités Sociales s’inscriraient dans une histoire longue d’Internet, conçu comme un espace collaboratif, libre et gratuit, et dans sa mission de créer du lien entre tous ses bénéficiaires.
Parmi les projets envisagés, des plateformes de mise en relation des bénéficiaires qui permettraient au niveau national, et à toute heure, d’échanger en ligne et de s’auto-organiser. Sont évoqués trois projets : une plateforme des engagements, où chaque bénévole potentiel serait mis en relation avec des besoins ponctuels ou pérennes d’aide et d’accompagnement. Une plateforme collaborative, où les bénéficiaires pourraient échanger leurs savoir-faire, leurs compétences et leurs services (petits travaux, garde d’enfants, tutoriels en ligne, propositions d’ateliers). Et enfin des forums d’entraide (bourse au logement pour les étudiants, covoiturage…).
Un prolongement numérique du Par et du Pour, en somme, et des « tiers lieux digitaux » dans lesquels le maître mot serait l’auto-organisation.
« Ces plateformes relanceraient la solidarité entre agents »
Virginie Doyen, 38 ans, conseillère expert EDF, CMCAS Seine-Saint-Denis« La solidarité entre agents a toujours été l’une des bases de nos entreprises. Et je trouve qu’aujourd’hui elle se perd un peu… De telles plateformes permettraient de relancer cette dynamique et de rencontrer d’autres agents. Cela existait en interne avant la séparation des entreprises en 2007. J’avais d’ailleurs loué mon premier appartement à un agent EDF par ce biais. Je pourrais aussi être intéressée par le covoiturage ou la vente et l’échange de bons procédés. »
Économie sociale et solidaire numérisée
Aujourd’hui, de fait, vous vous organisez déjà sur les réseaux, à la périphérie des institutions, dans des communautés alternatives à leurs canaux traditionnels. De blogs en forums et en groupes Facebook, rassemblant de quelques dizaines à plus de 15 000 membres, ces communautés virtuelles relient de parfaits inconnus, mais qui partagent déjà quelque chose : travail ou entreprise (« Techniciens des IEG »), lieux de vacances (« Nos centres de vacances CCAS »), colos et Bafa (« Colos CCAS »), passions ou histoire communes (écoles de métiers, collections…).
Ces communautés d’intérêt accompagnent d’ailleurs une tendance sociale, accélérée par le numérique, à multiplier les « liens faibles », décrits en 1973 par le sociologue Mark Granovetter : s’ils s’opposent aux « liens forts » noués avec ses proches, ces cercles d’ »amis » sans l’être n’en tissent pas moins une vie sociale augmentée, mobilisable très rapidement. Pour l’instant resserrés autour d’activités fortement liées à l’identité des entreprises et des organismes (travail, vacances, colos), ces échanges pourraient-ils s’étendre à d’autres secteurs de la vie dans la cité ?
« Nos équipes sont plus sympas que des écrans »
Sarah Neffati-Baudard, 34 ans, assistante de programmation travaux à Enedis, CMCAS Val-d’Oise« Le lien humain est important. Pour des sujets comme l’engagement associatif ou une aide quelconque, je préfère rencontrer des gens. Tous les efforts ne doivent pas être centrés sur le numérique. Nous devons conserver nos équipes qui sont plus sympas que des écrans. Pour nos Activités Sociales, je tiens quand même à une permanence physique. »
Réinventer le lien social
Certaines plateformes animées par les entreprises permettent déjà ces services entre agents, de même que certaines entreprises proposent aujourd’hui des services de conciergerie (réception de colis, services à la personne, petits travaux…). Mais quid des enfants d’agents, de leur conjoint, et des retraités des Industries ? Avec ces projets numériques, c’est bien la communauté mouvante et diffractée qu’il est coutume d’appeler, parfois peut-être par habitude, « les bénéficiaires », qu’il est urgent de réinventer, car elle n’est pas donnée mais toujours à construire. Le débat est ouvert, et ne demande qu’à être nourri !
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