Souffrance des cheminots : la preuve par l’image

 

Video - Le film accablant sur le déclin organisé de la SNCF

Le sociologue Julien Kubiak et le documentariste Gilles Balbastre s’intéressent aux conditions de travail des cheminots dans le Nord-Pas-de-Calais et leurs conséquences sur la sécurité. Certaines révélations sont inquiétantes…

Des boulons qui se dévissent tout seuls, des attaches de rails qui bougent, un rail fendu… Ces images, tournées par Gilles Balbastre à Corbehem et Biache-Saint-Vaast (Pas-de-Calais) pour son documentaire Vérités et mensonges sur la SNCF (1), ne rassurent pas. Un cheminot, visage flouté, évoque des équipements similaires à celui de Brétigny, dont la rupture a entraîné en juillet 2013 le déraillement du Paris-Limoges et la mort de sept personnes. « Ça se passe à quelques kilomètres de chez nous et on ne le mesure pas. Ça ne fait pas la Une », commente Gilles Balbastre. Le boulot de journaliste, c’est aussi lanceur d’alerte. » En trois semaines de mise en ligne, le film avait dépassé 60 000 visionnages. « Le but était de le rendre public, l’usager a le droit de savoir », insiste Hervé Gomet, président de la commission économique du Comité d’établissement régional (CER) SNCF Nord-Pas-de-Calais. Le CER, sur décision unanime des organisations syndicales, a coproduit le film avec le cabinet Emergences, qui a également réalisé une étude titrée « Conditions de travail et sécurité ferroviaire », confiée à Julien Kubiak, sociologue et membre du réseau de chercheurs Ferinter.

Pression commerciale sur les contrôleurs

Julien Kubiak a étudié la « qualité du travail empêchée », due aux réorganisations que subissent les cheminots. Des agents du Technicentre de Calais expliquent ainsi la « modularisation », qui consiste à morceler la maintenance des trains en opérations de quelques heures, pour respecter le contrat de disponibilité des voitures passé avec la Conseil régional. Mais le schéma, rigide, « oublie de prendre en compte le temps passé à mettre le chantier en sécurité, à rassembler les outils et à ranger ces derniers une fois le travail fait ». Pas question non plus de s’inquiéter de la dégradation des freins si le programme du jour est autre… Les contrôleurs, eux, sont de plus en plus jugés en fonction des « Opérations par Journée de Travail » (OPJT) : ventes de billets à bord, régularisations, PV… « On nous demande combien on a fait à la fin de l’année […]. Les chefs prennent des promotions là-dessus », confie un contrôleur.

« Dégradation de l’entraide entre collègues »

On croise aussi des conducteurs stressés par le resserrement des horaires qui en arrivent à oublier un arrêt en gare. Des agents d’entretien des voies qui déplorent de ne plus faire que de la maintenance corrective et non plus préventive. Des agents d’escale en première ligne en cas d’incident : « L’année dernière on a supprimé plus de dix trains sur octobre-novembre parce qu’il n’y a pas d’essuie-glace en bon état. Et que la Matériel n’a pas de stock. Allez dire ça ! » Et partout, le manque d’effectifs, la surcharge de travail et les heures supplémentaires. Julien Kubiak pointe les causes des dysfonctionnements : des « strates hiérarchiques et professionnelles entre lesquelles la circulation de l’information est fortement dégradée » ; la « dégradation de l’entraide » créée par la « relation client-fournisseur entre des agents appartenant à des équipes, métiers, établissements, branches ou Epic [Etablissement public industriel et commercial] différents ». Bref, de la souffrance pour des « cheminots attachés à la qualité du service public, à la sécurité des usagers et à la leur », relève-t-il.

Gilles Balbastre évoque aussi les lignes délabrées par manque d’entretien : Arras/Etaples/Saint-Pol, où la vitesse est limitée à 60km/h sur de larges portions ; Ascq/Orchies, remplacée par des bus… Fidèle à lui-même, il déconstruit également les discours de la direction et des médias sur les « réformes » de la SNCF et sur les cheminots.

LUDOVIC FINEZ

  1. Pour visionner le film : https://www.youtube.com/watch?v=gT3PPOXZqNk
  2. Pour télécharger l’étude : http://www.emergences.izihost.com/0/1/227_1441273587.pdf
« Pas de problème de sécurité » pour la SNCF

La direction régionale de la SNCF a reproché aux élus du CER « que la diffusion en externe [du documentaire] cherche à ternir l’image de l’Entreprise et des cheminots dans leur professionnalisme et leur attachement à la sécurité ». Pour elle, la situation à Corbehem et Biache ne pose « pas de problème de sécurité » grâce à « une surveillance renforcée […] tous les 15 jours », des travaux étant « programmés pour 2017 ». « Il y a un danger grave », réagit Hervé Gomet, du CER, qui précise qu’un rapport régional de SNCF Réseau identifie vingt « point noirs » de la sorte. Le courrier de la direction ajoute que « l’Etat et le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais ont inscrit, dans le projet de Contrat de plan Etat Région 2015-2020, la rénovation de la ligne » Ascq-Orchies, fermée depuis juin. Contacté par nous, le service communication pointe pour sa part les 110 millions d’euros dépensés en 2015 pour le renouvellement des voies et ballasts de la région.

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