Rien ne vaut les unes des quotidiens annonçant la victoire des candidats du Front populaire aux élections législatives du 3 mai 1936 pour ressentir combien l’événement fut perçu comme immense par ses contemporains. « Victoire ! » annonce sur cinq colonnes « L’Humanité ». C’est le troisième épisode de notre chronique de 1936.
« Après le triomphe électoral, LE POUVOIR » titre sur le même format « Le Populaire », organe centrale de la SFIO, dans une édition spéciale. Et de préciser dans sa seconde édition : « La réaction et le fascisme sont écrasés. » A droite, on cache tant bien que mal sa déception. « Une assemblée révolutionnaire » déplore le (petit) titre de « L’Action française », royaliste. « Le Temps », proche des milieux d’affaires, se contente d’annoncer « le résultat des élections législatives », comme le fait « Paris-Soir », un des plus gros tirages d’alors, qui titre : « Front populaire : 380 ; Front national (groupant l’ensemble des partis de droite, NDLR) : 238. » Pour la première fois de l’histoire de la IIIe République, la gauche, unie dans toutes ses composantes, accède au pouvoir.
Ou plutôt s’apprête à accéder au pouvoir. Car la précédente chambre des députés reste en place jusqu’à début juin. Au Palais-Bourbon, un jeune journaliste de « Paris-Soir », qui deviendra un fameux écrivain (et prix Goncourt en 1957), Roger Vailland, observe, narquois, le désarroi des députés de droite, qui n’avaient pas anticipé l’ampleur de leur défaite. « Dans la salle des Pas-Perdus, les vaincus sont surpris de ne plus être assaillis par les journalistes. Maintenant, pourtant, ils ne demandent qu’à faire connaître ce qu’ils pensent du nouveau gouvernement, ils ont d’excellents conseils à donner […]. Ce sont des hommes d’expérience, eux. Ils ne sont pas comme ces blancs-becs. Mais ils ont beau se retourner et chercher : les blancs-becs ne sont pas encore là. »
Il n’y a pas qu’au Palais-Bourbon que la fébrilité gagne les partisans de la droite, et l’impatience enthousiaste ceux de la gauche. Dans la rue, cette tension s’exprime tout autant. Le 10 mai 1936, la droite et l’extrême droite se livrent à Paris à une démonstration de force devant la statue équestre de Jeanne d’Arc place des Pyramides (le Front national de Jean-Marie Le Pen a, cinquante ans plus tard, repris la tradition de ce rassemblement).
A cette cérémonie à laquelle participe le président du Conseil, sortant, Albert Sarraut, succède une impressionnante manifestation – quelque 80 000 personnes – animée par les ligues d’anciens combattants proches de l’extrême droite. La gauche tente de contester cette mainmise. « De quel droit la réaction et le fascisme s’empareraient-ils aujourd’hui de la pure enfant de France ? » écrit « L’Humanité ». Mais les partisans du Front populaire ont d’autres hauts faits à célébrer : l’anniversaire de la semaine sanglante de 1871, qui vit l’écrasement dans le sang de la Commune de Paris. Socialistes et communistes (les radicaux, troisième force du Front populaire, ne faisant pas leur cette histoire) se rassemblent en masse au mur des Fédérés du cimetière du Père-Lachaise, où furent fusillés tant de communards, le 24 mai 1936.
Mais lors de cette immense manifestation, à laquelle participent Léon Blum et Maurice Thorez, ce n’est pas d’histoire qu’il est question mais d’actualité : le développement d’un mouvement de grève, parti le 11 mai des usines Breguet du Havre, qui commence à s’étendre, à la surprise générale, à toute la France. C’est ce mouvement de masse qui va faire rentrer le Front populaire dans l’histoire.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |