Au travail, dans les transports, à la maison, dans les festivals et les associations : le sexisme ordinaire se traduit par des mots, des gestes, et des comportements qui excluent, marginalisent ou infériorisent les femmes. Avec la complicité du dessinateur Babouse et de la dessinatrice Camille Besse, interrogeons quelques-uns des domaines où le sexisme fait norme… même lorsqu’il est hors-la-loi !
Plancher collant, plafond et parois de verre
« Les hommes ont plus souvent des professions bien payées, comme médecin, ingénieur ou PDG… alors que les femmes investissent des domaines moins bien payés, comme… femme médecin, femme ingénieur, femme PDG. » Cette plaisanterie illustre l’un des enjeux de l’égalité salariale, qui pose le principe d’un salaire égal à poste et niveaux d’étude égaux. Mais il existe aussi de nombreuses formes tacites de discrimination, désignées sous le nom bien connu de « plafond de verre » et sous celui, moins connu, de « parois de verre ». Le plafond de verre concerne la difficulté d’accès des femmes aux postes supérieurs de direction : discrimination verticale. On parle de « parois de verre » pour qualifier une discrimination plus horizontale : davantage de métiers fonctionnels et non opérationnels (ressources humaines ou communication), métiers dévalorisés car exclusivement féminins… Dernier phénomène sociologique : le « plancher collant » qui empêche les femmes d’être promues en début de carrière.
En réponse, le groupe d’action féministe La Barbe traque les collectifs « 100% testostéronés », de conseils d’administration en jurys prestigieux, de colloques au sénat en forums de start-up… Leur mot d’ordre : « partout où les hommes se croient en terrain conquis, des femmes à barbe surgiront, arborant les attributs du pouvoir… »
Et dans les Industries Electrique et Gazière ? La branche est signataire d’un accord sur l’égalité professionnelle, dont la dernière version remonte à 2011. Le dernier rapport de situation comparée remonte à 2013, et mesure un ensemble d’indicateurs réglementaires relatifs à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Tout y passe : situation relativement au statut des IEG, au temps partiel, aux différents contrats, filières et collèges, au niveau d’étude, au temps de travail, à l’avancement de carrière et à la formation… Autant d’axes d’analyse comparée, et de chantiers pour atteindre l’égalité réelle.
Tâches ménagères : double journée
« En 25 ans, moins de tâches domestiques pour les femmes, l’écart de situation avec les hommes se réduit » : le titre de la dernière étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), a de quoi réjouir les féministes. Les chiffres sont pourtant moins encourageants qu’il n’y paraît. En 2010, les femmes consacraient ainsi en moyenne 3h30 par jour aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes. C’est une demi-heure de moins qu’il y a dix ans pour les premières, et… une minute de plus pour les seconds ! Si l’écart se réduit, ce n’est donc pas parce que les hommes en font plus, mais parce que les femmes « en font moins ». En cause, notamment, le développement de l’électroménager, et l’externalisation des tâches ménagères. Ironie de l’histoire : ce sont aussi les femmes qui ont assumé cette externalisation, en occupant les postes créés dans ces nouveaux secteurs : ménage, aide à la personne, accueil des jeunes enfants, activités récréatives ou encore restauration… que l’on sait plus précaires et soumis au temps partiel. Enfin, l’inégalité du partage des tâches domestiques se creuse d’autant plus lorsque les ménages comptent des enfants.
Ces données concernent l’organisation domestique, mais aussi l’insertion professionnelle : elles impliquent des interruptions de carrière et raccourcissement les journées de travail avec, à la clé, des inégalités de salaire et la persistance d’un « plafond de verre ». Pourtant, la présence des femmes sur le marché du travail continue d’augmenter et se rapproche de celle des hommes. C’est le principe de la « double journée »…
Promotion canapé… ou pas
Délit reconnu par le Code pénal et le Code du travail depuis 1992, le harcèlement sexuel en entreprise consiste à imposer à autrui « de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle, qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ; à exercer des pressions graves afin « d’obtenir un acte de nature sexuelle » ; à prendre des sanctions en cas de refus du ou de la salarié-e. Depuis 2002, il n’est plus nécessaire qu’il soit le fait d’un supérieur hiérarchique. La « connotation sexuelle » des propos ou des actes peut consister en des gestes ou invitations déplacés, mais aussi affleurer dans un climat de travail sexualisé où les blagues à double sens font partie du quotidien.
Pour mémoire, en 2015 des dizaines de journalistes politiques dénonçaient le sexisme et le harcèlement quotidien des élus de la République, suivi-es par 500 élu-es et militant-es dénonçant le même climat. Des hommes publics dénoncés par des femmes publiques : l’affaire a fait grand bruit. Mais le harcèlement sexuel n’épargne aucune catégorie socio-professionnelle.
Les derniers chiffres de l’IFOP sur le harcèlement sexuel au travail permettent d’estimer qu’une femme sur cinq a subi ce type de harcèlement. En comparaison, seuls 0,3% des appels au 3919 (Violences Femmes Infos) concernaient des faits de harcèlement sexuel au travail, qui y restent donc confinés (lettre d’information n°8 de l’Observatoire national de la violence faite aux femmes, novembre 2015). Pour rappel, l’employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement, sexuel et/ou moral, d’y mettre un terme et de les sanctionner. Mais selon l’enquête de l’IFOP, dans près de 70% des cas de harcèlement, la Direction n’a pas eu connaissance de la situation…
Faire du sport… #CommeUneFille ?
En 2014, la campagne d’une marque de protections périodiques mettait le doigt sur les préjugés sexistes accompagnant le sport « au féminin ». Dans son clip de sensibilisation #CommeUneFille, la marque demande à des adultes de courir ou se battre « comme une fille » : ils et elles enchaînent les prestations ridicules. Mais la même question posée à des petites filles engendre une confiance en soi beaucoup moins emprunte du sexisme latent de la société… De fait, le sport dit « féminin » (la Coupe du monde de football est-elle dite « masculine » ?) et les athlètes mènent une lutte pour leur reconnaissance, entre préjugés sexistes et inégalité de traitement au plan sportif. Certains commentateurs des Jeux olympiques de Rio se sont récemment fait remarquer par leur florilège de propos sexistes. Simples grossiers personnages ? Le fait est loin d’être anecdotique, puisque c’est aussi la conclusion d’une étude de l’université de Cambridge sur 160 millions de mots tenus par les journalistes sportifs depuis une décennie. Les athlètes seraient entre autres décrites en relation avec leur âge, leur apparence et leur statut marital… Loin de la compétition, donc. Or, lors des JO d’été, de nombreux pays doivent régulièrement leurs médailles à leurs athlètes féminines. Ce n’est pas Marie-Amélie Le Fur, agente EDF multi-médaillée et recordwoman des derniers Jeux paralympiques, qui le niera…
« Ho Mademoiselle ! » : l’espace public en question
87% : c’est la proportion de femmes se déclarant victimes de harcèlement sexuel dans les transports publics en 2016, selon une étude réalisée par la Fnaut, principale fédération des usagers des transports. C’est un peu moins que les 100% annoncés dans le rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) remis au gouvernement l’année dernière, mais c’est une écrasante majorité des usagères. Pire : pour ces femmes, la crainte du harcèlement implique systématiquement des stratégies d’évitement : changement de tenue vestimentaire, changement d’horaire, utilisation d’autres moyens de transport… Sifflement, commentaires sur le physique, le comportement ou la tenue, présence envahissante, questions intrusives, injure, menace, exhibition, agression sexuelle ou viol… Le « harcèlement sexiste » que dénonce le HCEfh concerne des comportements punis par la loi, mais aussi ceux qui, s’ils ne sont pas répréhensibles, sont bien loin de la drague, car imposés sans le consentement de la personne : ils créent selon le HCEfh « une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la dignité de la personne ».
Cette situation a conduit certains pays à mettre en service des wagons réservés aux femmes. En avril 2016, la compagnie ferroviaire allemande Mitteldeutsche Regiobahn a ainsi révélé qu’elle allait suivre l’exemple de l’Inde, du Mexique, de l’Egypte ou encore au Japon, en mettant certaines rames à disposition des femmes uniquement. Une ségrégation de droit, pour lutter contre une ségrégation de fait ? Certains collectifs féministes prennent le parti inverse, en incitant les femmes à réinvestir l’espace public, dans les transports mais aussi dans la rue, à coup de « Marre de baisser les yeux, marre de changer de trottoir », « A nous la nuit !« , « Place aux femmes« , « Stop harcèlement de rue« … Avec pour objectif que l’espace public soit plus « safe » (en français : « sûr ») – réclamant par là non pas un surplus de sécurité, mais moins d’oppression sexiste, et au-delà, plus d’oppression du tout.
Bâtir Soulac, un truc de mec ?
« Si je vois une fille porter une planche, je vais l’aider par galanterie. On est égaux, mais quand tu bâtis un stand, il faut des bras : c’est plus facile avec huit hommes que huit femmes. » C’est le genre de propos qu’on peut entendre çà et là lorsqu’on aborde la question des bâtisseuses au 15e Festival d’Énergies. Bâtir Soulac, un truc de mec ? De fait, les femmes représentent moins de 15% des bâtisseurs en 2016. On comptait un peu plus de festivalières, autant que de salariées dans les IEG : 25%. Selon les derniers chiffres sur l’égalité professionnelle dans la branche, alors que la commercialisation et les fonctions supports employaient respectivement 58% et 45% de femmes en 2012, le pourcentage tombe à 14% dans la distribution, et 8% dans le transport électrique. Soit une répartition inversement proportionnelle aux secteurs dont sont historiquement issus les bâtisseurs. « Le fait d’avoir posé l’objectif politique de 30% de bâtisseuses [cette année] a permis de soulever la question de l’égalité femmes-hommes, indique néanmoins Noémie Bickel, membre du Conseil d’administration de la CCAS, en charge du groupe de suivi de la thématique de l’égalité des genres. La question a été débattue dans les commissions jeunes agents. (…) Mais il reste beaucoup de travail à accomplir. »
Pour aller plus loin > lire « Bâtisseurs, bâtisseuses » notre reportage au Festival d’énergies 2016 |