Le 11 février 1957, Fernand Iveton était exécuté à Alger. Gazier, communiste et militant de l’Algérie indépendante, sa demande de grâce fut rejetée par le pouvoir colonial. Le garde des Sceaux était alors François Mitterrand.
Qui se souvient aujourd’hui de Fernand Iveton ? Un peu moins de trente ans après son supplice, Jean-Luc Einaudi, éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse et historien amateur – ce qui ne veut en rien dire manquant de sérieux –, l’exhuma de l’oubli en publiant « Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton » aux éditions L’Harmattan. Le livre date de 1986. Garde des Sceaux au moment de l’exécution du militant de l’Algérie indépendante, François Mitterrand était alors président de la République.
« On se heurte à la raison d’État »
En 1957, lorsque Iveton fut guillotiné, François Mitterrand était donc garde des Sceaux. À ce titre, il aurait pu plaider sa grâce auprès du président de la République, René Coty. Il ne l’a pas fait. « Iveton demeure comme un nom maudit […] On se demande comment Mitterrand pouvait assumer ça. J’ai dû prononcer le nom [d’Iveton] deux ou trois fois devant lui et cela provoquait toujours un malaise terrible, qui se transformait en éructation […] On se heurte à la raison d’État », écrivaient Benjamin Stora et François Malye dans « François Mitterrand et la guerre d’Algérie ». La citation que l’on vient de lire est placée en exergue du livre de Joseph Andras, « De nos frères blessés ». Lequel est assurément la plus poignante évocation de cet ouvrier tourneur de Électricité et Gaz d’Algérie (EGA), seul homme à avoir péri sous le couperet sans avoir fait couler la moindre goutte de sang.
Le 17 novembre 1956, le journal télévisé de l’ORTF diffuse un reportage à charge sur l’arrestation de Fernand Iveton trois jours auparavant. L’ouvrier l’ayant dénoncé rejoue sa découverte devant les caméras du JT, qui est alors placé sous l’autorité du directeur des informations, exprimant des velléités de contrôle politique de ces sujets sensibles. (source : INA)
Torturé puis condamné à mort
Iveton fut condamné à mort par un tribunal militaire pour avoir déposé une bombe dans les locaux de l’usine à gaz d’EGA de Hamma, en périphérie d’Alger, à une heure où elle ne pouvait faire aucune victime. Personne n’a jamais contesté ce fait. Mais la bombe n’a pas explosé. Et Iveton a été arrêté par les militaires français avant même qu’elle ne puisse exploser. Arrêté puis ignoblement torturé pour lui faire avouer les noms de ses camarades du Front de libération nationale (FLN) ou du Parti communiste algérien, dont il était membre. Les coups. Puis l’électricité. Les électrodes d’abord sous la gorge. Puis sur les testicules. Puis la noyade, un chiffon enfoncé sur la bouche, tandis que les coups pleuvaient sur son ventre gorgé d’eau.
Pour tous, la sentence est la même : la mort.
Lorsque Iveton comparaît devant le tribunal militaire, son épouse Hélène ne le reconnaît pas, tant il a été défiguré par les tortures. On lui a aussi rasé la tête et la moustache. Il ressemble à un bagnard. Nombreux ont été les militants de l’indépendance algérienne a subir ce supplice. Iveton est un des rares Européens à l’avoir enduré, donc à pouvoir en témoigner – il portera plainte contre l’État français, en décrivant en détail tous les sévices. Mais pour tous, la sentence est la même : la mort. Iveton y est condamné le 24 novembre 1956.
Commence alors la période la plus émouvante du supplice d’Iveton, que le livre d’Einaudi, sur un mode documentaire, ou celui d’Andras, sur un mode plus romanesque mais non moins précis, décrivent. Dans sa sordide cellule de condamné à mort, Iveton est persuadé qu’il obtiendra une grâce présidentielle. Même le tribunal a reconnu le soin qu’il avait pris à ce que sa bombe n’explose qu’après le départ du personnel.
« On lui a laissé ses vêtements. Il s’assoit sur le fin matelas. Et, les cris dissipés, les rictus disparus, Fernand commence à réaliser la situation dans laquelle il se trouve : le pouvoir entend bien l’exécuter. Il n’a tué personne, pourtant. Cela n’a aucun sens. Les autorités se poussent du col, voilà tout. Haussent la voix pour l’exemple mais n’iront pas au bout. Impossible. La France n’est tout de même pas un potentat », écrit Joseph Andras.
« La vie d’un homme, la mienne, compte peu »
Mais la grâce présidentielle ne vient pas. Ses soutiens ont fait de leur mieux – la CGT a dépêché pour sa défense le ténor du barreau Joë Nordmann, ancien résistant, et « l’Humanité » a multiplié les éditoriaux demandant sa grâce. Un ancien directeur de l’usine de Hamma a écrit au président de la République pour plaider la cause de celui qui « a toujours donné satisfaction dans son travail. Calme et discipliné, même en période de grève ». L’archevêque d’Alger a aussi demandé sa grâce. Mais entre-temps, les « événements » d’Algérie, comme on les désigne alors, se sont aggravés.
« La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. »
Le FLN a porté sa campagne d’attentats dans les cafés et restaurants d’Alger. L’armée française y a répliqué en déployant ses parachutistes dans la Casbah. La bataille d’Alger commence, et Iveton va en être victime. Aux yeux d’une très large partie de l’opinion des Européens d’Algérie, il n’est qu’un traître. Sa demande de grâce présidentielle est refusée.
Le 11 février 1957, à 5 h 10 du matin, sa tête tombe sous le couperet de la guillotine dressée dans la cour de la prison Barberousse, à Alger. Les derniers mots qu’il a souhaité faire enregistrer par le greffier étaient : « La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l’amitié entre Français et Algériens se ressoudera. »
Pour aller plus loin
« Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton », de Jean-Luc Einaudi, L’Harmattan, 1986 (rééd. 2000), 250 p., 24 €.
« François Mitterrand et la guerre d’Algérie », de Benjamin Stora et François Malye, Calmann-Lévy, 2010, 312 p., 22,40 € (e-book : 9,49 €).
« De nos frères blessés », de Joseph Andras, Actes Sud, 2016, 144 p., 17 € (e-book: 12,99 €).
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