À l’occasion des 80 ans de l’exil des républicains espagnols, nous avons rencontré Yves Fibla, ancien agent RTE, fils d’un réfugié communiste espagnol, qui dénonce à travers l’histoire de son père et de sa famille la politique de l’immigration et le sort tragique fait aux indésirables… Un combat encore d’actualité.
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C’est l’histoire d’une famille victime du mépris, de l’ignorance et de la peur. « Transportée » par les idéaux de liberté d’un militant communiste espagnol, contraint toute sa vie à une existence nomade, clandestine ou encore sous surveillance contrôlée. C’est l’histoire d’Yves, telle qu’il veut bien la raconter. Avec ses imprécisions (légitimes) et ses flashs foudroyants. Ceux d’un enfant digne et fier d’avoir contribué au combat du « père » (« je ne l’ai jamais appelé papa »), Catalan d’origine, anarchiste à la base, celui qui, par ses deux prénoms, s’appelle « deux fois Fibla ».
Car marcher sur les traces de son père Joseph Fibla, surnommé Pepito, c’est autant embrasser les faits d’armes d’un inlassable combattant du franquisme et du fascisme, plus tard chef de réseau dans la Résistance, que raviver les cicatrices d’un homme au parcours singulier, tout simplement épris de liberté. Un militant communiste, immigré espagnol.
Une barbarie à plusieurs visages
« De son exil en 1936, suite à la guerre civile en Espagne, jusqu’à la fin de sa vie, il a été à la fois traqué, surveillé et considéré comme un paria, un indésirable, un dangereux assassin, se heurtant tour à tour à une barbarie qui aura eu plusieurs visages », se souvient Yves Fibla. Celui de Franco, en premier lieu, qu’il « repart combattre » en 1939, lors d’une traversée fatale à Collioure, « où en compagnie de ses camarades, ils sont désarmés et internés au camp d’Argelès ». « Là, poursuit l’ancien agent RTE, il n’y a ni baraquements ni toilettes, aucune hygiène. Les réfugiés sont obligés de creuser des trous dans le sable pour s’abriter… »
Le visage du nazisme ensuite, lorsque le militant, déporté une première fois au camp du Vernet en Ariège, le sera une deuxième fois par les Allemands, à Treblinka. « Sans que je sache comment, il s’en évade et revient à Tarascon-sur-Ariège rejoindre ma mère avec laquelle il est marié depuis quelques années. »
Il connaîtra alors, après la Libération (« dont il sera un des grands artisans dans les Pyrénées »), le côté sombre de la France d’après-guerre : le revers de la médaille de l’engagement politique et de la lutte d’un guérillero. « Ah, « Boléro Paprika » ! C’est la trahison suprême d’un gouvernement français qui avait au passage refusé de restituer les armes aux Espagnols désireux de retourner combattre Franco ! »
En 1950, Yves a tout juste 1 an. Mais il garde encore aujourd’hui cette date et le nom de cette opération de police gravée dans sa mémoire. Peu connue en France, l’opération Boléro Paprika, lancée sur le territoire français le 7 septembre 1950, a conduit à l’expulsion de 300 étrangers d’obédience communiste, en majorité espagnols (57 familles) ou originaires des pays de l’Est. Considérés comme indésirables et dangereux, ils seront arrêtés et assignés à résidence en Algérie et en Corse ou expulsés vers la République démocratique allemande. Parmi eux, Joseph Fibla.
« Opération Boléro-Paprika », documentaire de Joël Jenin.
La famille expulsée vers la Tchécoslovaquie
« Au bout d’un an, les autorités françaises, sous l’impulsion de Paul Ramadier, alors président du Conseil, décident de nous expulser avec, au choix, un retour en Espagne ou dans les pays du bloc soviétique. Mon père choisira la Tchécoslovaquie. »
Pour Yves, âgé de 2 ans, c’est un autre pays et un autre destin. Celui d’un Français (« ma mère, lors de son mariage, avait notifié vouloir garder pour ses enfants la nationalité française… ») désormais immigré. À l’école, il apprend le tchèque, langue officielle, et le russe en deuxième langue, quand, à la maison, à la faveur du passage de camarades de son père, le catalan et l’espagnol se mélangent au français. « Quel méli-mélo ! C’était folklorique. Mais je garde un excellent souvenir de cette époque. »
Pourtant, au bout de quelques années, pour le gamin, le frère et les sœurs, rompus à l’exercice et vierges de toute rancœur, l’appel de la France résonne avec insistance. « C’était notre pays ! Nous n’avions pas de raison d’en vouloir à quiconque, à l’époque. »
Mais l’Hexagone n’est pas plus hospitalier. Et Yves va suivre logiquement le parcours chaotique d’une famille contrainte au transit, et d’un père toujours dans l’action, interdit de territoire français et menacé de mort en Espagne. « Nous y sommes allés quand même. Mon père fera d’ailleurs des allers et retours pendant des années avec un faux passeport ! »
L’histoire d’un militant et d’un combattant ne supporte cependant pas la sédentarité, surtout quand les bourreaux sont partout… parfois insoupçonnables. « Mon père est dénoncé par son propre père ! De nouveau obligé de fuir, avec mon frère et avec l’aide d’un commissaire de police espagnol, Pepito doit retourner vers ses « tortionnaires » d’après-guerre », suivi plus tard par la famille Fibla.
Un réveillon dans le froid et la neige
En 1961, à 12 ans, le soir de Noël, Yves passera le réveillon au milieu des sapins. « Je me souviendrai toujours de cette nuit. C’était atroce ! Avec ma mère et ma sœur Rosette, nous étions en culottes courtes, dans le froid et la neige. En compagnie d’un passeur – mon père et moi-même avions tout organisé –, nous avons franchi les Pyrénées pour passer la frontière et rentrer en France, à Tarascon-sur-Ariège. »
Et c’est pourtant loin d’être terminé. En finir avec la traque de son père et sortir de la clandestinité va désormais être le combat du fils et de la famille. Farouchement déterminé, Yves Fibla occupe la préfecture de l’Ariège, à Foix, sur les conseils de son père, qui se trouvait avec des camarades espagnols communistes et anarchistes restés en France.
« Nous avons entamé une grève de la faim en demandant que mon père puisse, sans pression, rejoindre sa famille. La grève a duré environ huit jours. J’avais 13 ans, j’ai fini sous perfusion. Mais malgré l’insistance des médecins, je ne voulais pas abdiquer. Le combat du père, c’était le mien et je l’ai mené jusqu’au bout ! J’ai bénéficié de l’aide du docteur Joseph Rousse, et du maire de Tarascon-sur-Ariège, Paul Joucla. Des soutiens très précieux. »
La lutte dure jusqu’à la lettre du général de Gaulle en 1963, et une sorte de semi-liberté pour Joseph Fibla. « Ce courrier stipulait qu’au nom des services rendus, l’État était reconnaissant et autorisait monsieur Fibla Joseph à rester en France, mais en résidence surveillée. Et mon père le restera jusqu’à sa mort en 1986 ! C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’il voulait se déplacer il devait pointer à la gendarmerie. À chaque fois qu’un ministre, un député ou un président venait dans la région de Nîmes où nous étions désormais installés, la police venait le chercher et le foutait en taule tant que l’individu n’avait pas quitté les lieux ! »
S’il y a de la colère chez Yves, il n’y a cependant aucune amertume. Plutôt des convictions, une force et une dignité puisées dans cette histoire mouvementée, à la fois tragique et remarquable, dans laquelle il faut sans cesse honorer ses racines et le combat du père. À l’école, « où j’étais indésirable », ou lors de ses multiples arrestations « où il fallait que j’explique à mes camarades qu’il n’était pas un criminel ».
« Aussi, explique Yves Fibla, je n’en veux pas au gouvernement français et à la France. Mais je dénonce cette politique de l’immigration. Pour moi, aujourd’hui, la situation des immigrés et des réfugiés est identique. Le mot « indésirable » fait malheureusement toujours partie du vocabulaire. Et ça, je le déplore ! Quant à mon père, je lui dois ce que je suis… Il s’est battu pour un idéal, et contre la pire des monstruosités : le fascisme. »
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Quel courage d’arriver à témoigner comme l’avait fait « Primo Lévi » en son temps .
Ah les immigrés !… n’a -t- on pas tous en nous quelque chose d’immigrés Bah non ! ça se saurai au vu du nombre de racistes .Ah les CONS comme dirait l’autre Coqueluche
Je te salut Yves ainsi que Gilles.Vous êtes pour moi de belles âmes que j’ai eu l’honneur de cotoyer
le Gadjo
J’ai croisé la route d’Yves Fibla lorsque j’étais au contrôle électrique à Bollène entre 1982 et 1989. La force de son engagement syndical m’avais impressionné à l’époque, mais j’ignorais tout de son histoire que je découvre aujourd’hui à travers cet article. Je n’aurai qu’un mot : Respect Monsieur Fibla !
Gilles DESBOIS