Durant la Seconde Guerre mondiale, le chantier du barrage de l’Aigle, sur la Dordogne, a été un foyer de résistance des plus actifs. Il a été, en effet, le lieu d’une implication d’antifascistes de toute l’Europe, avec la présence de nombreux Espagnols.
L’aménagement hydroélectrique de la vallée encaissée de la Dordogne, qui sépare le Cantal de la Corrèze, est une des grandes affaires de l’entre-deux-guerres. En 1935, le barrage de Marèges, un des plus imposants de France, est inauguré.
Quelques dizaines de kilomètres en aval, la société d’économie mixte (SEM) Énergie électrique de la moyenne Dordogne (EEMD) lance les travaux préparatoires à la construction d’un nouveau barrage, tout aussi imposant, sur le site de la chute de l’Aigle. Mais quand la guerre éclate, en septembre 1939, seule la galerie de dérivation du fleuve, longue de 225 mètres et de 10 mètres de diamètre, est achevée.
Après la défaite française du printemps 1940, les travaux reprennent de plus belle. Le régime de Vichy, qui contrôle la zone sud non occupée du pays, manque cruellement d’énergie, car les grandes houillères du Pas-de-Calais sont sous contrôle allemand. L’équipement hydroélectrique n’en devient que plus urgent.
Mais la main-d’œuvre fait défaut, alors que plus d’1,5 million d’hommes sont retenus prisonniers en Allemagne. Ce sont donc des groupements de travailleurs étrangers (GTE), créés par le nouveau régime de Vichy, afin d’encadrer sur un mode semi-militaire les étrangers résidant en France, qui sont envoyés sur le chantier.
Au sein des GTE, les républicains espagnols sont majoritaires, mais on y trouve aussi des Italiens ayant fui le fascisme, ou des Polonais exilés qui ont tous de nombreuses raisons de haïr le nazisme. Au total, quelque 1 500 travailleurs, certains avec leurs familles, vivent dans les baraquements de la cité d’Aynes pour travailler à l’édification du barrage.
La résistance s’organise
Le chantier avance bien, mais l’occupation par les Allemands de la zone sud en novembre 1942 vient tout bouleverser. Si l’occupant s’est solidement installé au barrage de Marèges, il ne place cependant pas de troupes sur le chantier de l’Aigle. Mais chacun sait que la menace plane. La résistance, de son côté, s’organise.
Un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées travaillant sur le chantier, André Decelle (qui sera directeur général d’EDF de 1962 à 1967), prisonnier évadé, est en lien avec l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), construite au sein de l’armée de Vichy (dissoute au moment de l’invasion de la zone sud) par les militaires souhaitant poursuivre le combat contre l’Allemagne. Il en est le délégué départemental pour le Cantal, connu comme le « commandant Didier ».
Sous son impulsion, le chantier du barrage de l’Aigle devient une des places fortes de l’ORA. La tactique de l’organisation s’oppose en tous points à celle des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) proches des communistes, très implantés en Corrèze. Là où ces derniers privilégient l’action immédiate de guérilla contre l’occupant, l’ORA entend se préparer minutieusement pour ne déployer son activité qu’après le débarquement allié.
En juin 1944, l’ORA du barrage de l’Aigle, équipée grâce à plusieurs parachutages, entre en action. Ses hommes se fondent avec ceux des FTPF et de l’Armée secrète, pour former les Forces françaises de l’intérieur (FFI) qui harcèlent les troupes allemandes. Plusieurs batailles rangées ont lieu dans les environs du barrage, qui ne tournent pas toujours à l’avantage de la Résistance, mais qui parviennent à éviter les massacres de civils qui ensanglantent Tulle ou Oradour-sur-Glane.
Comme l’ensemble du Sud-Ouest, la région du barrage de l’Aigle se libère seule de l’occupant, sans l’intervention des troupes alliées. Une partie des hommes du commandant Didier s’engage ensuite dans l’armée française reconstituée qui ira jusqu’au coeur de l’Allemagne combattre le nazisme. Quant au barrage, il entrera en service en octobre 1945, quelques mois après la fi n de la Seconde Guerre mondiale.
À voir : les maquettes en eaux vives
Outre la visite du barrage lui-même, le site de l’Aigle mérite le détour pour les maquettes en eaux vives qui ont servi de banc d’essai aux ingénieurs, notamment pour la mise au point des évacuateurs de crue au profil de saut de ski.
Au petit village d’Aynes, en aval, une baraque reconstituée montre la vie des milliers de travailleurs du chantier.
À Chalvignac, quelques kilomètres plus haut, le buron de la Résistance, en face de la mairie, évoque à travers des objets du quotidien, la vie clandestine des combattants de l’ombre.
Enfin, le musée départemental de la Résistance Henri Queuille de Neuvic, à une vingtaine de kilomètres, replace l’action résistante du barrage de l’Aigle dans le contexte plus général des maquis de Corrèze. Il porte le nom du ministre de l’Agriculture de l’entre-deux-guerres, un notable local qui rejoignit de Gaulle en 1943 et fit beaucoup pour l’équipement hydroélectrique de la vallée de la Dordogne.
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