La 18e édition de Contre courant, organisée par les Activités Sociales en partenariat avec le Festival d’Avignon et qui s’achève ce vendredi 19 juillet, a mis en lumière la magie du spectacle vivant, capable de nous faire rire tout en nous interrogeant sur nous-mêmes et sur la société.
Une femme, la mine déconfite, s’agenouille auprès d’un homme allongé, inerte. « Nous nous permettons, sauf avis contraire de votre part, de conserver votre curriculum vitae », lâche la responsable des ressources humaines d’une voix déchirante et désespérée, tout en caressant de ses mains tremblantes le torse de l’homme, ex-candidat à un poste de commercial. Ou plus exactement ex-non-candidat.
Les textes interprétés par les comédiens sont de vraies « lettres de non-motivation » issues d’une longue liste de courriers que l’artiste Julien Prévieux a envoyés pendant sept ans à de vrais employeurs, en réponse à de vraies offres d’emploi, lettres auxquelles ces employeurs ont apporté de vraies réponses.
Ces échanges épistolaires improbables, Vincent Thomasset les a adaptés à la scène et en restitue ici toute l’absurdité et la cocasserie : des candidats qui dépriment d’avoir perdu leur « passion de la performance » et leur goût pour « la prospection » ; qui expliquent en détail pourquoi ils ne feraient pour rien au monde carrière dans le secteur bancaire ; qui supplient le recruteur de ne pas les faire travailler « sur des bases de données » – comble de la torture, semble-t-il…
Et des DRH qui leur répondent avec le plus grand sérieux, en employant invariablement les mêmes formules passe-partout, déshumanisantes et vides de sens. On rit parfois jusqu’aux larmes de ces expressions patronales faussement compatissantes. On s’amuse en découvrant les envolées défensives des gardiens d’entreprises piqués dans leur orgueil par ces non-candidatures. Une inversion jubilatoire des rôles que seul le spectacle vivant peut nous offrir.
Ces « lettres de non-motivation » parlent à tout le monde, et c’est leur force. Qui ne s’est jamais retrouvé au chômage, dans l’angoissante « attente d’une réponse de votre part » ? Aujourd’hui secrétaire dans une fédération sportive, Régine, une habituée du festival, se souvient avoir un jour répondu à l’offre d’emploi abusive d’une association : « C’était l’équivalent d’un poste de direction payé un salaire de misère, avec une liste interminable de compétences demandées ! »
Ouvrir des brèches de tendresse dans des murs de béton
Sur l’île de la Barthelasse, qui accueille cette dix-huitième édition de Contre courant, le mistral fait voler les chapeaux et souffler un vent de résistance. Si le fait de décrocher un boulot décent relève parfois du parcours du combattant, la bataille pour l’emploi et les conditions de travail se mène aussi dans les entreprises, comme le rappelle Claude Pommery. Le secrétaire général de la CCAS fustige le « funeste projet Hercule » (scission d’EDF, filialisation et ouverture du capital) présenté par le gouvernement il y a un mois. Il invite les électriciens et gaziers à se joindre à l’intersyndicale qui appelle à une journée de grève nationale le 19 septembre prochain.
Comment trouver sa place dans un monde où l’utopie a été mise au placard, où « l’employabilité » remplace le rêve, où la sensibilité est perçue comme un défaut ? Par sa fraîcheur, son langage direct et désopilant, le petit Momo, personnage principal de « la Vie devant soi », ouvre des brèches de tendresse et de colère dans des murs de béton.
L’enfant musulman élevé par une vieille femme (une « personne usagée »), juive, obèse et ex-prostituée (une femme « qui se défend avec son cul »), répète inlassablement la même question : « Peut-on vivre sans amour ? »
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« L’humour permet d’aller au fond des choses »
Orfèvres de la parodie, la compagnie Teraluna et son joyeux trio (Sophie, Chantal et Fred) ont installé leur studio itinérant (radio FMR) sur la pelouse de la Barthelasse pour toute la durée du festival. Un studio à la déco très intimiste, petites culottes sur fil à linge comprises. Avec un slogan imparable : « FMR, la radio qui donne la parole à ceux qui ont des choses à dire. »
Pantalon blanc interminable remontant jusqu’au nombril, le grand Fred joue aux animateurs fantasques. « L’humour permet de dire pour de vrai, résume le comédien. Il ouvre des portes qui débouchent sur des réflexions profondes. »
Cette recette, on la retrouve en partie dans « Discours à ma nation », un spectacle qui dévoile sans filtre tout ce que les classes dominantes pensent vraiment. Extrait : « Pour combattre et domestiquer les pauvres, il faut leur faire croire qu’ils sont riches. » Sur la scène de Contre courant, le texte de l’auteur italien Ascanio Celestini, adepte d’un théâtre populaire, politique et drôle, se transforme en « concert de théâtre », parlé et slamé, grâce au talent de Selman Reda et de son compère guitariste Yann Synaeghel.
« Formidable ! » s’exclame Elisabeth, metteure en scène venue de Strasbourg, friande de ces spectacles « qui n’ont pas peur de parler politique ». « C’est simple, intelligent, profond, ça brasse les contradictions de la société, ça interpelle le public… Et ça me rend joyeuse ! » jubile-t-elle.
Contre courant, festival éclectique
Le festival Contre courant, organisé par les Activités Sociales, c’est un zoom sur la création contemporaine avec une programmation pluridisciplinaire ambitieuse, en partenariat avec le prestigieux Festival d’Avignon.
Chaque année, au mois de juillet, la CCAS présente une trentaine de spectacles (danse, théâtre, musique, poésie, chanson, cirque…), dont certains sont proposés par des artistes invités au Festival d’Avignon.