Ancien président de la Mutualité française, Étienne Caniard a participé aux États généraux de la santé en 1999. Aujourd’hui membre du Conseil économique, social et environnemental, il revient sur le chemin parcouru.
Presque dix-huit ans après les États généraux de la santé, le patient est-il un citoyen acteur de sa santé ?
Il l’est davantage. Le paternalisme médical a reculé. Les patients plus informés voient leurs droits mieux reconnus. Ce mouvement ne se situe pas en opposition aux soignants. Il est la conséquence des performances que l’on peut légitimement attendre de la médecine. Et l’« expertise » du malade se développe autour des pathologies chroniques.
L’accès au dossier médical est-il devenu une formalité ou est-ce que cela pose encore des problèmes ?
Les progrès ont été considérables. Mais certaines difficultés subsistent. On devrait différencier les demandes urgentes, où un second avis médical est nécessaire, des autres demandes.
La loi de 2004 a prévu la généralisation du dossier médical personnel (DMP). Qu’est-ce que cela a changé en pratique ?
Nous n’avons jamais su définir ce que doit précisément être le dossier médical. Un outil de coordination entre les différents soignants ? Un dossier personnel dont le patient est responsable ? Un dossier permettant de sécuriser les interventions urgentes et non programmées ? Tant que nous ne définirons pas précisément les usages du dossier, nous serons tentés par la recherche d’une exhaustivité illusoire et devenue techniquement inutile.
Le médecin doit-il tout dire à son patient ?
Le droit de savoir n’est pas absolu. Il est plus facile de définir les circonstances dans lesquelles le médecin doit tout dire à son patient que celles dans lesquelles il peut cacher des informations. Lorsque le patient exprime le droit de tout savoir, sans ambiguïté, le médecin doit répondre à son attente. Toute information doit être accompagnée d’explications et être délivrée avec empathie. Les médecins doivent apprendre comment annoncer un diagnostic, il existe d’ailleurs des recommandations à ce propos.
Pensez-vous qu’il est nécessaire d’organiser de nouveaux États généraux de la santé ?
Le besoin de débat est toujours aussi présent. Nous n’abordons généralement les questions de santé que sous la pression d’un événement, souvent malheureux, et sous le coup de l’émotion. Il faut ouvrir des débats publics sur les choix éthiques, sur l’organisation des soins la mieux adaptée, sur les contradictions entre proximité et qualité, sur les conditions du maintien à domicile en fin de vie…
Le dossier médical, c’est quoi ?
La notion de dossier médical apparaît au XVIIIe siècle. Il a beaucoup évolué avec le temps, mais ne connaît toujours pas de définition précise. Il est à différencier du dossier pharmaceutique et du dossier médical partagé (DMP) accessible à tout bénéficiaire de l’assurance maladie. Le patient dispose d’un dossier médical par médecin.
Il peut être composé par : les résultats d’examens ; les comptes rendus de consultations, d’interventions, d’hospitalisations ; les soins et médicaments ; les correspondances entre les professionnels de santé. Le dossier médical peut être demandé auprès du professionnel de santé ou de l’établissement de santé qui devra répondre dans un délai de 8 jours.
Le médecin peut-il nous faire tout avaler dès lors que nous lui en donnons le pouvoir ?
« Cabricias arci thuram, catalamus, nominativo hæc musa »… En inventant un « médecin malgré lui » au sabir abscons, au diagnostic et aux remèdes foutraques (du pain trempé dans du vin avec du fromage), Molière interroge notre besoin d’être soigné et notre rapport au savoir médical.
Dès 1923, Jules Romains dans « Knock ou le Triomphe de la médecine » enfonce l’aiguille et livre une comédie grinçante qui fait de la médecine une manipulation à dessein commercial. « Ne confondons pas : est-ce que ça vous chatouille ou ça vous gratouille ? », s’enquiert Louis Jouvet, campant le médecin de campagne prêt à rendre malade toute la circonscription afin de grossir sa clientèle. Comment résister à tant de lumière médicale lorsqu’elle nous prévient : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ! »
Presque cent ans plus tard, la série « Docteur House » a pour personnage central un médecin bourru, d’apparence cynique et aux méthodes peu conventionnelles. Selon lui, « nous sommes tous pathétiques, c’est ce qui rend la vie intéressante ». Poussant (harcelant) malades et soignants jusque dans leurs plus lointains retranchements, il exhorte chacun – spectateur compris – à développer sa capacité de réflexion. Un effort collectif qui va sauver – le plus souvent – le patient.
« Les gens ne veulent pas de médecin malade. Je comprends. Moi, je ne veux pas de patient en bonne santé », plaide-t-il pourtant.