À la veille d’un comité interministériel capital pour l’avenir du tourisme social, Michelle Demessine, présidente de l’Union nationale des associations de tourisme (Unat), analyse l’impact de cette crise sanitaire et sociale inédite sur le secteur, entre incertitude et optimisme.
L’Unat en bref
Créée en 1920, l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat) représente aujourd’hui les principaux acteurs touristiques à but non lucratif engagés en faveur du départ en vacances pour le plus grand nombre.
L’Unat a récemment publié une série de propositions du tourisme social et solidaire pour accompagner le secteur durant la crise sanitaire et soutenir le droit aux vacances.
Quel regard portez-vous sur la situation et la gestion politique d’une telle crise sanitaire et sociale ?
Nous vivons une situation sans précédent, puisque cette crise est planétaire. D’où une certaine difficulté à gérer une problématique à laquelle nous n’avons jamais été confrontés. Mais la question que je me pose est : que sera l’après ? Cette crise appelle des changements fondamentaux sur des enjeux économiques, sociétaux et environnementaux. Au cœur desquels l’indispensable réduction des inégalités que l’accès impossible aux vacances illustre parfaitement.
La crise a révélé encore plus les failles qui mettent en danger les valeurs fondamentales de notre république, valeurs dont fait partie le droit aux vacances. Cela dit, en tant que ministre, j’ai été confrontée, dans une moindre mesure, à une situation terrible, due au naufrage du pétrolier « Erika » en 1999 et à ses conséquences fâcheuses pour le littoral atlantique, complètement souillé. À l’époque, il était impossible d’entrevoir une saison touristique normale !
Pourtant face à l’angoisse terrible des acteurs du tourisme, et des élus locaux, inquiets pour la vie économique de leurs territoires, j’ai mesuré leur formidable capacité de mobilisation, de solidarité… Et j’ai été assez admirative devant leur faculté à surmonter l’épreuve pour réussir l’improbable. À savoir faire en sorte que la saison ait lieu. Comme quoi, le peuple est capable de résister et de prendre en main son destin !
Comment mesurez-vous l’impact de ces deux derniers mois sur le tourisme social et ses conséquences directes en termes d’emploi ?
Le gouvernement a été amené à prendre des mesures et à décider de moyens à disposition des entreprises. Pour l’instant le chômage partiel fonctionne… La zone blanche, ce sont les saisonniers titulaires : nous avons adressé un courrier à la ministre du Travail, pour clarifier leur situation et faire respecter leurs droits.
Nous avons aussi beaucoup agi pour que les secteurs associatif et de l’économie sociale et solidaire n’échappent pas aux prêts garantis par l’État, et au fonds national de solidarité pour les PME qui s’ouvre à toutes les entreprises du tourisme. De plus, des moyens nouveaux pour le tourisme devraient être mis en œuvre, avec notamment un fonds via la Caisse des dépôts, qui serait à la fois un fonds d’investissement à très long terme et un fonds de sauvegarde.
Car l’idée est de travailler à maintenir l’offre, mais aussi à soutenir la demande. L’économie touristique repose, de toute façon, sur ce concept ! Celui de « booster » la demande pour développer l’offre. Et avec tous ceux qui sont encore exclus du droit aux vacances, il y a du pain sur la planche !
À la veille du comité interministériel, le tourisme social est-il, selon vous, une priorité ? Ne craignez-vous pas qu’il soit sacrifié au profit du tourisme marchand, et plus largement à l’économie libérale et à la finance ?
Le tourisme social a toute sa place dans l’économie touristique. Il a d’ailleurs été souvent vecteur d’innovation dans le domaine touristique. Bien sûr, avec la vague libérale de ces dernières années, il a dû âprement batailler pour préserver ses valeurs et démontrer que ses capacités d’accueil pour tous les âges de la vie, ses compétences dans le domaine du vivre ensemble et son engagement pour le droit aux vacances pour tous étaient utiles et indispensables. Surtout si l’on considère que le temps des vacances est celui du partage et de l’émancipation, indispensables au bien-être de notre société.
Or, le secteur marchand n’a pas forcément cette vocation. Au regard des enjeux et de la sortie du confinement, notre utilité n’est plus à démontrer. Car après d’autres modèles, nous exerçons en quelque sorte une mission de service public, utile lorsqu’on sait que plus de 40 % de la population n’a pas accès aux vacances.
La volonté des Français·es de « souffler » après ce confinement est-elle une opportunité pour le tourisme social de s’affirmer davantage ?
C’est ce que nous portons dans le cadre du comité interministériel qui doit avoir lieu le 14 mai, notamment à travers une série de propositions. Ce comité est intéressant car, pour la première fois, il devrait traiter de la question du droit aux vacances, sujet sur lequel nous interpellons, avec nos propositions, ce gouvernement depuis deux ans. Or, en la matière, si le tourisme social a toujours été une solution, il a fallu finalement une crise d’ampleur inégalée pour que le gouvernement comprenne que nous avions des solutions pour des vacances de qualité, accessibles au plus grand nombre, au cœur de nos territoires, et porteuses de sens et de valeurs.
C’est donc, pour nous, une réelle opportunité pour démontrer notre savoir en matière d’accueil, d’animation, de mixité, de rencontre et de découverte. Mais il faut être lucide sur notre situation économique et sociale et sur celle des Français. Où en serons-nous début juin, même si nous sommes prêts ? C’est là que nous allons mesurer cette capacité d’adaptation pour en tirer, également, des bénéfices futurs.
Dans ce contexte, quelles seraient, en cas de « deuxième vague » de contamination, les répercussions d’un scénario catastrophe, à savoir une « saison blanche » ?
Elle serait dévastatrice pour le secteur tant sur les plans économique que social et culturel. Il faut à tout prix l’éviter en permettant une réouverture dans les meilleures conditions sanitaires et dans les meilleurs délais. Car les dommages seront difficiles à résorber.
Le tourisme social bénéficie aujourd’hui d’implantations sur tout le territoire, notamment sur les plus beaux sites de la première destination touristique au monde, à savoir la France. Grâce au tourisme social, ces sites à la réputation internationale sont accessibles aux vacanciers de toute condition sociale ! Il faut donc résister, préserver le patrimoine pour garantir l’accès de tous à la beauté et à la richesse culturelle et géographique de notre pays. Les acteurs de l’Unat travaillent ensemble pour cela.
Le confinement devra rester une parenthèse dans notre vie. Il nous faut maintenant œuvrer avec tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire, au premier rang desquels les acteurs de l’éducation populaire, pour que nos modèles non lucratifs, démocratiques, respectueux des humains et des territoires soient mieux connus et deviennent la norme.
Après cette crise, l’économie sociale et solidaire doit occuper l’espace qui est le sien et se fixer des objectifs ambitieux en démontrant que nous avons des réponses. Cette aspiration des Français·es aux congés, au vivre ensemble, à échanger avec autrui pose un acte politique sur les vacances que l’on n’a pas connu depuis longtemps. Et cela peut permettre de développer encore plus la question du départ en vacances et son caractère fondamental pour les familles.
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