Jouets de Noël : attention, sexisme !

Des jouets non sexistes pour noël ©C.Besse/CCAS

©C.Besse/CCAS

À l’approche de Noël, les marchands de jouets sortent la grosse artillerie pour allécher les bambins. Mais le monde des jouets n’est pas mixte. Et ce, bien souvent au détriment des filles, confinées au ménage, au pouponnage et à l’esthétique…

Rose pour les filles, bleu pour les garçons ! De la planche à repasser au superhéros, en passant par les coffrets de maquillage et de petit (mais pas petite) chimiste, le merveilleux monde des jouets se mue en festival de clichés sexistes. Dans les allées des magasins, les publicités ou les catalogues, le déferlement de signaux stéréotypés à l’approche de Noël confine chaque année au constat rétrograde : « maman fait le ménage et papa bricole. »

Stars de la fin d’année, les catalogues de jouets figurent en bonne place de ce top, au point d’être un cas d’école étudié en classe de terminale économique et sociale au chapitre de la construction sociale des rôles associés au sexe. Car pour les constructeurs et les distributeurs, les enfants ne sont pas égaux devant les jouets : il y a ceux « pour filles » et ceux « pour garçons ». Garçons et filles reçoivent donc des jouets selon leur « genre », terme par lequel on désigne les rôles sociaux attribués à chaque sexe.

La bible du Père Noël est ainsi composée à près de 70% de marketing distinguant filles et garçons, selon une étude du cabinet Trezego, spécialisé dans les questions d’égalité femmes-hommes et figurant dans un rapport du Sénat publié en 2014, « Jouets : la première initiation à l’égalité« . Dans des pages séparées et identifiées par un code couleur, voire une mention explicite (« Le monde des filles », « Le territoire des garçons »), les enfants posent avec leurs jouets supposés préférés, les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Aujourd’hui omniprésente dans la majorité des grandes enseignes, cette ségrégation repose sur des argumentaires de vente se concentrant moins sur les aspects techniques du jouet que sur les mises en scène ludiques impliquant les enfants, et livrant des discours impliquant le lecteur. Résultat : les moues et les poses les plus stéréotypées côtoient les messages explicites les plus sexistes.

Princesses gracieuses ou « petites mamans », les filles devraient-elles laisser les drones et les sabres lasers aux garçons ? Source : catalogue Toys »R »Us, Noël 2016 (capture d’écran)

Diviser pour mieux vendre

Les stratégies commerciales convergent toutes vers un but : produire un message immédiatement lisible pour le consommateur. Or le genre fait vendre, et même doublement : érigée en norme marketing, la segmentation du marché permet de vendre deux fois le même jouet, en rose et en bleu. C’est aussi une version enfantine de la fameuse « taxe rose », qui fait payer plus cher les produits ciblant spécifiquement les femmes.

« Les industriels ont deux cibles, les filles et les garçons, expliquait Franck Mathais, porte-parole de la Fédération des commerçants spécialistes des jouets et produits de l’enfant (FCJPE), lors de son audition au Sénat en 2014 auprès de la délégation aux droits des femmes. Ils peuvent choisir de créer un produit transversal, ou décider d’augmenter leur potentiel de ventes, en ciblant l’une et l’autre des populations. » Cette ségrégation confine parfois à l’absurde : ainsi cette version « girly » du Monopoly, jeu de société qu’on ignorait être réservé aux garçons…

Pouponner et se pomponner

Dans l’univers des jouets comme ailleurs, la division genrée se fait rarement au bénéfice des filles. Toutes en paillettes, glamour et tendresse, les filles excellent ainsi dans « le maternage, le ménage, le travail de [leur] apparence physique ainsi que l’apprentissage de relations sociales (entre copines), dans le cadre de jeux qui autorisent l’expression de sentiments », constate le cabinet Trezego. « À l’aventure » ou « à toute allure », les garçons manipulent quant à eux armes et technologies, s’ébattent en extérieur et chevauchent de nombreux véhicules, là où, note le rapport, « les filles n’ont le droit de conduire que si leur véhicule est rose… sinon, à elles le siège passager ! »

Passives et souriantes, les filles seront princesses, mariées ou fées, laissant les chevaliers et super-héros (mais aussi boxeurs, pompiers et samouraïs) à leurs homologues masculins. Poupées, maquillage, dessin… Accessibles dès 3 ans, les jeux de filles, note l’étude du cabinet Trezego, « ne proposent pas d’évolution de compétences par la suite (…) et sont donc figées très tôt pour les filles ». En revanche, pour les garçons, « il existe un apprentissage technique, les jouets sont d’une complexité croissante, avec des distinctions marquées selon les âges ». Ainsi, conclut le rapport du Sénat :

« la segmentation marketing des jouets ne permet pas aux filles d’accéder à certains apprentissages : elle est donc porteuse d’inégalités »

Loin d’être innocents, les choix des fabricants et des distributeurs construisent ainsi des univers « spécial filles » et des « territoires de garçons », qui non seulement ne favorisent pas le « jouer ensemble », mais limitent l’expression des goûts et l’apprentissage de compétences. Autant de frontières matérielles et symboliques qu’il faudra aussi désormais courageusement braver… si l’enfant réclame un jouet « réservé » à l’autre genre.

Jouer au médecin, apprendre à bricoler : certains distributeurs parient sur la mixité et le partage des jouets. Source : catalogue Oxybul, Noël 2016.

Selon la sociologue Mona Zegaï, qui finalise une thèse sur la socialisation sexuée des enfants par les jouets :

« Les nombreux indices de genre fournis par les productions industrielles sont pris très au sérieux par les enfants puisqu’ils leur permettent de savoir si celles-ci leur sont destinées et s’ils peuvent les investir ou si elles sont « réservées » à l’autre sexe. »

Les jouets, et parmi eux les jeux d’imitation et d’imagination, suggèrent ainsi les désirs et les comportements appropriés ou non appropriés, et contribuent littéralement à incorporer la norme sexiste. Soumis aux gros sabots du marketing du jouet et aux attentes parentales, deux très puissantes influences, les enfants tendent à se conformer à ce qu’on attend d’eux. En proposant des jouets et des manières de jouer, les représentations des filles, des garçons et de leurs goûts supposés imposent aussi des manières d’être.

Et, plus grave, limitent les enfants dans l’expression de leurs capacités et l’apprentissage de certaines compétences. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’orientation scolaire et l’insertion professionnelle. De fait, il existe peu de vraies princesses, et encore moins de superhéros portant cape… mais les filles sont réellement sous-représentées dans les filières scientifiques, et les garçons, sous-investis dans la sphère domestique.

Lire aussi : Sexisme partout, justice nulle part

Sus aux jouets sexistes !

À qui la faute ? En première ligne, les parents ont un rôle compliqué. Parce qu’ils baignent eux-mêmes dans les représentations genrées et sexistes, ils tendent à reproduire des schémas sociaux auxquels ils sont eux-mêmes soumis. Au point que les parents laissant leur garçon jouer à la poupée deviennent des stars du web… et que les filles mécontentes des jouets qui leur sont refusés font figure d’héroïnes.

Source ; https://twitter.com/karlou/status/536249741269823488/photo/1

« Cadeaux rigolos pour les garçons » dit la boite d’un radio-réveil à l’effigie de ses super-héros préférés. A 7 ans, la fillette fâchée pose pour sa mère et fait le tour du réseau social Twitter. Forçant le supermarché anglais Tesco à présenter ses excuses. Source : Twitter, 22 nov. 2014

« Mais les petites filles adorent les princesses ! Et les garçons ont plus besoin de se dépenser… » peut-on entendre, souvent parmi les parents. L’industrie ne ferait-elle qu’accompagner une différenciation naturelle des goûts des filles et des garçons ? En 2012, le même Franck Mathais, auditionné par le Sénat, se retranchait derrière la lente évolution de la société. Alors directeur des ventes et des relations clients à La Grande Récré, il confiait au Figaro.fr : « On ne peut pas dire aux garçons de “jouer à la maman”, ce n’est pas logique. Il faudrait les faire “jouer au papa”. Mais ça veut dire quoi ? Ça reste très flou et très nouveau. Pouponner son enfant reste encore une tâche majoritairement féminine. »

Ci-dessus, 2 affiches en vis-à-vis : un bon père vs papa poule

Campagne « Marre du rose » des Chiennes de garde et Osez le féminisme ; campagne « Jouer l’égalité » de l’association Jeu pour tous

D’autres enseignes sont heureusement plus actives, proposant des catalogues débarrassés de leurs atours genrés. Les possibilités sont nombreuses : classement par tranche d’âge, par thème, par univers… Ainsi Oxybul ou Super U vendent des jeux mixtes ou neutres du point de vue du genre, montrent une image active et entreprenante des filles (scientifiques ou sportives), ou moins « virile » des garçons (ils cuisinent ou pouponnent)… Et si le genre n’était pas une catégorisation aussi fondamentale qu’on veut le croire ?

La CCAS intègre déjà depuis plusieurs années à ses bibliothèques de nombreux ouvrages de littérature jeunesse éduquant à l’égalité ou mettant en scène des héroïnes. Le groupe de suivi égalité femmes-hommes des Activités Sociales travaille en ce moment même sur un répertoire de ressources (catalogues, fournisseurs) pour que, dans les CMCAS, les choix de jouets pour les arbres de Noël soient faits en conscience de ces enjeux. C’est le cas de la CMCAS Toulouse, dont Noémie Bickel, en charge avec Valérie Leprince du groupe de suivi, est également administratrice. La jeune élue raconte les réticences :

« Mécontents de trouver des jouets non sexistes au pied du sapin, certains bénéficiaires pouvaient nous reprocher de « mettre de la politique partout ». C’est oublier que la lutte contre le sexisme fait partie de nos valeurs, et que les conséquences des jouets sexistes sur les inégalités femmes-hommes sont très préoccupantes. »

« Théorie du genre ! » s’exclameront certains, agitant le spectre de la négation des différences. Les filles ne pourront-elles plus jouer à la poupée, les garçons seront-ils forcés de porter du rose, avec interdiction de jouer au foot ? Essayons plutôt ainsi : si chaque enfant avait la possibilité de déterminer ses goûts, et pourquoi pas d’en changer, sans honte ni sanction ? Si les valeurs d’humanisme, d’entraide, de confiance en soi étaient les plus belles choses à transmettre aux enfants, quel que soit leur sexe ? Alors, pour Noël, et toute l’année : n’offrez pas de stéréotypes aux enfants !

Jeune fille tenant des jouets pour la Noël. Source : BNF ©[photographie de presse]/Planet

Jeune fille tenant des jouets pour la Noël. ©BNF [photographie de presse]/Planet

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3 Commentaires
  1. olivier 7 ans Il y a

    Quel est le rapport de cet article avec les activités sociales et culturelles des IEG? à part diffuser/favoriser des idées à la mode dans les milieux de gauche. La CCAS n’a pas vocation à éduquer politiquement (vers la, gauche et ses idées alakon/alamode) les agents des IEG qui sont assez grands pour faire leurs choix eux-même.

    • Auteur
      Tiffany Princep 7 ans Il y a

      Bonjour Olivier,

      Merci de votre commentaire.
      Comme précisé dans l’article, deux élues (Noémie Bickel pour la CCAS et Valérie Leprince pour le Comité de coordination des CMCAS) ont lancé cette année le chantier des jouets non sexistes. Cette démarche vise à proposer des alternatives concrètes aux CMCAS dans le choix des jouets des Arbres de Noël, loin des stéréotypes sexistes, vecteurs d’inégalités entre les filles et les garçons, et, plus tard, entre les femmes et les hommes. L’article de votre Journal intervient à cette occasion.
      Au-delà, la lutte contre le sexisme et la promotion de l’égalité filles-garçons, vecteurs parmi d’autres de l’émancipation individuelle et collective, ne nous semblent pas un parti pris idéologique politiquement marqué. Ils sont plutôt l’une des valeurs républicaines et humanistes partagée par les agents au travers de leurs Activités Sociales, et en adéquation avec les orientations politiques votées par les organismes des Activités Sociales de l’énergie.

      Espérant que vous trouverez dans ma réponse des éléments à vos interrogations.

      Bonne journée, et meilleurs vœux.

  2. Lefrançois 7 ans Il y a

    Très bon article, par contre faites attention, dans les SLV il existe encore quelques faux pas.

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