L’EPR de Flamanville démarre enfin. Avec un retard et des surcoûts qui se sont accumulés. S’appuyer sur l’expérience de ce chantier semble nécessaire alors que le programme EPR 2 de construction de six nouveaux réacteurs est acté.
Depuis 1999, plus aucun nouveau réacteur nucléaire n’avait été mis en service en France. C’est pourquoi le démarrage de Flamanville 3 (le troisième réacteur sur le site de la Manche, qui en compte déjà deux) est un petit événement. Le processus menant à la première réaction en chaîne de la fission nucléaire a débuté le 2 septembre 2024. Près de 2 000 salariés d’EDF, mais aussi de Framatome, de Siemens ou d’Arabelle solutions (qui a construit la turbine), travaillent aujourd’hui sur le site pour conduire les essais de montée en puissance progressive du réacteur.
Début décembre, l’EPR avait atteint 10 % de sa puissance nominale de 1,6 GW, qui en fait le plus puissant au monde. « Notre vœu le plus le plus cher est [de raccorder le réacteur] le plus vite au réseau », souligne Laurent Estienne, élu CFDT au CSEC et salarié sur le site de Flamanville depuis 2009, qui a tenu à remercier « tous les personnels qui ont œuvré à la réussite de ce chantier pharaonique ». Vincent Rossi, délégué CGT de Flamanville, lui aussi présent depuis 2009, souligne que « les salariés sont ultramotivés, engagés dans un marathon qui devrait mener au couplage du réacteur au réseau lorsqu’il aura atteint 25 % de sa puissance nominale ».
Une perte de compétences sous-estimée
Comment expliquer que ce réacteur démarre avec treize années de retard sur le planning initial ? Les causes sont multiples, et pas unique ment imputables au maître d’ouvrage EDF. Comme l’indique la première lettre du sigle EPR pour European Pressurized Reactor, le réacteur a été conçu dans les années 1990 en tant que projet franco-allemand, ce qui a supposé de rapprocher les cultures industrielles différentes de Framatome et de Siemens.
Mais « le retrait de Siemens, à la suite de la décision allemande de sortie du nucléaire après l’accident de Fukushima, a contraint Framatome à assumer seul des choix qui avaient été conçus comme des compromis diplomatiques autant que techniques, car le travail d’étude était trop engagé pour revenir en arrière », décrypte Jean-Luc Magnaval, ancien élu CGT au CSEC d’EDF.
De l’avis général, la perte de compétences liée au fait que plus aucun chantier nucléaire n’a été lancé en France pendant près de vingt ans avait été sous-estimée par EDF. Dans certains métiers, comme la soudure, il était devenu très difficile au début des années 2010 de trouver des professionnels qualifiés au niveau d’exigence d’un chantier nucléaire. Les mises en garde syndicales n’avaient pourtant pas manqué.
2011, « année horrible »
Dès l’enquête d’utilité publique conclue en 2006, la CGT rappelait dans son cahier d’acteur que la construction d’une centrale nucléaire nécessite dix ans, là où EDF annonçait un objectif de cinq ans. Aujourd’hui encore, la CFE Énergies témoigne que « la précipitation à engager les chantiers de Flamanville et de Hinkley Point [EPR construit au Royaume-Uni par EDF avec un partenaire chinois, ndlr], pour de sombres raisons sans lien avec la moindre logique industrielle, s’est révélée mortifère pour EDF et l’industrie nucléaire française ».
Surtout, l’EPR de Flamanville aurait dû être une tête de série, suivie de la construction d’un à deux réacteurs par an à partir de 2015. Or, rien de tel n’a été entrepris, en raison de l’objectif affiché durant le quinquennat de François Hollande et le premier mandat d’Emmanuel Macron de réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique français.
Enfin, les dix-sept années de chantier ont été marquées par des mobilisations continues, que décrit bien l’ouvrage « EPR Flamanville. Un chantier sous tensions », rédigé par les militants CGT Jean-Charles Risbec, Jack Tord et Jean-François Sobecki. Quatre ans après le premier béton, le constat du fiasco était déjà flagrant, avec « deux accidents mortels, les révélations dans la presse de la sous-estimation des accidents du travail et des pratiques frauduleuses permises par le recours aux travailleurs détachés dans l’Union européenne ».
Ce n’est qu’après cette « année horrible » 2011 qu’EDF reprit tant bien que mal la main sur un chantier qui lui échappait totalement. La mobilisation syndicale est parvenue à faire condamner en justice Bouygues, principal sous-traitant de génie civil, pour travail dissimulé.
L’obligation de nouveaux chantiers socialement responsables
« EDF avait perdu l’habitude de diriger d’aussi grands chantiers, et de mener des contrôles efficaces sur les sous-traitants, relève Laurent Estienne. Si on avait eu une activité continue, massive, les gens seraient passés de chantier en chantier. Il y aurait eu un effet de série. »
Cet effet de série va-t-il enfin se mettre en place avec le programme EPR 2 de construction de six nouveaux réacteurs nucléaires en France ? Se félicitant du démarrage de l’EPR de Flamanville, FO Énergie déclarait en octobre dernier devant le comité de groupe Edvance (l’architecte de l’îlot nucléaire des réacteurs de type EPR) : « Nous constatons que ce long périple a permis, malgré tout, de reconstruire un socle solide de compétences qu’il faut, maintenant, fidéliser. Dans ce sens, les projets Hinkley Point C, EPR 2 ou Sizewell C [autre EPR construit par EDF au Royaume-Uni, ndlr] offrent des perspectives sur le long terme aux salariés. »
Les chantiers EPR 2 se devront en tout cas d’être socialement responsables. Deux exemples pourront être mis à profit : celui de la charte sociale des chantiers des Jeux olympiques de Paris, qui a permis de diviser par quatre le nombre d’accidents du travail ; et le retour d’expérience du label « grand chantier » accordé par le gouvernement à Flamanville de 2008 à 2022, pour assurer la fidélisation des salariés par l’amélioration des garanties collectives et les possibilités de transfert de site en site avec maintien du contrat de travail. Ce sont là des enjeux du futur contrat de filière nucléaire, aujourd’hui en cours de discussion.
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