Elisa Vix (« Elle, le gibier ») : « Le principe de la rentabilité à tout prix se dresse au-dessus de l’intelligence »

Elisa Vix ("Elle, le gibier") : "Le principe de la rentabilité à tout prix se dresse au-dessus de l’intelligence" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 104048

Cet été, Elisa Vix présentera son livre et en  dans les villages vacances de la CCAS. ©Patrice Normand-Opale

Dans « Elle le gibier », Elisa Vix décortique l’exploitation moderne et ordinaire de jeunes salariés dans une entreprise de l’industrie pharmaceutique. Telles des proies traquées, les employés sont-ils condamnés à subir ? Ou quand la tyrannie au travail  conduit inexorablement au pire. Un livre sélectionné par la CCAS pour sa dotation lecture 2021.

L’histoire

Elisa Vix ("Elle, le gibier") : "Le principe de la rentabilité à tout prix se dresse au-dessus de l’intelligence" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 104027Quels étaient les secrets de Chrystal, jeune femme ravissante, titulaire d’un master en neurosciences et qui aurait dû être une chercheuse comblée ? Tour à tour, ceux qui l’ont connue répondent aux questions d’un mystérieux enquêteur, dont les réponses mènent à Medecines, leader international de l’information médicale, une entreprise recrutant des jeunes gens brillants et surdiplômés ne parvenant pas à trouver leur place sur le marché de l’emploi. Chacun  est confronté à sa propre part de responsabilité dans ce qu’il s’est passé.

Pour « Elle le gibier », Elisa Vix a reçu le prix Jean Amila-Meckert, qui récompense le meilleur livre d’expression populaire et de critique sociale, en 2020. Le livre est sélectionné par la CCAS pour intégrer sa dotation lecture cette année : empruntez-le dans les bibliothèques de vos villages vacances cet été !

« Elle le gibier », éditions Rouergue Noir, 2019, 144 p., 16,50 euros.

Lire un extrait

Quels sont les mécanismes de l’exploitation de ces jeunes salariés montrés dans votre roman ?

Ce sont les procédés de management classique qui sévissent sur les plateformes téléphoniques : stress, humiliations quotidiennes, harcèlement, surveillance permanente. Les salariés doivent se justifier, de tout. Attachés à leur poste, ils travaillent sous pression constante, et doivent effectuer des tâches dépourvues de sens, comme les « reportings » quotidiens.

On les prive d’autonomie ; la moindre initiative est également bannie. L’infantilisation et le manque de confiance font aussi partie du management. Les salaires sont maigres et les primes promises jamais versées. Au bout du compte, cela conduit à une démotivation. Je compare cet univers à une prison. Au pire, on broie les travailleurs, au mieux on les transforme en moutons.

En quoi ce système de maltraitance organisée est-il révélateur de notre époque ?

Dans cette société, le profit reste roi. Les inégalités sociales s’accentuent. Le principe de la rentabilité à tout prix se dresse au-dessus de l’intelligence. Les actionnaires se gavent au détriment des salariés qui sont les variables d’ajustement : des pions, qu’on jette.

Quant au code du travail, il est bafoué, puisque les contrôles sont rares dans les petites et moyennes entreprises. Les syndicats y sont inexistants. Tout le monde se tait, subit et encaisse par peur du chômage. Autrefois, les ouvriers à l’usine étaient solidaires entre eux, faisaient front contre le patron, se mettaient en grève, et le nombre faisait pression sur lui. Aujourd’hui, les syndicats ont perdu de leur force ; la solidarité entre les travailleurs a été cassée.

Comment comprendre la soumission de ces jeunes salariés, cultivés, surdiplômés, a priori mieux armés pour faire valoir leurs droits ? Ils choisissent la maltraitance plutôt que le chômage ?

Le monde du travail et celui des études sont très différents. Après de longues études supérieures, ces jeunes qui sortent de la fac sont très idéalistes. Ils ne sont pas armés pour se rebeller, pour se protéger de chefs malsains. Vivant souvent de façon précaire, ces jeunes travailleurs cherchent à acquérir leur autonomie. Le graal, c’est le CDI ! Sans lui, difficile de construire sa vie, d’obtenir un appartement. Ils s’accrochent donc à ces petits boulots débilitants, mal payés. Puis, ils sont de moins en moins politisés, encore moins syndiqués. Le fait que les populations se soient détournées de la politique, qu’elles n’aient plus confiance dans les politiques est un vrai problème.

Vous égratignez au passage le sort réservé aux jeunes chercheurs…

Le problème de la recherche en France est très grave. L’État lui consacre peu d’argent. Les gouvernements ont une vision à court terme, tandis que la recherche nécessite de gros investissements sur un temps très long. Nos chercheurs sont mal payés, mal considérés. Les jeunes avec plusieurs années d’études derrière eux sortent de là avec une connaissance très pointue, mais ne trouvent pas de travail dans leur domaine de compétence, à l’image de mes héroïnes Chrystal et Cendrine. C’est très triste ; un véritable gâchis.

L’absence de solidarité des collègues, leur indifférence… N’est-ce pas ce qui finalement conduit au drame ?

Je pense que c’est un tout. L’accumulation de plusieurs facteurs débouche sur le pire : le système managérial de pressurage qui casse toute velléité de solidarité, la lâcheté des collègues ajoutée à une hiérarchie qui laisse faire, voire encourage la maltraitance. Sans oublier la noirceur fondamentale de l’esprit humain. La responsabilité humaine est indéniable dans le procédé. Des personnalités malsaines vont s’épanouir, en rajouter dans ce système d’oppression.

Comment interpréter le geste de Chrystal, qui finit par mettre fin à ses jours ?

J’ai été très marquée, il y a quelques années, par le suicide de salariés de France Telecom sur leur lieu de travail. Un tel acte n’est pas anodin : les victimes envoient incontestablement un signal. Pour l’opinion publique, c’est un geste hyper brutal. Certes, mais en réalité ce sont le chômage, la précarité, les délocalisations, la souffrance au travail, le harcèlement qui sont impitoyables pour des travailleurs que l’on n’entend pas. La brutalité est là ! Et la violence psychique débouche inévitablement sur la violence physique. Lorsqu’on est dans une impasse, cela ne peut que mal se terminer. « Elle le gibier » est un roman noir ; je l’ai pensé comme une tragédie grecque.

La torture vécue par Chrystal fait écho à celle vécue par Maria, une ancienne caissière. Pourquoi ce parallèle ?

Le prolétariat des caissières existe toujours. Mais aujourd’hui, une nouvelle forme de prolétariat se développe dans toutes les strates de la société : on assiste à une précarisation généralisée. J’avais été choquée en lisant cette histoire  : la direction de Lidl avait privé ses caissières de leur siège pour gagner quelques secondes de rapidité au passage en caisse.

Comment cette maltraitance est-elle possible en France ? Comment s’étonner d’un déchaînement de fureur ensuite ? Maria, la caissière rebelle, est précurseur dans mon histoire. Si ses conditions de travail sont plus dures physiquement, c’est le même processus de harcèlement et de tyrannie que pour Chrystal. La révolte monte au fur et à mesure pour atteindre l’apothéose ; la violence accumulée doit sortir d’une façon ou d’une autre.


Retrouvez Élisa Vix dans vos villages vacances : le 2 août à Boersch (Bas-Rhin), le 3 août à Munster (Haut-Rhin), le 4 août à Kaysersberg (Haut-Rhin), le 5 août à Baume-Les-Dames (Doubs)


 

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