Désormais, des patients intègrent des formations universitaires aux côtés des soignants. Des cursus en recherche de professionnalisation (pour les patients), mais qui permettraient notamment de rationaliser les soins.
Dans les salles de l’Université des patients Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI), il arrive que soignants et patients experts (ancien malade ou porteur d’une maladie chronique) assistent aux mêmes cours. Ils suivent le diplôme universitaire (DU) Éducation thérapeutique du patient, un cursus annuel de 120 heures, ou l’un des trois autres diplômes accessibles aux patients. À l’origine de ces dispositifs, un constat du professeur Catherine Tourette- Turgis : « Lorsque les malades se mêlent de ce qui leur arrive, beaucoup de problèmes sont résolus. » Un constat qu’elle fait auprès des patients atteints du VIH dès les années 1980. « À l’époque, personne ne connaissait la maladie. Les malades ont trouvé des solutions. Ils ont identifié les effets secondaires des traitements et les ont fait remonter pour faire évoluer les médicaments. Ils ont documenté l’observance thérapeutique. »
Selon elle, il faut donner au malade les outils pour résoudre les problèmes causés par la maladie. Notamment parce que sans s’en rendre compte, la société est organisée pour des gens valides. « Le monde du travail, par exemple, impose d’être là en continu (ou en arrêt). Rien n’est prévu pour les 17 millions de malades chroniques. Il faudrait plus de souplesse. Pour les 7 millions de diabétiques qui doivent marcher et bouger, rien n’est prévu dans l’organisation du travail. Pour ceux qui souffrent du dos et qui doivent rester assis sur une chaise pendant 8 heures, non plus… »
« Une nouvelle médecine en construction »
En 2016-2017, Isabelle Caudan a suivi le DU Formation à la mission d’accompagnant de parcours du patient en cancérologie. Lorsqu’elle a combattu sa maladie, la jeune femme se souvient à quel point « pouvoir en parler » lui a manqué. Elle s’est « sentie très seule face à cette épreuve cataclysmique ». Elle s’enthousiasme aujourd’hui de cette « nouvelle médecine en construction », que ces formations universitaires d’un nouveau genre contribueront à « professionnaliser » en attendant que le métier existe dans la nomenclature hospitalière. « Notre rôle est notamment d’induire une meilleure observance des traitements – qui sont souvent contraignants –, mais qui offrent de meilleures chances de survie. Notre place : être au plus près des patients en leur montrant que l’on peut s’en sortir. » Et pour ce faire, son atout majeur reste « le temps ». Celui qui manque encore parfois dans la relation patient-médecin.
Le concept a fait des émules. La faculté de médecine d’Aix-Marseille en 2012, l’université de Grenoble en 2014 et plus récemment des universités canadienne, italienne et brésilienne ont élaboré leur propre cursus. « On est en plein bouleversement culturel », analyse Raymond Merle, cofondateur de l’Université des patients de Grenoble, où se construit actuellement un DU de patients experts en santé mentale. Selon lui, « vouloir que les patients entrent dans cette sphère demande une volonté politique. Les techniques médicales évoluent en permanence, quoi de plus normal que la prise en charge suive ce mouvement de changement de paradigme par la collaboration ».
Savoir expérientiel
Depuis un an, la faculté Paris-Sud accueille elle aussi des patients dans un DU Addictologie en e-learning. Ceux-ci sont « recrutés » par les associations de patients. « À côté du savoir scientifique, il y a un savoir expérientiel, les patients l’ont. Les pathologies addictives sont chroniques, à risque de rechute et de complications graves. Une grande part du traitement comporte un axe psychothérapeutique au long duquel l’accompagnement de l’individu demeure essentiel. Les patients experts s’y emploient avec beaucoup d’empathie et de chaleur », souligne le professeur Michel Reynaud.
Ce psychiatre addictologue travaille depuis longtemps avec des associations de patients, dont certaines existent depuis une centaine d’années. Les Alcooliques anonymes, par exemple, ont été créés en 1935 aux États-Unis. « Cette année, les patients experts représentaient un quart des étudiants du DU. Pour l’anecdote, l’an dernier, la meilleure note a été obtenue par… une patiente. »
Dommage que pour l’heure, faute de texte, leur embauche dans les structures hospitalières ne soit pas possible. Alors que beaucoup d’entre eux y interviennent déjà comme bénévoles. « On sent bien que l’une des évolutions du système de santé sera de plus en plus tournée vers l’accompagnement des patients chroniques dans le parcours de soin. Les patients experts ont toute leur place dans cette évolution. »
Pour en savoir plus :
Addict’Aide: www.addictaide.fr
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