Écrivain et journaliste algérien vivant en France, Yahia Belaskri a publié en 2016 son histoire d’Abd el-Kader (1808-1883), héros de la résistance algérienne à l’occupation française et figure humaniste, qu’il oppose à « la laideur » des islamistes.
Bio express. Né à Oran en 1952, Yahia Belaskri a notamment publié « Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut », « les Fils du jour » et « Abd el-Kader, le combat et la tolérance ». C’est avec ce dernier roman qu’il participe aux rencontres culturelles de la CCAS cet été.Son nouveau roman, « Le Livre d’Amray », est une charge ardente contre tous les intégrismes, aux éditions Zulma, où il est également secrétaire de rédaction à la revue internationale de littérature Apulée.
Vous dites avoir découvert Abd el-Kader à 14 ans, et y être revenu à l’âge adulte : quelle place tient ce personnage dans votre biographie ?
Je l’ai d’abord connu comme « le créateur du premier État algérien ». J’y suis revenu au moment où l’islamisme a commencé à prendre place dans le monde. En tant que romancier, et de par mon histoire personnelle et nationale entre la France et l’Algérie, j’ai ressenti le besoin d’aller vers cette figure. Et je suis tombé sur cette phrase : « Tout être est mon être. » Autrement dit, l’autre est déjà là, en nous. Alors je me suis dit : contre ces apôtres de la haine, j’ai un ancêtre à proposer, un ancêtre qui est beau, pour faire reculer leur laideur.
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’histoire de cet homme, que vous opposez aux « valeurs » de l’islamisme ?
C’est une figure humaniste. Voilà un homme qui faisait la guerre, mais qui pourtant n’assassinait pas ; qui traitait bien ses prisonniers, jusqu’à demander un aumônier pour les chrétiens. Aujourd’hui, dans la culture arabo-musulmane, il existe de merveilleux intellectuels, des scientifiques… mais ceux qui font du bruit sont des figures hideuses. L’âge d’or de la culture musulmane, et son foisonnement scientifique, littéraire, philosophique est révolu. Aux prises avec l’islamisme, les pays arabo-musulmans ont reculé : selon un rapport des Nations unies (2003), les 22 pays arabes ont traduit en un siècle ce que la Grèce a traduit en un an. Il n’y a donc pas de réflexion, de confrontation avec l’autre, de commentaires… rien. On se retrouve devant l’ignorance. Or c’est la culture qui peut nous donner une conscience. Emmener les enfants au musée, au théâtre, cinéma… est très important pour apprendre à approcher, à débusquer le beau. C’est ce qui fait barrage à l’horreur fondamentale, comme le dit Lacan.
Qu’est-ce qu’un livre de romancier peut apporter à l’histoire contemporaine ?
Tout État, tout pouvoir fabrique un récit pour cimenter la nation. C’est le cas en Algérie, c’est le cas en France. Or c’est aux historiens de travailler l’histoire, pas à l’État. Moi-même, j’essaie d’aller vers le sensible et l’indicible. En matière de passé refoulé, dans l’histoire nationale comme dans les familles, ce qu’on a tu revient fatalement… Une fois j’ai demandé à mon père pourquoi mon copain Paquito, fils de pied-noir, n’était pas venu à l’école. Il m’a simplement répondu : « Tu t’en feras d’autres. » Après l’indépendance, en 1962, il y avait une formidable envie de construire un pays ouvert, tolérant, fraternel : les gens avaient envie de passer à autre chose, d’oublier, de vivre.
Comment comprenez-vous l’idée de repentance, agitée par certains politiciens, pour qualifier la mémoire de la colonisation ?
La repentance est un terme religieux. Mais il n’y a pas à avoir honte : c’est simplement qu’on se grandit en reconnaissant les choses, même si c’est dans le conflit et la difficulté. Il faut avancer et donner une place à tous ses enfants. En Algérie, je n’ai pas eu d’enfance du fait de la guerre. Quand je sortais de chez moi, il y avait les barbelés de l’armée française, à droite, à gauche, en face. Je pensais que c’était ça, ma ville : les barbelés. Côté algérien, l’État se grandirait à aborder la question des harkis, de l’élimination des membres du FLN par des membres du FLN…
Votre travail porte essentiellement sur la figure de l’autre, qu’il nous faut, dites-vous, accueillir.
J’aime beaucoup ce texte soufi du XIIIe siècle, du poète persan Rumi, qui dit que l’identité est un leurre : vous tentez de me définir, mais je ne suis quasiment rien, car je ne suis qu’amour.
« Je ne suis ni de l’Est, ni de l’Ouest,
Ni issu de l’Océan, ni sorti de la Terre,
Ni matière ni éther, ni composé d’éléments.
Je n’existe pas, ni ne suis une entité dans ce monde ou dans l’autre,
Ni ne descends d’Adam et Ève ni d’aucune légende.
Ma place est sans place, une trace sans trace.
Ni corps ni âme.
J’appartiens à l’être aimé. »
C’est aussi que l’accueil des réfugiés est une nécessité. Quand vous accueillez quelqu’un, il vous le rendra. Et quand vous le rejetez, de la même manière… son corps retiendra l’humiliation. Dans le rejet, il y a la peur, mais de quoi a-t-on peur ? Pourquoi celui qui vient d’ailleurs me ferait-il du mal ?
Vous rencontrez depuis plusieurs années les agents et leurs familles dans les centres de vacances, comment percevez-vous ces rencontres culturelles ?
Au-delà d’Abd el-Kader, je leur parle d’amour et de beauté, et des justes, celles et ceux qui accueillent. Pour montrer que c’est possible. Il faut renouer avec cette part d’humanité, aller vers l’autre. Quand je rencontre des gens, je grandis. Telle est ma satisfaction.
Pour aller plus loin
« Abd El-Kader : Le combat et la tolérance »
Magellan & Cie, 2016, 19,50 euros.
À lire dans toutes les bibliothèques des centres de vacances de la CCAS.