À l’initiative de l’Union locale des syndicats CGT de la Haute-Lande, les anciens travailleurs de la centrale EDF et du site minier d’Arjuzanx se sont réunis le 28 septembre à Morcenx-la-Nouvelle (Landes) pour inaugurer une œuvre commémorant le passé industriel des lieux et rendant hommage aux victimes de l’amiante.
Trois colonnes imposantes se dressent au bord du lac d’Arjuzanx depuis la fin septembre. Hautes de 4, 5 et 6 mètres, Les Trois Flamboyantes dominent l’ancien site minier devenu réserve naturelle nationale (de 2 500 hectares) et évoquent les cheminées de l’usine d’antan. Elles sont composées de Cofalit, un matériau inoffensif issu de la fusion des déchets d’amiante.
Anciens travailleurs, familles de disparus, syndicalistes d’hier et d’aujourd’hui, personnalités politiques… 400 personnes se sont retrouvées pour l’inauguration de l’œuvre. Il s’agissait de convoquer l’histoire d’Arjuzanx : celle du site, du quotidien des hommes, des combats, de la maladie, des décès, de l’arrêt de la production, du démantèlement, des procès. À écouter les témoignages, à observer les visages graves, les yeux rougis par la douleur et la colère, cette aventure industrielle est apparue comme un tourbillon de vie, de mort, de bruit, de calme, de luttes, d’abandons, de solidarité.
Arjuzanx en 7 dates
- 1958 : décision d’exploiter le gisement de lignite.
- 1959 : ouverture de la centrale thermique.
- 1983 : premiers décès.
- 1992 : fermeture de l’usine.
- 1992 : 900 tonnes d’amiante sont extraites du site.
- 2004 : EDF est reconnue coupable de « faute inexcusable ».
- 2024 : inauguration des Trois Flamboyantes en hommage aux 1 323 agents, 133 victimes et 43 morts.
Un épilogue dans la douleur
Le démantèlement de l’usine, ordonné voilà trente-deux ans, a marqué la fin de l’histoire. La population est passée de 6 000 à 1 500 habitants en quelques semaines. « Nous avons vu fermer les écoles, la piscine, les commerces. La fermeture de la centrale a signifié la fin d’une ville attractive, d’un bassin de vie qui rayonnait jusqu’à l’océan », se souvient Paul Carrère, le maire actuel de Morcenx-la-Nouvelle, qui poursuit : « [À présent], près de 300 000 personnes viennent chaque année traverser ce bel endroit pour s’y promener, courir, se baigner. Il est important de leur signifier que la première empreinte de l’homme, ici, est une empreinte de labeur et de combats. »
Pour l’artiste Valérie Rauchbach, qui a travaillé durant des mois sur Les Trois Flamboyantes, l’œuvre ne pouvait être « qu’à la dimension du sacrifice de tous les travailleurs ». Le projet a pris corps lors d’une rencontre au festival d’Uzeste (Gironde). « Je ne voulais pas d’une stèle, je souhaitais donner libre cours au regard artistique », explique Jacques Ducout, ancien de la mine et initiateur du projet. L’art, parce que c’est « un outil d’éducation populaire qui contribue au devoir de mémoire », complète Dorian Sainte-Marie, secrétaire du syndicat Sud Aquitaine CGT. Lequel rappelle « l’engagement de la CMCAS de Bayonne dans le projet », dix ans après qu’elle a déjà soutenu une pièce de théâtre sur le même sujet.
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Anciens travailleurs, familles de disparus, syndicalistes d’hier et d’aujourd’hui, personnalités politiques… 400 personnes se sont retrouvées pour l’inauguration de l’œuvre, faite de Cofalit, un matériau inoffensif issu de la fusion des déchets d’amiante. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
Une « faute inexcusable » d’EDF
Jean-Claude Dumartin, 92 ans, est le grand témoin de cette épopée avec 30 années passées à travailler à la mine et autant à lutter pour dénoncer le scandale. « Ici, nous avons tous été exposés à l’amiante, confie-t-il. Nous nous connaissons depuis soixante ans et nos retrouvailles lors de cette inauguration exprimaient la solidarité qui nous anime depuis toujours. » De 1959 à 1992, l’ancien contremaître a vu nombre de ses camarades « tomber malades et certains partir à jamais. » Pionnier de la commission amiante de l’union locale, il aura été de toutes les luttes.
« Ici, nous avons tous été exposés à l’amiante » témoigne Jean-Claude Dumartin (à dr.), qui fait partie des 1 323 agents ayant travaillé sur le site, dont 133 ont été victimes de l’amiante, et 43 en sont morts. ©Sébastien Le Clézio/CCAS
Le combat d’Alain Guéret, président de la Coordination des associations de victimes de l’amiante (Cavam), est de condamner : « Ces trois colonnes représentent l’infamie qui pèse sur cette grande entreprise nationale qu’est EDF. Infamie pour ne pas avoir su protéger ses salariés, comme la loi l’y oblige. Infamie pour avoir persisté lors les procès à nier l’évidence. » Si EDF a été reconnue coupable en 2004 de « faute inexcusable » dans ce dossier, les salariés veulent depuis faire reconnaître le préjudice d’anxiété.
Quant à Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT), il appelle les agents à s’engager : « Cette œuvre nous oblige à continuer nos luttes afin que les travailleurs cessent de perdre la vie en la gagnant. » Et de clamer : « Nous voulons une politique pénale du travail plus sévère, qui condamne tous les employeurs responsables d’accidents graves. »
Fabriquer du Cofalit, « un pas important vers un avenir plus sain et plus sûr »
Pour Lionel Lassere, l’inauguration des Trois Flamboyantes a forcément été un moment spécial. « Mon père est parti le premier, en novembre 1983, victime d’un mésothéliome [cancer lié à l’exposition à l’amiante, ndlr]. Ces trois colonnes qui jaillissent de terre sont comme une renaissance pour tous les travailleurs [victimes de l’amiante, ndlr]. »
Selon le secrétaire de l’Union locale CGT, la sensibilisation est aujourd’hui une question cruciale parce que « trop d’entreprises et d’artisans enterrent encore leurs déchets… » Lui, milite pour l’élimination de l’amiante de manière sécurisée, comme le promet la société Inertam, installée à Morcenx, la seule au monde à fabriquer du Cofalit. Afin de « faire un pas important vers un avenir plus sain et plus sûr, qui témoigne de la prise de conscience des dangers de l’amiante et de l’engagement à protéger les générations futures contre ses effets néfastes », poursuit Lionel Lassere.
Si les « gars de la mine » ont eu du mal à se quitter, tous ont promis de continuer la lutte. « Artiste engagée », selon ses propres dires, Valérie Rauchbach aimerait que « [ses] Trois Flamboyantes soient l’emblème de ce combat ». Support d’espoir et de résilience, les cheminées minérales d’Arjuzanx font résonner le passé, et invitent à réfléchir aux leçons à en tirer pour l’avenir. La combinaison entre l’histoire, le lieu et l’art est réussie.
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