Le 15 juillet dernier, le festival Contre courant était entièrement dédié aux jeunes des colos CCAS environnantes. Atelier de la pensée (à Avignon), musique, arts de la rue et autres surprises sur l’île de la Barthelasse.
A 11 h, la cour arborée de la faculté des sciences d’Avignon offre un îlot de verdure aux volontaires venus penser la relation entre public jeune et création théâtrale. Ce deuxième atelier de la pensée proposée par la CCAS et la CMCAS d’Avignon en partenariat avec le Festival d’Avignon est ouvert à tous. Une quarantaine de festivaliers s’installent. Parmi eux, quinze jeunes de la colo « Jeunes critiques théâtre ». Peut-on vraiment parler d’une spécificité du théâtre jeune public ? En quoi les contextes variés (scolaire, théâtre, centres de vacances ou de loisirs, appartements*…) dans lesquels les artistes vont à la rencontre du jeune public influent-ils sur la création artistique et le rapport à l’œuvre ? Ouverture du débat. « Les démarches que nous faisons auprès des publics jeunes sont nourrissantes à plus d’un titre, expliquera d’emblée Olivier Letellier, auteur, metteur en scène et directeur artistique du théâtre du Phare. Parce qu’ils nous questionnent, nous donnent leur point de vue, ce qui nous permet de rendre notre message plus universel. Ils parlent des sujets qui les touchent avec leur énergie. »
Lorsqu’en 2004, il reçoit une commande du théâtre du Pélican à Clermont-Ferrand pour travailler un texte jeunesse sur l’amour et la sexualité, l’auteur Luc Tartar accepte sans hésiter. « J’ai alors mené des ateliers d’écriture avec des adolescents dans le but d’élaborer ensemble un dictionnaire du nouveau langage amoureux. Renommer le corps, les situations, les sentiments, les vêtements, etc, avec des définitions parfois poétiques, parfois décalées. Ce travail, ce corps à corps avec la langue, m’a tellement interpellé que ma pratique actuelle en découle. Faire travailler les jeunes ainsi est une manière de comprendre comment ils pensent le monde, la langue… Même si au début, l’atelier d’écriture, c’est la panique pour eux. » Dans tous ces contextes, c’est l’accès à l’imaginaire qui compte, insistent les débatteurs, pas la chasse à la faute d’orthographe. Essayer de faire toucher du doigt aux individus qu’ils ont cette capacité d’accéder à un imaginaire, à une langue reste un acte politique. Les témoignages pointent aussi du doigt cette nécessité de ne pas s’enfermer dans l’entre-soi des créateurs.
La deuxième partie de cette journée se déroule sur l’île de la Barthelasse, entièrement réservée aux jeunes. Pas d’adultes, à part les équipes d’encadrement, les artistes, les techniciens. Et les cigales. A 18 h, les voix des 124 jeunes festivaliers couvrent à peine leur chant. Pour commencer, petite sieste sonore dans les transats. Un casque sur les oreilles, le « spectateur » voyage à travers des paysages sonores jusqu’alors inaudibles. Une expérience inédite… qui en mène certains jusque dans les bras de Morphée !
A 19 heures, une heure en compagnie des mélodies du Julien Alour Quartet. Et à 22 heures, « Mon amour, ma béquille, ma bataille », de la compagnie L’automne Olympique. Étrange spectacle de clowns et d’acrobates où il est question d’orthèse, d’empêchement, d’aide. À travers eux, nous prenons conscience de la gêne causée par un membre immobilisé et de notre dépendance les uns des autres.
« Une journée marathon, avouait Pascale Bérodias, présidente de la cmcas d’Avignon, s’adressant aux jeunes, mais qui doit vous permettre de découvrir de multiples processus créatifs et d’être curieux. Donnez-nous votre avis, exprimez-vous. Car nous continuons à faire le pari qu’un monde meilleur est possible mais ce sera aussi vous qui le ferez. » Une injonction qui faisait écho aux propos du directeur du festival d’Avignon, Olivier Py, qui déclarait quelques jours plus tôt. « Il faut agrandir le destin de chacun avec le destin de l’autre, offrir une alternative au communautarisme, promouvoir l’amour de l’esprit, donner sa chance à toutes les formes d’intelligence, faire que les enfants de notre pays ne rêvent pas uniquement d’être milliardaires, mais d’être au monde dans l’ouverture et la joie.» C’est bien le chemin que tracent les soirées étoilées de Contre courant cet été jusqu’au 19 juillet.
Ils participent à la colo « Jeunes critiques théâtre ». Spectacles, débats, rencontres… les jeunes écrivent leurs critiques qui sont ensuite publiées sur le blog des Parle en direct de l’île de la Barthelasse.
Justine, 17 ans, Toulouse « Je suis en 1ere et j’ai pris option théâtre parce que j’aime tout ce qui est spectacle et le monde des arts en général. Cette année, j’ai vu une bonne dizaine de spectacles au TNT de Toulouse avec mon prof. Je vais aussi assister à des spectacles dans les villages environnants. Hier soir, on a vu Ubu roi. C’est un texte que je connais par cœur, je l’ai joué à l’école. Ici le parti pris est très moderne et c’est passionnant de pouvoir comparer les mises en scène. La rencontre après le spectacle est riche, parce qu’ils nous expliquent leurs choix scéniques. Je ne suis venue en colo que pour ce festival. J’aimerai bien me diriger vers un métier du spectacle…»
Lukas, 15 ans, Montlhéry « Je n’étais jamais allé au théâtre mais j’ai monté plusieurs spectacles avec mon frère pour les présenter à nos parents. Depuis le début de la colo, nous allons presque tous les jours voir un spectacle, à Avignon ou Contre courant. Le but : apprendre à porter un regard critique sur ce que l’on voit. Essayer d’aller au delà du « j’aime « ou « j’aime pas » en justifiant ce qu’on dit à travers nos impressions, le sentiment d’être touché, de découvrir quelque chose. On fait aussi d’autres activités théâtre et, si on a le temps, on présentera une petite pièce à Avignon… Ce qui m’a plu ? Ubu roi, d’Alfred Jarry. La mise en scène est drôle, ça parle de guerre mais il n’y a pas d’armes. J’ai trouvé le débat de ce matin intéressant. Et je partage l’avis de l’auteur : c’est important d’intégrer nos intérêts (par exemple sur l’amour et la sexualité) dans le théâtre qu’on propose aux jeunes. Il ne faut pas laisser ces sujets de côté. Je fais cette colo parce que je suis timide. Cette expérience me fait beaucoup de bien : cela me permet de m’exprimer à l’écrit comme à l’oral. »
Camille, 16 ans, Toulouse « Le théâtre est ma passion, j’en ai fait pendant cinq ans au théâtre Jules Julien de Toulouse. Jouer est un régal même si les répétitions sont parfois ennuyeuses, je m’amuse. Avec mes cousins, on invente souvent des spectacles que l’on joue en famille. Lundi, j’ai vu Aimer si fort, mis en scène par Guy Alloucherie. Je l’ai sévèrement critiqué, j’ai détesté les rythmes violents, agressifs. C’est ce qui me plaît beaucoup ici, pouvoir discuter des pièces, entre nous et avec les équipes de comédiens. On est plongés dans l’ambiance du festival qui est vraiment très agréable.»
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