Directrice artistique et déléguée générale du festival Filmer le travail, partenaire de la CCAS, Maïté Peltier revient sur la tenue en ligne et gratuite de l’évènement, qui attire en temps normal plusieurs milliers de spectateurs dans la ville de Poitiers. Clôturé le 28 février, il pourrait se poursuivre en juin, cette fois-ci en présentiel, si la situation sanitaire s’améliore.
Pourquoi avoir souhaité maintenir un festival en ligne ?
En ces temps de crise sanitaire, nous estimions qu’il était plus que jamais nécessaire de se retrouver autour de films, de soutenir le travail des cinéastes, des chercheurs et des artistes en général, et que les questions autour du travail puissent être débattues. Nous avons donc pris la décision de basculer une partie du festival en ligne et d’accepter les contraintes que cela posait, pour que les films sélectionnés puissent être vus par différents publics et promouvoir ainsi la production de films documentaires récents encore inédits en salles.
Comment avez-vous préservé des espaces d’échanges et d’implication citoyenne en étant à distance, derrière des écrans ?
Bien entendu, nous ne pouvions pas reproduire l’interaction qu’offre une rencontre au sens physique du terme. Pour pallier cet état de fait, nous nous sommes efforcés de maintenir une offre diversifiée : avec des livres, des échanges organisés avec les réalisateurs et des chercheurs, avec un historien du cinéma, avec un quizz en fin de festival, etc.
Nous voulons créer un pont entre le cinéma, la recherche et les réalités concrètes et vécues.
Aussi, le plus important pour nous était de préserver notre spécificité : celle d’une association qui a pour objectif de faire coexister les réflexions des spécialistes du travail, des professionnels de l’image et des travailleurs eux-mêmes. Nous voulons créer un pont entre le cinéma, la recherche et les réalités concrètes et vécues. Le festival s’inscrit d’ailleurs dans une tradition d’éducation populaire : faire que la parole se libère en créant les conditions d’un échange entre des mondes qui en général ne dialoguent pas ou peu, à l’heure où les espaces d’échanges collectifs sont particulièrement mis à mal par la crise sanitaire.
Nous avons ainsi souhaité, malgré la forme numérique du festival, conserver ce qui fait son originalité : un accompagnement pour chacun des films présentés. Des présentations et entretiens enregistrés ont ainsi été proposés pour les films en compétition et ceux de la rétrospective afin de prolonger les découvertes, replacer les films dans leur contexte de réalisation, faire entendre la parole des cinéastes.
Extraits de la rétrospective du festival FLT sur l’éducation : « Examen d’État », documentaire de Dieudo Hamadi (Congo Kinshasa, Sénégal, France) ©AGAT Films & Cie 2014) ; « Elles », documentaire de Ahmed Lallem (Algérie) ©Ahmed Lallem, 1966.
La thématique centrale de l’édition 2021 était l’éducation. Pourquoi avoir choisi celle-ci plus qu’une autre ?
L’éducation est un sujet en prise avec les préoccupations actuelles de la société, mais elle a toujours été questionnée à travers les époques, tant elle est reliée à la question sociale, politique et économique. En choisissant cette thématique, nous souhaitions explorer ce qu’éduquer veut dire et peut faire, à travers les âges et les représentations. Ce choix nous permettait de revenir sur l’actualité – des conditions de travail des enseignants aux difficultés d’apprentissage des étudiants – mais aussi de prendre le recul nécessaire et de replacer cette notion dans une perspective historique, notamment avec la rétrospective de films sur le sujet.
Il est ainsi passionnant de voir comment les cinéastes d’époques différentes se sont intéressés à l’éducation, qu’il s’agisse du travail des enseignants, du rapport à l’autorité et à l’institution, de la nature et de l’évolution des pratiques éducatives ou de la question de la transmission
Selon vous, le cinéma est-il un objet de réflexion à part entière sur le travail ?
Bien sûr, puisqu’il permet de voir les réalités d’antan, d’ailleurs et des autres, ce qui nous pousse à réfléchir à notre propre expérience, à notre propre condition. Et puis il permet aussi de relayer la parole de ceux qu’on invisibilise dans les médias dominants. Le cinéma documentaire notamment, qui est un cinéma de la relation et de l’immersion, permet de creuser des sujets sur le temps long, en apportant un regard différent et en racontant des histoires méconnues.
Dès lors, comment rendre accessible la production cinématographique sur le thème du travail à un public qui soit le plus large possible ?
Déjà, nous avons souhaité la gratuité des films présents sur notre plateforme pour que tout le monde puisse y accéder quel que soit son porte-monnaie. Aussi, nous voulions qu’un maximum de films puissent être visionnés à tout moment. Par exemple, les films sélectionnés pour la compétition ont été mis à disposition toute la durée du festival, afin de permettre à des personnes qui auraient des obligations professionnelles ou familiales de pouvoir les visionner en fonction de leurs disponibilités.
Comment ont été sélectionnés les 17 films qui concouraient aux 4 prix de la compétition internationale ?
Notre objectif est de parler du travail… à partir du cinéma. Donc c’est avant tout la pertinence de la proposition cinématographique qui prime, c’est-à-dire la manière dont un cinéaste s’empare du sujet, par et avec les outils du cinéma. Nous essayons d’avoir une pluralité de points de vue sur le travail, nous mettons donc en avant l’originalité du sujet et la manière dont il a été traité, en cherchant le meilleur équilibre entre la forme et le fond.
Hormis ça – sans non plus appliquer une logique de quota – on essaie de promouvoir une forme de parité femmes-hommes dans les films que nous proposons. Quoi qu’il en soit, chaque année, il est de plus en plus difficile d’opérer une sélection des films qui nous sont envoyés : le nombre de production de qualité autour du travail ne cesse d’augmenter !
Filmer le travail, un festival et une association
Créée en 2009, l’association Filmer le travail est le fruit d’un partenariat entre l’Université de Poitiers, l’Espace Mendès France (EMF) de Poitiers et l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT). Elle est depuis sa création soutenue principalement par la Région Nouvelle-Aquitaine.
Au travers d’actions d’éducation populaire et de son festival annuel, l’association veut faire converger les mondes du cinéma, du travail et de la recherche.
Site Internet : filmerletravail.org
Tags: Cinéma Éducation populaire Partenariat Travail