Anatomie du clitoris : « En classe, les filles sont souvent scandalisées d’apprendre que le manuel est faux »

Anatomie du clitoris : "En classe, les filles sont souvent scandalisées d’apprendre que le manuel est faux" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 60644 ©Camille Besse

©Camille Besse

Aujourd’hui en France, un seul manuel scolaire de SVT représente le clitoris tel qu’il est : un organe de dix centimètres. Au XXIe siècle, à l’heure des IRM et des images de synthèse, les planches anatomiques dans les manuels scolaires continuent majoritairement à le limiter à un simple bouton… lorsqu’elles le représentent !

À la rentrée 2017, les Editions Magnard ont corrigé une « erreur » dans les manuels scolaires de sciences de la vie et de la Terre (SVT). Pour la première fois, un manuel scolaire (un seul !) représente correctement le clitoris dans le schéma de l’appareil génital expliqué aux enfants et adolescents. Alors que cet organe mesure environ 12 cm de long sur 7 de large, il était jusqu’ici symbolisé par un petit bouton de 1 cm, quand il n’était tout simplement pas ignoré ! Le pénis, lui, a toujours été correctement et entièrement représenté.

Court métrage d’animation sur l’histoire du clitoris, par Lori Malépart-Traversy, de l’école de cinéma de l’université Concordia de Montréal. © Lori Malépart-Traversy, 2016

Comment, à l’heure des IRM, des échographies et des images de synthèse peut-on continuer à enseigner des schémas anatomiques incorrects ? « Le programme scolaire est vague, explique Alexandre Magot, enseignant en SVT au lycée français de Barcelone, il se résume en une ligne : parlez des organes génitaux. Les éditeurs de manuels scolaires ont donc une grande responsabilité, car ils reproduisent un tabou. » Alexandre Magot a cofondé le collectif SVT Égalité, qui regroupe des enseignants et enseignantes soucieu·ses de promouvoir un enseignement plus égalitaire et de mieux représenter la diversité (qu’elle soit liée au genre, à l’origine socioculturelle ou au handicap, entre autres) sans la réduire à des stéréotypes.

Le site SVT Égalité met ainsi à disposition du corps enseignant des documents, notamment des schémas de l’appareil génital féminin complet, « qui font partie des documents les plus partagés », remarque Alexandre Magot, précisant que « cela correspond à un manque ». Le site propose également de fabriquer un modèle de clitoris en trois dimensions, mis au point par Odile Fillod, chercheuse indépendante et auteure d’un observatoire critique de la vulgarisation scientifique, Allodoxia.

En 2016, après avoir analysé les biais sexistes dans les manuels de SVT et s’être aperçue que le clitoris n’était jamais représenté correctement, Odile Fillod a conçu un modèle de clitoris imprimable en 3D, dont le fichier est téléchargeable librement depuis le site FabLab Carrefour numérique² . « N’ayant pas les compétences techniques pour créer le modèle 3D, raconte-t-elle, j’ai eu recours au Carrefour numérique de la Cité des sciences de la Villette. J’ai eu des retours très positifs de diverses catégories de personnes qui l’utilisent : enseignants de SVT, intervenants en éducation à la sexualité au collège et au lycée, médecins… »

Anatomie du clitoris : "En classe, les filles sont souvent scandalisées d’apprendre que le manuel est faux" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | clitoris3d©Marie Docher

Modèle en trois dimensions d’un clitoris réalisé par Odile Fillod, librement reproductible (Source : projet clitoris, site FabLab Carrefour numérique²) ©Marie Docher

Alexandre Magot utilise ce clitoris en 3D en classe : « Les parents sont supercontents, en général, qu’on aborde ce sujet avec les élèves. Même si certains enseignants sont encore un peu frileux ! » Et les élèves ? « Je recontextualise le sujet, je ne parle pas du clitoris comme ça ! Nous devons composer avec l’expression de leur malaise, qui se manifeste de manière plus ou moins perturbatrice, sourit-il. Les filles sont souvent scandalisées d’apprendre que le manuel est faux. »

Excisé au propre et au figuré

Le clitoris, organe connu depuis l’Antiquité, a disparu des représentations ou planches d’anatomie assez récemment. Pourquoi ? Parce que pendant très longtemps on a associé plaisir et reproduction : on pensait que sans plaisir il ne pouvait y avoir de conception. Ainsi, depuis le XVe siècle, le clitoris est identifié comme l’organe du plaisir féminin. Les choses changent à la fin de la Renaissance en pleines guerres de Religion opposant catholiques et protestants, qui se lancent dans une surenchère de répression de la sexualité et du plaisir. Quand la nécessité du plaisir dans la reproduction est démentie par les découvertes scientifiques, le clitoris est alors diabolisé. La clitoridectomie, ablation partielle ou totale du clitoris, commence à se pratiquer d’abord en Angleterre et en Allemagne au XIXe siècle, mais aussi en France où elle est notamment préconisée par le célèbre médecin et anatomiste Paul Broca dans le « traitement » de la masturbation féminine, aux côtés de l’infibulation (suture des grandes lèvres).

Anatomie du clitoris : "En classe, les filles sont souvent scandalisées d’apprendre que le manuel est faux" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | Clitoris disséqué par Kobelt en 1844

Gravure de clitoris disséqué par l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt en 1844. Source : BIU Santé.

Signe des temps, dans l’édition de 1848 de l’ouvrage de référence médical anglais « Gray’s Anatomy » le clitoris est représenté parmi les organes génitaux ; dans l’édition de 1948, il a complètement disparu. Il faut attendre 1998 et l’urologue australienne Helen O’Connell pour bénéficier d’une étude approfondie de l’innervation du clitoris, une entreprise que l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt avait pourtant commencée au XIXe siècle. Aujourd’hui encore, peu de travaux scientifiques étudient son fonctionnement… et ses maladies.


Pour aller plus loin

« Le clitoris et son traitement en SVT », d’Alexandre Magot, 2017, sur svt-egalite.fr

Clit’info, site d’information sur l’histoire, l’anatomie et la physiologie du clitoris, édité par Odile Fillod.

« Le Trône des plaisirs et des voluptés : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle », de Sylvie Chaperon, paru dans « Cahiers d’histoire », n° 118, 2012.

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