Smart grid: le terme reste peu connu. Et sa traduction française – réseau électrique intelligent – l’est encore moins. Pourtant, derrière ces termes techniques, se cache l’avenir des réseaux énergétiques, qui seront de plus en plus parcourus de flux d’information permettant d’optimiser production, distribution et consommation.
Dans les décennies à venir, les gestionnaires de réseau électrique devront faire face à trois défis majeurs. Le premier est l’augmentation de la consommation d’électricité, due à la multiplication des appareils connectés, et que l’essor attendu des voitures électriques va encore accroître. Le deuxième est le développement des énergies renouvelables, dont la production dépend de conditions météorologiques par nature intermittente, ce qui rend plus délicat l’équilibrage entre production et consommation. Le troisième est celui du changement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre devront impérativement être réduites, ce qui passe par une meilleure efficacité énergétique.
Mais, quelle que soit cette réduction, le climat va changer, avec un risque accru d’épisodes météorologiques extrêmes (tempêtes, inondations, etc.). « La multiplication des événements extrêmes va nécessiter de concevoir des réseaux électriques de plus en plus résilients. Les grandes villes s’organisent pour pouvoir conserver des poches capables de tenir quelques heures avant d’être réalimentées en totalité », souligne Marc Boillot, ancien cadre dirigeant d’EDF.
Un véritable internet de l’énergie
À ces trois défis, les smart grids proposent une réponse. L’augmentation de la demande pourra être gérée en lissant les pointes de production les plus coûteuses, en informant les consommateurs en temps réel de l’état du réseau, ce qui leur permettra d’ajuster leur consommation. Les régions où le vent souffle ou celles où le soleil brille pourront plus facilement exporter leur électricité d’origine renouvelable vers les régions déficitaires. Enfin, la meilleure efficacité énergétique du réseau permettra de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
En pratique, plusieurs technologies sont en concurrence, dans ce marché des smart grids estimé de 30 à 40 milliards de dollars par an, avec une croissance annuelle de 5 à 10 % : courant porteur en ligne, liaison satellitaire, Wi-fi longue portée, radiofréquence… La logique est en tout cas toujours la même : associer à chaque partie du réseau un système de communication permettant une circulation d’information bidirectionnelle en temps réel, pour aller à terme vers un véritable Internet de l’énergie. « L’intelligence est répartie à tous les niveaux et permet de traiter les informations pour optimiser les flux d’énergie en fonction des contraintes », explique Marc Boillot. Les smart grids sont ainsi l’aboutissement d’une évolution entamée il y a une vingtaine d’années dans les réseaux haute et moyenne tension qui a permis, rappelle Marc Boillot, de diminuer « le temps de coupure de 3 heures à 1 heure par an en moyenne en France ».
Montée en puissance
Phénomène mondial, la montée en puissance des smart grids prend, selon les régions du monde, des formes différentes. Aux États-Unis, il s’agit surtout d’intégrer au réseau les grandes fermes éoliennes ou solaires situées dans le centre du pays, loin des mégapoles qui sont les principales zones de consommation. Dans les pays émergents, la priorité est de développer le maillage territorial du réseau, en l’équipant d’emblée de moyens de communication. En Europe ou au Japon, où les réseaux sont déjà très denses, l’accent est mis sur l’automatisation de leur gestion, pour s’affranchir de toujours possibles erreurs humaines. Technologie d’avenir, les smart grids ne sont cependant pas sans risques potentiels.
Comme le montrent les polémiques suscitées par la mise en place du compteur intelligent Linky par Enedis, les consommateurs sont parfois méfiants à l’égard de ce qu’ils perçoivent comme une possible intrusion dans leur vie privée. Les données de consommation énergétique relèvent en effet d’informations personnelles, qui doivent donc être protégées. « Une analyse approfondie des courbes de consommation pourrait permettre de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie des occupants d’une habitation : heures de lever et de coucher, heures ou périodes d’absence, la présence d’invités dans le logement, les prises de douche, etc. », souligne la Commission nationale de l’informatique et des libertés qui s’est saisie de la question dès 2013, en publiant des recommandations à l’usage des professionnels sur la mise en place des compteurs intelligents. Mais l’évolution technique rapide des smart grids nécessitera sans doute leur réévaluation périodique.
Les réseaux électriques de demain
Nice à l’avant-garde des smart grids
Nice est la seule ville française participant au programme Grid4EU, financé par l’Union européenne, qui vise à construire six grands démonstrateurs des technologies de smart grids. « L’actuel réseau local de distribution est incapable de prendre en charge les nouveaux flux énergétiques. L’optimisation locale et l’équilibrage entre production, consommation et stockage se sont avérés être la bonne approche pour éviter de devoir investir massivement dans le réseau », souligne Said Kayal, directeur de l’innovation sur les smart grids chez Alstom, un des partenaires du projet au côté d’EDF et d’Enedis. Concrètement, la commune de Carros, au nord de l’agglomération niçoise, a été équipée de 200 sites de panneaux solaires. Par une gestion intelligente du réseau conjuguée à l’installation de batteries de stockage, ils permettent à 2 500 foyers et entreprises d’être, par moments, autonomes énergétiquement.
Parole d’expert
Didier Lafaille, chef du département technique de la Commission de régulation de l’énergie.
« La France est très bien placée en matière de développement des smart grids. On compte plus d’une centaine de démonstrateurs, répartis sur l’ensemble du territoire, y compris dans les îles. Les régions se sont lancées dans ces démonstrateurs en fonction des contraintes qu’elles ont identifiées sur les réseaux d’électricité, de gaz ou de chaleur. La ville de Brest a par exemple fait face à la saturation des réseaux électriques urbains en créant un réseau de chaleur communal. À Issy-les-Moulineaux, c’est tout un quartier autonome qui est en train d’être créé en recourant aux réseaux énergétiques intelligents. Que ce soit en matière de démonstrateurs, de financement, de nombre d’entreprises impliquées ou de création d’emplois, la France est le numéro 1 européen des technologies des smart grids, et un des tout premiers pays au niveau mondial, avec le Japon. »