Pour des millions de salariés, ce fut le symbole le plus éclatant du Front populaire. Le jour même de l’été 1936, le « Journal officiel » publie trois lois instaurant les conventions collectives, deux semaines de congé payé, et la semaine de 40 heures sans réduction de salaire. Trois mesures emblématiques du progrès social, mais dont on a souvent oublié la genèse. C’est le cinquième épisode de notre chronique de 1936.
Aucune de ces mesures ne figurait dans le programme électoral du Front populaire. Tout juste se contentait-il de mentionner l’objectif de réduction du temps de travail, sans la chiffrer. Si ces revendications syndicales ont si vite été satisfaites, c’est que les grèves massives ont pris tout le monde de vitesse. A commencer par la direction confédérale de la CGT, qui les a accompagnées plus qu’initiées. Les premières grèves éclatent dans les usines d’aviation du Havre et de Toulouse à la mi-mai. Elles prennent de l’ampleur avec l’entrée dans la lutte des salariés de la métallurgie fin mai. L’usine Renault de Billancourt cesse le travail le 28 mai et le mouvement se généralise au textile, au bâtiment, à l’alimentation, à la chimie.
« Une joie pure »
Les occupations des usines, toujours respectueuses des machines, et l’ambiance joyeuse et festive marquent les esprits. « On peut enfin faire une grève sans police, sans garde mobile », écrit la philosophe Simone Weil dans « La Révolution prolétarienne » du 10 juin 1936. Et de poursuivre : « Cette grève est elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. Enfin, pour la première fois et pour toujours, il flottera autour de ces lourdes machines d’autres souvenirs que le silence, la contrainte, la soumission. »
Le gouvernement de coalition entre socialistes et radicaux (les communistes, troisième force du Front populaire, soutenant le gouvernement sans y participer), porté par la victoire électorale du 3 mai 1936, prend ses fonctions le 4 juin. Pour la première fois, un socialiste, Léon Blum, devient président du Conseil. La première initiative du nouveau gouvernement est de négocier avec le patronat et la CGT l’accord Matignon, signé le 7 juin. Les employeurs s’engagent à accepter les conventions collectives (article 1), à cesser les discriminations contre les salariés syndiqués (article 3), à augmenter les salaires de plus de 10% (article 4), à reconnaître les délégués ouvriers (article 5) et enfin à ne pas sanctionner les grévistes (article 6).
L’accord Matignon est une première victoire ouvrière, mais il ne met pas fin aux grèves. Bien au contraire, celles-ci s’étendent à des secteurs peu, voire pas du tout syndiqués, comme les grands magasins, les assurances, la restauration ou les théâtres. Craignant d’être débordé, le gouvernement dépose en urgence à la Chambre les projets de loi sur les conventions collectives, les deux semaines de congé payé, et la semaine de 40 heures. En moins de dix jours, ils sont adoptés par le Parlement.
Fait souvent oublié, ces textes emblématiques du progrès social sont votés à la quasi-unanimité des parlementaires. Il n’est que la loi sur la semaine de 40 heures qui se heurte à une certaine résistance de la droite, avec 100 voix contre 408 à la Chambre et 80 contre 176 au Sénat. De fait, son application s’échelonnera, selon les branches, de septembre 1936 à février 1937, alors que les congés payés et les conventions collectives seront immédiatement mis en pratique.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |
Rafraîchissant ! Vivifiant !☺
Si seulement les agents du 21ème siècle prenaient conscience de leurs immenses pouvoirs pour peser collectivement dans des négociations !
Chronique qui raconte magnifiquement bien les luttes très dures mais aussi l’espoir si grand qui s’ensuivit et combien tous ces acquis sociaux sont si chers à préserver. Merci