« L’ami Y’a bon » ne rit plus : il pense, il échange, il gronde. Le programme de la plus longue « semaine » de l’année est à l’image du tirailleur sénégalais de son affiche 2017 : meurtri, mais libre et (très) révolté. Du 4 au 20 mars à Paris, la Semaine anticoloniale conjuguera politiques et poétiques de la résistance, au travers de projections, débats et fêtes. Point d’orgue ce week-end à La Bellevilloise, à Paris, avec l’Afaspa.
« En plein état d’urgence, cette Semaine anticoloniale et ses débats d’idée ont vraiment du sens » indiquait Michèle Decaster, secrétaire générale de l’Association française de solidarité avec les peuples d’Afrique (Afaspa), membre du réseau Sortir du colonialisme, à l’origine du festival. « L’état d’urgence est toujours instauré pour de mauvaises raisons, surtout quand il dure ! » ajoutait-elle… il y a un an déjà. Festival militant, la Semaine anticoloniale et antiraciste organise tous les ans la mise en commun des luttes, l’hommage aux victimes et la fraternité entre les peuples : autant de domaines dont la mémoire est bien plus qu’un devoir, mais une nécessité.
Histoires de luttes
Durant cette Semaine anticoloniale, il sera beaucoup question d’histoire. Mais d’histoires plurielles, et à rebours du roman national que certains voudraient réécrire (colloque « Notre histoire n’est pas un roman« , le 11 mars). Il sera question de luttes passées (insurrection malgache de 1947, les 5 et 29 mars), de luttes actuelles et encore à mener (sortie du Franc CFA, les 4 et 10 mars).
Il sera question de femmes en résistance (le 8 mars). On jettera des ponts entre les peuples : Sahraouis, Kanaks, Rroms, Kurdes, Algériens, Indonésiens, Palestiniens, Malgaches, Sioux Lakota… Une voix pour les peuples colonisés et sans État, les minorités nationales, mais aussi pour les prisonniers politiques, les victimes de crimes racistes, de crimes coloniaux ou policiers.
On pleurera toutes les victimes des violences d’Etat, devenues symboles collectifs (Ben Barka, Ali Ziri) ou celles, trop nombreuses, anonymes. Et on lèvera le poing. Le 19 mars, une marche pour la justice et la dignité contre les violences policières partira de la place de la Nation à Paris, à l’appel des familles des victimes. En plein état d’urgence, et après la révolte populaire contre l’impunité des auteurs le viol présumé de Théo L. lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Le week-end prochain à Paris, le prix du colonialiste 2017 sera remis au cours du Salon anticolonial. En lice, une majorité d’hommes et de femmes politiques, dont certains candidats à la présidentielle, pour lesquels on peut encore voter… ou pas.
Trois questions à Michèle Decaster, secrétaire générale de l’Afaspa
La France est encore en état d’urgence, c’était le cas aussi lors de la dernière édition de la Semaine anticoloniale et antiraciste… Le climat social et envers les minorités s’est dégradé ?
L’état d’urgence permet d’instiller un climat de peur dans la tête des gens, et d’instaurer des pratiques antidémocratiques. On est dans une situation très difficile au niveau des droits de la personne. C’est pour cette raison que la manifestation du 19 mars sur les libertés devrait être très importante : cela concerne les gens qui vivent en France et qui préféreraient être chez eux, qui sont sans papiers, les gens qui sont victimes des violences policières… Toute la population est concernée. Même si on a encore le droit de manifester.
Vous interpellez régulièrement le gouvernement sur la question coloniale, sa mémoire et les réparations. Récemment, vous vous êtes adressé aux candidats à la présidentielle.
On attend que les candidats se positionnent sur ces questions précises. Il y a la question des pratiques néocoloniales de la France qui mettent en cause la paix mondiale. On l’a vu avec l’intervention en Libye et ses conséquences en matière de terrorisme et de guerre civile. Au-delà, le pillage des ressources et l’accaparement de terres des pays africains conduisent à une paupérisation, à du chômage, à la famine : cela amène des migrations, dont on se plaint [en Europe]. Et c’est une nouvelle saignée du continent africain.
Il y a aussi une question de mémoire et d’histoire, qu’on cache et qu’on falsifie. Il n’est pas question de « repentance », terme employé pour dénaturer le message, qui est une histoire de reconnaissance. C’est faire la lumière sur les massacres perpétrés dans les colonies françaises, mais également sur les assassinats politiques qui ont eu lieu sur le territoire français (d’Africains ou de démocrates d’autres pays), des gens assassinés pour lesquels aucune enquête n’a abouti. Un ensemble de documents sont encore classés secrets : c’est très grave. Rétablir cette histoire, c’est important aussi pour la population française qui a une histoire liée aux colonies.
Il y a une réelle différence en matière de politique étrangère entre les candidats ?
On la cherche : François Hollande s’est illustré au tableau d’honneur sur les mêmes positions que son prédécesseur. Il a continué les mêmes interventions militaires, il n’a pas lâché les dictateurs. Il vient de recevoir [le 28 février dernier] le dictateur de Djibouti, le président Ismaël Omar Guelleh. Il continue d’être le garçon de courses pour les grosses entreprises françaises. C’est aussi le cas, de manière prégnante, pour certains candidats à la présidentielle de 2017… Ce n’est pas de bon augure pour l’avenir.
Programme de la Semaine anticoloniale avec l’Afaspa4 et 5 mars – Salon anticolonial 5 mars – 60e anniversaire de l’insurrection malgache 8 mars – Soirée Femmes en résistance 14 mars – Mardi du cinéma de l’Afaspa 19 mars – Marche pour la justice et la dignité 29 mars – Autour de l’insurrection malgache (1947-2017) |