Charlotte Puiseux : pour en finir avec le validisme

Charlotte Puiseux : pour en finir avec le validisme | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 113550

Philosophe et psychologue, Charlotte Puiseux décrypte et appelle à combattre le système dit validiste, qui opprime, discrimine et enferme les personnes handicapées. Ici chez elle, à côté du tableau de Frida Khalo « La colonne brisée ». ©Charles Crié/CCAS

Comment trouver sa place dans une société pensée par et pour les valides lorsqu’on est en situation de handicap ? Docteure en philosophie, psychologue clinicienne, Charlotte Puiseux milite pour contribuer à renverser les normes de ce système social appelé validisme.

En quoi consiste le validisme ?

Charlotte Puiseux : Effectivement, il est plus important de parler de validisme que de handicap pour dénoncer du point de vue politique ce qu’est le validisme : un système d’oppression vécu par les handicapés du fait de leur non correspondance aux normes médicales et/ou sociales au sens large.

Nous insistons sur la notion de système car ces normes s’infiltrent dans tous les rouages de la société – parfois avec une extrême violence, parfois plus insidieusement. Souvent, la manière de représenter des tragédies individuelles de personnes handicapées (en s’attristant sur leur sort) permet de dépolitiser le sujet et évite en passant à la société de prendre ses responsabilités.

Vous rapportez le handicap à un enjeu socio-politique ?

Évidemment, une société occidentale contemporaine comme la France est fondée sur des valeurs capitalistes et notamment la rentabilité. Cela crée des normes et des injonctions sociales qui doivent correspondre à telle ou telle capacité – notion essentielle du validisme – pour produire, être rentable en tant qu’être humain. Lorsque l’on ne correspond pas à ces critères, on est exclu de la société, moins valorisé voire, parfois, considéré comme pas vraiment humain…

Il y a aussi des personnes très médiatisées qui dépassent leur handicap…

Nous dénonçons ces stéréotypes de super héros car il y a derrière cela deux discours. Le premier adressé aux valides : si cette personne handicapée l’a fait, vous pouvez y arriver aussi. Et le second s’adresse aux handicapés avec en filigrane « si on veut, on peut ». En gros, ceux qui n’y arrivent pas n’y mettraient pas vraiment du leur. Cela renvoie à la volonté de la personne handicapée et pas du tout aux obstacles que la société laisse sur son chemin.

Par ailleurs, dans le récit de ces exploits, tout est rapporté au handicap de la personne, ce que l’on ne fait pas avec les valides… On est là dans l’ »inspiration porn », autrement dit la représentation de personnes handicapées en tant que sources d’inspiration, exclusivement ou en partie, sur la base de leur handicap.

Des associations comme les Dévalideuses font le constat que le handicap reste un impensé du féminisme. Être femme et handicapée, en quoi cela change-t-il les choses ?

Il est vrai que jusqu’ici le mouvement féministe ne se préoccupe pas du validisme. Pourtant toute oppression qui se croise avec une autre en change forcément les contours. C’est le concept d’intersectionnalité développé par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw. Elle a montré en quoi les femmes noires sont au moins deux fois victimes (en tant que noires et en tant que femmes), et qu’elles peinent à faire reconnaître par la justice les multiples discriminations à l’emploi qu’elles subissent et qui parfois se renforcent (liées au fait d’être et noires et femmes).

Les femmes handicapées sont confrontées au sexisme, au patriarcat et aussi au validisme. On estime ainsi que 80 à 90 % d’entre elles (tous handicaps confondus) sont victimes de violences sexuelles. Cela est dû à de multiples causes. Il est évident, par exemple, que les institutions spécialisées, fermées et à l’abri de tous les regards, sont un lieu idéal pour les prédateurs sexuels. De plus, pour de multiples raisons, nombre d’entre elles n’osent pas porter plainte.

La demande actuelle de « déconjugalisation » de l’allocation adulte handicapé (AAH) est aussi très importante. Condamner une personne handicapée à être assujettie économiquement à son conjoint, c’est favoriser les violences domestiques. Une femme dépendante économiquement qui subit des violences ne sera pas très motivée pour quitter son foyer.



Comment penser le handicap et la validité ensemble et non comme deux droites parallèles qui ne pourront jamais se rencontrer ?

Nous portons l’idée de sortir des binarités : homme-femme ; noir-blanc ; homo-hétéro ; handicapé-valide. Les binarités suppriment des nuances, comme s’il n’y avait rien de possible entre les deux. Comme si l’un excluait l’autre. Ces binarités incluent des idéologies hiérarchiques, plaçant l’homme-blanc-hétéro-valide devant la femme-noire-homo-invalide.

C’est important de prendre en compte le fait que chaque personne a une part de validité et de handicap en elle, à des niveaux divers. Je pense notamment aux personnes qui souffrent de handicaps invisibles, et parfois très invalidants.


Pour aller plus loin

Théorie queer, validisme et « disability studies », violences systémiques, handiparentalité, intersectionnalité… Retrouvez les publications et interventions de Charlotte Puiseux sur son site internet : charlottepuiseux.weebly.com

À paraître : « De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste », Charlotte Puiseux, La Découverte, février 2022.

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