Inspiré d’un conte des frères Grimm, le premier long métrage de Sébastien Laudenbach casse les codes des grands studios d’animation. Une pépite aux accents cruels et oniriques, soutenue par la CCAS et remarquée dans la programmation Acid Cannes 2016.
Vous avez mis sept ans pour faire ce film. C’est long…
Il y a eu un premier projet, pour lequel il y a eu sept ans de développement. Puis il a été abandonné. Mais ces sept années ont nourri le long métrage : sans cela, je ne l’aurais pas fait du tout. Depuis, j’ai pensé régulièrement à cette histoire. Lorsque je me suis lancé dans cette nouvelle aventure, c’était de manière inconsciente, c’est-à-dire que j’ai commencé à faire ce film tout seul. Cela a créé une écriture particulière. Entre le premier dessin et la première projection, il y a eu de gros moments de doute. Très vite, un producteur est arrivé, puis des monteurs image et son. Enfin, un distributeur nous a dit : il faut que le film soit prêt pour Cannes. Tout cela nous a donné un cadre qui a fait que je suis arrivé au bout.
Dans le domaine du film animé, il est rare que l’on soit seul à porter un projet. Habituellement, c’est un studio qui emploie beaucoup de monde. Pourquoi s’être imposé cette aventure seul ?
Il y a eu un long cheminement. C’est d’abord une recherche personnelle et théorique sur des principes d’animation un peu différents. Ces principes, je les ai cristallisés dans un court métrage que j’ai fait en 2012, « XI. La Force ». Ce court métrage m’a permis d’expérimenter une écriture qui m’a fait aller assez vite. Cela m’a fait dire : « Tiens, peut-être qu’un long métrage tout seul est possible. Puisque j’en ai un en jachère, je vais le ressortir. »
« Ma trajectoire est similaire à celle de la jeune fille : comme elle, j’ai dû m’isoler pour exister complètement. »
Le film avait beaucoup d’avantages, j’avais beaucoup travaillé dessus, je le connaissais très bien. Il m’habitait complètement, c’était aussi l’adaptation d’un texte libre de droits. J’étais donc assez libre au début car je n’avais pas de producteur. J’espérais aller au bout, j’avais une espèce d’énergie énorme avec un sentiment curieux. J’ai eu 40 ans lorsque j’ai commencé ce film, je me suis dit : « Tiens, les choses commencent. » Ma trajectoire est similaire à celle de la jeune fille : comme elle, j’ai dû m’isoler pour exister complètement, être seul, j’étais dans une bulle, travaillant en musique. Je pense que c’est grâce à cela que le film a pu germer en moi. Comme dans le film, la jeune fille qui fait pousser son jardin.
C’est aussi un film en dehors de toutes les normes habituelles des films animés.
C’est sans doute mon film le plus personnel. Il est en dehors des clous narratifs, graphiques. J’ai l’impression qu’il utilise plein de possibilités que propose l’animation des courts métrages. Je me suis octroyé toutes les libertés. Personne ne m’attendait au début, donc je m’en fichais. Je pouvais échouer, ce qui n’est pas le cas avec un film qui coûte 10 millions d’euros ! Je comprends que les films à 10 millions ont un langage plus rassurant pour tout le monde. La pauvreté des moyens n’engendre pas la pauvreté du langage, c’est ce que me renvoie le public.
Le film est dur. Il y a du sang, de la violence… Nous sommes loin des studios Disney.
Le conte est dur et je n’ai pas voulu l’édulcorer. Je n’ai pas voulu faire un film spécifiquement adapté aux enfants. Il y a une certaine sauvagerie qui me semble nécessaire car nous sommes proches de ce que raconte ce conte. Et cela correspondait exactement à l’état dans lequel j’étais et dans lequel était la jeune fille. Laquelle devait réapprendre à fusionner avec la nature et avec sa nature première pour exister. Ce n’est pas un film pour les enfants, mais il reste accessible. Beaucoup d’enfants l’ont vu et cela provoque des tas de discussions. Ils sont obligés de se positionner car dans le film, tout n’est pas explicité, donné. Ils doivent également composer avec cette cruauté. En même temps, les images sont douces, c’est une espèce d’aquarelle, ce qui procure une sensation d’équilibre entre la cruauté de l’histoire et la douceur des images. Et puis le film se termine bien !
« La plupart des autres films d’animation sont des produits finis, rassurants, adaptés aux tranches d’âge, mais, en fait, le public s’en fout ! »
Pour les voix de vos personnages principaux, vous avez choisi deux comédiens qui se connaissent, Anaïs Demoustier pour la jeune fille et Jérémie Elkaïm pour le prince. Parce que ce sont des comédiens « bankables » ?
Oui, c’est pour avoir des tas et des tas d’entrées (rires) ! C’est surtout pour travailler avec des comédiens aguerris car je suis assez nul avec les comédiens ! Ensuite, avoir des noms rassure tout le monde et moi aussi, en fait. J’ai très vite pensé à Jérémie, même si je l’ai contacté assez tard. Il a une voix très juvénile mais qui peut se métamorphoser. Pour la jeune fille, c’était plus compliqué car elle était le personnage que j’incarnais depuis des années. J’avais très peur de me tromper sur la voix. J’ai mené un casting sur plusieurs voix que j’ai présentées à mon producteur et à ma femme. Ils ont été formels : « C’est elle : Anaïs Demoustier. » C’est quelque chose que je pressentais mais je voulais être rassuré. Elle a été tout de suite parfaite. Et je ne l’ai pas du tout dirigée.
Qu’est-ce que ce long cheminement vous a apporté ?
La première chose que j’ai apprise en terminant ce film, c’est qu’être libre coûte cher, mais c’est super ! Pour tout le monde. Les retours du public sont extraordinaires. Je me rends compte que la plupart des autres films d’animation sont des produits finis, rassurants, adaptés aux tranches d’âge mais, en fait, le public s’en fout ! Je fais confiance au public et il me le rend bien. Pour le mien, je n’ai rien balisé et j’ai laissé s’introduire une liberté de ton. L’intuition, c’est bien, et il faut savoir la suivre. Le film propose quelque chose de nouveau dans un monde où les exceptions comme Persepolis ou Valse avec Bachir sont regardées comme des ovnis. L’animation existe depuis très longtemps mais, en raison de son mode de fabrication, de l’industrie, elle a été cantonnée à un certain registre. J’espère qu’un film comme le mien va ouvrir les portes et qu’il y en aura plein d’autres qui suivront.
« La Jeune Fille sans mains », de Sébastien Laudenbach Long métrage d’animation, France, 2016, 1h16. Voir les courts métrages de Sébastien Laudenbach sur Vimeo Soutien CCAS – Acid Cannes 2016. Ce film fait partie de la programmation Acid du Festival international du film de Cannes 2016. Depuis 1993, la programmation cannoise de l’Acid est l’occasion de soutenir le cinéma indépendant devant des distributeurs, exploitants et programmateurs internationaux. Les films programmés à Cannes sont ensuite accompagnés par l’Acid et ses cinéastes dans les différentes étapes de la diffusion en salles. L’Acid est partenaire du festival Visions sociales de la CCAS. |