La vertu émancipatrice de la lecture, Luc Lemaire, ancien du nucléaire désormais bénéficiaire de la CMCAS Pays de Savoie, l’a éprouvée. Tout au long de sa vie, les livres ont été des fenêtres sur le monde, et ils l’ont aidé à construire son destin.
Où qu’il aille, Luc Lemaire a toujours un livre dans la poche. Une habitude prise depuis le jour où il s’est retrouvé coincé au volant de son véhicule dans un embouteillage, sans avoir rien d’autre à lire qu’une pauvre notice de médicament ! Pour cet ancien responsable de gestion de projet à la centrale EDF de Flamanville (Manche), la lecture représente non seulement un excellent passe-temps mais un moyen d’apprendre continuellement et ce, depuis l’enfance.
De l’intégrisme à l’humanisme par les livres
Le regard droit, la chevelure et la barbe de neige, cet homme de 68 ans, maintenant installé à Chambéry, parle avec sérénité de sa trajectoire peu commune. Il a grandi dans le Sud-Ouest, au sein d’une famille enfermée dans l’intégrisme religieux. Ses parents, qui vivaient avec leurs 12 enfants sur un salaire d’ouvrier, rejetaient l’école (remplacée par des cours par correspondance) et les livres non religieux. La vie était rythmée par la messe quotidienne obligatoire.
« Une bouffée d’oxygène dans un quotidien étouffant. »
Heureusement, le petit Luc a accès en cachette à des illustrés pour la jeunesse, qui vont ouvrir son horizon. À l’âge du collège, il commence à lire des textes de Voltaire et de Zola, qu’il déniche dans ses manuels scolaires. « C’était une bouffée d’oxygène dans un quotidien étouffant », résume-t-il. On comprend que le livre soit devenu pour lui un allié.
À 18 ans, devenu sous-officier dans l’armée, il dépense sa solde dans les voyages et les livres. Par hasard, il découvre les ouvrages du naturaliste et explorateur Théodore Monod, spécialiste du Sahara et militant de la non-violence, et, avec lui, une voix humaniste. C’est un choc pour le jeune homme, encore pétri de l’idéologie paternelle, royaliste et antisémite, mais qui commence à penser par lui-même.
« J’avais un complexe d’infériorité. Je lisais pour combler mes lacunes, un peu dans tous les sens. »
Le livre va être aussi un tremplin social pour Luc, entré à EDF comme simple employé. « J’avais un complexe d’infériorité, se rappelle l’autodidacte. Je lisais pour combler mes lacunes, un peu dans tous les sens. »
Ce ne sont pas seulement les livres qui ont sauvé Luc, mais aussi des personnes bienveillantes. « La rencontre la plus importante, c’est celle de Françoise ! », dit-il sans hésiter. Son épouse, bien sûr. Lorsqu’ils font connaissance en 1979, la jeune assistante sociale lui fait découvrir la banlieue populaire et les débats politiques. Ensuite, c’est elle qui va lui donner la possibilité de reprendre ses études en se chargeant de l’éducation de leurs deux fils. Sans diplôme mais avec la volonté de progresser, Luc va suivre des cours du soir.
Au bout de dix ans d’efforts et de lectures professionnelles parfois rébarbatives, il devient ingénieur en gestion du personnel.
Passeur auprès de ses collègues
Luc se souvient de ce qu’il doit au curé du village qui lui prêtait des livres sous le manteau dans sa jeunesse, tout comme au gradé attentif qui lui conseillait des ouvrages intéressants. Aussi, dans ses postes successifs à EDF, en Seine-et-Marne, dans le Loiret et enfin dans le Cotentin, Luc va vouloir transmettre à ses collègues le goût de s’élever par la lecture.
« Nous nous sommes battus pour que ceux du privé puissent eux aussi emprunter les livres. À un moment, nous avions 250 lecteurs sur 700 salariés ! »
À la centrale de Flamanville, l’agent, qui est bénévole à la médiathèque, sélectionne notamment des romans « qui tirent vers le haut » et des livres sur la sécurité au travail. « D’autres agents EDF et moi, nous nous sommes battus pour que ceux du privé puissent eux aussi emprunter les livres, souligne avec fierté le retraité. À un moment, nous avions 250 lecteurs sur 700 salariés ! »
Chercher – et trouver ! – des réponses à ses questions dans les bouquins, c’est toujours le réflexe de Luc. Qu’il s’agisse de régler une question juridique, d’apprendre à enrichir la terre de son jardin ou de venir en aide à un ami. « La théorie pure ne m’intéresse pas, confie cet homme curieux et pragmatique. Je lis pour m’orienter, pour réfléchir et mieux passer à l’action ensuite. »
Cela ne l’empêche pas d’apprécier la littérature en connaisseur, sans se limiter à un genre. Dernièrement, il a dévoré un thriller de Patricia Cornwell, « Dersou Ouzala », le récit autobiographique de l’aventure en Sibérie de Vladimir Arseniev, et « Les Enfants endormis », un roman d’Anthony Passeron sur la filiation. Ce dernier titre était conseillé par le club lecture de la CMCAS Pays de Savoie, dont Luc fait partie avec Françoise. Le roman fait écho à ses propres recherches généalogiques. Aujourd’hui, en effet, Luc Lemaire lit aussi pour comprendre l’histoire difficile de sa famille.
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