Yvan Gastaut : « En vingt ans, les femmes sont passées des tribunes au terrain »

Yvan Gastaut : "En vingt ans, les femmes sont passées des tribunes au terrain" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 77065 Yvan Gastaut.

Yvan Gastaut est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Nice. ©DR

L’historien, spécialiste de l’immigration en France et de ses rapports avec le sport, ainsi que de l’histoire du football, analyse le surgissement des femmes dans ce sport resté très longtemps exclusivement masculin. Il encourage un volontarisme politique et médiatique pour mettre en avant les Bleues.

Quand les femmes ont-elles fait leur apparition dans l’histoire du football ?

Progressivement, l’historiographie s’est ouverte à des champs jusque-là ignorés, comme celui du genre ou de l’immigration et du sport. Au début de ma carrière, on ne parlait pas des femmes dans l’histoire du football, bien que dans les faits elles jouent au football depuis fort longtemps.

Ce n’est donc qu’à la fin des années 1990 qu’elles ont été intégrées à mes recherches, tout d’abord en tant que spectatrices : on a constaté, lors de la Coupe du monde de 1998, que l’intérêt pour le football n’était plus exclusivement masculin. Les femmes qui étaient dans les stades, devant leurs écrans de télévision à la maison ou dans les bars, agissaient de leur propre chef : elles ne venaient plus seulement accompagner leur mari, elles étaient de véritables supportrices.

Par rapport aux années 1950 et 1960, les tribunes des stades se sont ainsi largement féminisées. Ce fut le premier surgissement des femmes dans le monde footballistique, qui passionnait désormais les foules toutes classes sociales et tous genres confondus.

Quand passent-elles de spectatrices à joueuses, du moins dans les médias ?

Dans les années 2005-2010, le football étant devenu plus ouvert à tous les niveaux, va émerger dans différents pays une attention particulière pour les équipes féminines. On voit émerger des clubs comme, en France, l’Olympique lyonnais (OL) et le Paris Saint-Germain (PSG), mais aussi des équipes nationales féminines dans un grand nombre de pays.

Petit à petit l’intérêt pour le football féminin a grandi, jusqu’à ce qu’on constate aujourd’hui avec la Coupe du monde 2019. Mais c’est encore très récent, à l’inverse de ce qui s’est passé pour d’autres disciplines comme le tennis, le basket, l’athlétisme ou le volley, où la pratique féminine suscite un grand intérêt depuis bien plus longtemps.

Quels pays ont été précurseurs en matière de pratique féminine du football ?

Les pays scandinaves et l’Allemagne. L’Union européenne a favorisé la pratique et la visibilité des footballeuses. C’est très lié à l’émergence des questions de parité et à l’évolution de la place des femmes dans la société. La France s’inscrit dans un vaste mouvement qui touche le monde entier, puisque outre-Atlantique les équipes féminines se développent, de même qu’en Tunisie depuis la révolution.

On a l’impression de redécouvrir le sport féminin à l’aune de cette parité qui, en France, nous traverse depuis vingt ans. Pour les historiens comme moi, cela permet de redécouvrir certains clubs féminins et certaines « épopées » oubliées comme celle des filles du Stade de Reims : à la fin des années 1960, un peu dans la mouvance de Mai 68, elles avaient été un modèle de ce que peut être le sport en tant qu’affirmation de la liberté des femmes.

Une victoire des Bleues pourrait-elle aider à lutter contre le sexisme dans la société française ?

L’engouement que l’équipe de France féminine créera, si jamais elle arrive à remporter la Coupe du monde, sera peut-être de nature à proposer un symbole de fierté, qui « efface » l’aspect genré des championnes. Mais il ne faut pas trop attendre du football en matière de lutte contre le racisme et le sexisme, car ce serait lui donner un rôle trop important dans la société.

Les inégalités salariales entre les hommes et les femmes dans le football vous semblent-elles justifiables ?

Non ! On peut toujours arguer de cette pureté du football amateur, dont les femmes, même au plus haut niveau, seraient l’expression, mais cela ne tient pas. Si les femmes sont des professionnelles à part entière, elles doivent avoir le salaire qui va avec leur compétence et leur notoriété. C’est valable non seulement pour les joueuses, mais aussi pour les arbitres. Cela me semble une évidence. Mais aujourd’hui, malgré la notoriété, les finances ne suivent pas ; cela montre bien qu’il y a encore des étapes à franchir pour atteindre une réelle égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

En France, en 2019, les filles qui pratiquent le football ont-elles des origines sociales et géographiques similaires à celles des garçons ?

Oui, à l’instar de celle des hommes, l’équipe de France féminine compte des joueuses d’origine coloniale de première ou seconde génération, et aussi ultramarine. Comme pour les hommes, le football féminin est un ascenseur social formidable. Beaucoup de jeunes filles issues de classes populaires s’y mettent !

Les supporters de football se passionnent-ils autant pour le jeu féminin que pour le jeu masculin ?

Le football et le rugby, qui restent considérés comme « masculins », ont plus de mal à s’ouvrir aux femmes et à faire en sorte que la pratique féminine remporte l’adhésion des spectateurs, notamment masculins. Peut-être que la Coupe du monde, surtout si les Bleues vont jusqu’au bout, va permettre de susciter cette passion qui manque encore !

Quel est le rôle des médias en ce sens ?

Aujourd’hui, les médias font preuve d’un certain volontarisme en la matière, en retransmettant toutes les rencontres de la Coupe du monde 2019. L’attrait pour le football féminin est loin d’être aussi fort que pour le football masculin. C’est ce que je constate personnellement à Nice, où contrairement à ce qui se passait pour les matchs de Coupe d’Europe masculine, les tribunes pour les matchs des Bleues ne sont pas pleines. Mais il y a une vraie volonté politique de les mettre à égalité de traitement médiatique.

On est à un tournant en terme de couverture médiatique, tant concernant les retransmissions que dans les magazines et les journaux qui n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les Bleues. Il faut dire aussi que comme il n’y a pas de Coupe du monde masculine cette année, l’émergence des filles comble un vide. Les supporters vont donc pouvoir se passionner pour elles car le spectacle footballistique est désormais ininterrompu, le calendrier des femmes devenant l’un des éléments de cette continuité.

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