Différents, les jeunes ?

Différents, les jeunes ? | Journal des Activités Sociales de l'énergie | galland 1

Nicolas Galland ©DR/CCAS

Directeur de recherche au CNRS, Olivier Galland analyse les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans.


Les jeunes portent-ils des valeurs différentes de leurs aînés ?

On a assisté, dans les trente dernières années, à un rapprochement très net des valeurs entre les différentes classes d’âge. Dans les années 1960, 1970 et même au début des années 1980, il y avait un clivage assez fort concernant les valeurs de la vie quotidienne, les attitudes à l’égard de la sexualité et des mœurs en général entre les moins de 30-40 ans et les plus de 30-40 ans. Auparavant, les jeunes étaient beaucoup plus libéraux sur tous ces sujets. Maintenant, plus grand chose ne sépare les Français qui ont entre 18 et 50, voire 60 ans. Tous, au fond, adhèrent à l’individualisation des valeurs, c’est-à-dire l’idée que dans la vie privée chacun doit être absolument libre de choisir sa manière de vivre et de penser, avec pour seule limite qu’ils respectent la liberté des autres. Ce libéralisme des mœurs s’est donc imposé dans une grande partie de la population

A quoi aspirent-ils ?

Ils ont des aspirations assez classiques contrairement à ce qu’on dit parfois. Au fond, ce qu’ils veulent c’est devenir adultes, c’est-à-dire occuper les rôles sociaux qui définissent l’âge adulte dans la société : occuper un emploi et fonder une famille. Les valeurs du travail et de la famille restent des valeurs très fortes chez les jeunes.

Y a-t-il des lignes de fracture au sein de la jeunesse ?

Oui, d’abord il y a une fracture socio-économique : entre les jeunes qui ont un diplôme et ceux qui n’en ont pas, l’écart dans les chances de trouver sa place dans la société, de s’insérer dans le travail ne fait que s’accroître depuis 20 ans. La situation des diplômés s’est un peu aggravée avec la crise économique mais beaucoup moins que celle des non diplômés qui rencontrent de très grandes difficultés pour trouver leur place dans la société. Pour peu que des difficultés familiales se conjuguent à des difficultés professionnelles, alors ces jeunes risquent de tomber dans des situations de très grande précarité.

Est-ce une particularité française dans le paysage européen ?

Un peu, oui, parce qu’en France ce clivage entre diplômés et non diplômés est peut-être plus marqué qu’ailleurs parce que nous avons un système hiérarchique extrêmement clivé entre des CDI très protecteurs et des CDD très instables, et cette configuration du marché du travail est donc particulièrement défavorable aux jeunes qui n’ont pas de diplôme.

L’éducation à la citoyenneté est-elle de la responsabilité de l’école ou de l’éducation populaire ?

Tout dépend de ce qu’on entend par éducation à la citoyenneté. Si on donne des cours d’éducation civique très formels, j’ai peur que ça n’intéresse pas beaucoup les jeunes. Je crois qu’il faut essayer de les faire réfléchir à partir de situations extrêmement concrètes dans lesquelles sont en jeu des valeurs. C’est ce que font certains pays d’Europe du Nord. Si l’approche est trop abstraite (laïcité, valeurs de la République, …), je pense que ça n’accroche pas. Il faut aussi faire réfléchir les jeunes sur des situations dans lesquelles ils sont directement impliqués. Sur la façon dont on vit ensemble à l’école, par exemple, sur les conflits, les tensions, qui peuvent survenir dans ce contexte. C’est comme cela je crois qu’on peut faire un apprentissage à la citoyenneté.

Les 18-60 ans partagent, dites-vous, l’idée selon laquelle « chacun doit être libre de choisir sa façon de vivre et de penser. » Comment faire société dans ces conditions ?

Nous appelons cela l’individualisation. C’est différent de l’individualisme. Cette liberté de choisir tout à fait librement sa manière de vivre et de penser ne veut pas dire qu’on se replie sur soi-même et sur son seul intérêt personnel. L’individualisation n’est pas forcément contradictoire avec des formes d’engagement et surtout elle s’accompagne chez les jeunes d’une hyper-socialisation. Les jeunes sont extrêmement impliqués dans la vie sociale, ils communiquent énormément, les relations amicales sont extrêmement intenses. En revanche, ils sont moins engagés dans les formes traditionnelles d’engagement (partis politiques, syndicats ou même associations humanitaires). Moins que les jeunes d’Europe du Nord en tout cas.

Vous notez, en revanche, que la solidarité intergénérationnelle s’est accrue.

Oui, mais c’est une solidarité intergénérationnelle de type privé : elle se joue essentiellement à l’intérieur des familles. Les parents font énormément d’efforts à la fois matériels et affectifs pour que leurs jeunes adultes réussissent et parviennent à trouver leur place dans la société. Il y a beaucoup de transferts financiers, directs ou indirects à travers les familles, et aussi beaucoup de soutien affectif facilité par le rapprochement des valeurs dont je parlais tout à l’heure.

Dans le même temps, les parents, qui étaient des « transmetteurs de valeurs », seraient devenus des « accompagnateurs »…

C’est vrai que les valeurs des jeunes aujourd’hui se forment autant de manière horizontale, à l’intérieur du groupe des pairs, que sous une forme verticale par la transmission des valeurs d’une génération à l’autre. Cela ne veut pas dire que cette transmission verticale a complètement disparu, mais elle s’est un peu affaiblie. Autant les jeunes et leurs parents partagent cette idée que chacun doit être libre de choisir sa manière de vivre, autant sur le plan culturel il y a un certain clivage entre les générations. La culture ado est une culture communicationnelle qui passe par Internet et les nouveaux moyens de communication, une culture fondée sur la musique, l’apparence, le look. Une culture assez consumériste aussi, qui reste un peu étrangère au monde des adultes et à bien des parents qui, eux, sont attachés – du moins dans les classes moyennes et supérieures – à une culture plus classique, plus scolaire.

Auteur de Une jeunesse différente ? (La documentation française, 2014) et de Sociologie de la Jeunesse (Armand Colin, 2011), Olivier Galland est aussi président du conseil scientifique de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
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1 Commentaire
  1. André 8 ans Il y a

    Excellente analyse.
    Merci pour ce type d’article qui nous l’éloigne un peu des préoccupations sur l’avenir du 1%

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