D’ici au 31 décembre 2019, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail auront disparu dans toutes les entreprises. Les syndicats de l’énergie pourront-ils encore défendre la santé des agents ?
Pour faire tomber la fièvre, cassons le thermomètre ! C’est ce qu’a dû se dire le docteur Macron en signant, le 23 septembre dernier, l’ordonnance qui met fin aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Créée par les lois Auroux en 1982, cette instance de représentation du personnel (IRP) était devenue l’alliée de tous les salariés confrontés à des maladies et risques professionnels ainsi qu’aux cadences et aux pressions psychologiques inhérentes au management moderne. En seulement trente-cinq ans d’existence, les CHSCT, dotés d’une personnalité morale, étaient devenus un vrai contre-pouvoir, un acteur de proximité essentiel face au durcissement des conditions de travail.
La réforme du Code du travail promulguée le 29 décembre fait disparaître les trois IRP – comité d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT. Elle les remplace par une nouvelle entité, le comité social et économique (CSE), censée reprendre les prérogatives des anciennes instances. Pour compenser cette centralisation des élus, elle invente – disposition facultative – des représentants de proximité. Il faut « simplifier le dialogue social », explique l’exécutif. Mais dans les IEG, quatre mois après l’entrée en vigueur de la réforme, la simplification n’est pas vraiment au rendez-vous. « On est dans une situation de grande incertitude, côté syndicats comme côté employeurs, déplore Isabelle Le Bis, déléguée fédérale santé au travail à la CFE Énergies. Tout le monde se regarde en chiens de faïence. Les nouvelles instances sont très compliquées à mettre en place et on se prend tous la tête. »
Cas d’école à RTE
Qui a déjà entendu parler de la créosote ? En Auvergne et dans le Forez, cette huile noire issue de mélange de goudrons ou de charbon tapisse des milliers de poteaux électriques en bois sur lesquels interviennent les agents de maintenance de RTE. Un produit classé « probablement cancérigène ». En 2017, après plusieurs cas de cancers foudroyants, les élus du CHSCT demandent à la direction de RTE une expertise indépendante sur les risques encourus par les personnels exposés. Après un long bras de fer avec la direction, celle-ci finit par accéder à leur demande. Une victoire importante pour les agents des IEG exposés à des produits dangereux. Et pour les autres salariés en contact avec la substance toxique. Quatre ans plus tôt, un cheminot, atteint d’un cancer suite à son exposition à la créosote, avait fait condamner son employeur devant la justice pour faute inexcusable.
Le CSE, une instance aux pouvoirs limités
À la CFE-CGC, on s’inquiète surtout de la disparition du CHSCT en tant que personne morale capable de défendre l’intérêt des salariés au-delà des différences syndicales. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, sur les sites Seveso et les installations nucléaires de base (INB), la loi prévoit bien de constituer au sein du CSE une commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), mais celle-ci n’aura aucune autonomie d’action. Un constat partagé par Pierre Petit, en charge de la formation et de la vie syndicale à la FNME-CGT : « Les CSSCT n’auront aucun pouvoir, même pas celui de déclencher une expertise ou un droit d’alerte. » À ce sujet, la loi introduit d’ailleurs une étrange innovation : l’obligation imposée au CSE de financer en partie certaines expertises prises en charge jusque-là par l’employeur. Résultat : les élus devront parfois choisir entre proposer des activités sociales et protéger la santé des agents…
Les médecins du travail et les services de la santé au travail pourront-ils siéger dans la nouvelle instance ? Mystère.
Plus généralement, le CSE, qui traitera à la fois des questions économiques, sociales, organisationnelles et de santé, risque fort d’être bridé en matière de protection des salariés. « Ses droits sont ridicules par rapport à ceux qu’avaient les CHSCT, soupire Pierre Petit. Les moyens des CHSCT seront totalement dilués dans ce CSE. » La CFE Énergies soulève, quant à elle, une autre question : les médecins du travail et les services de la santé au travail pourront-ils siéger dans la nouvelle instance ? Mystère. « Le plus grave, poursuit Pierre Petit, c’est le maillage : on va éloigner les élus du terrain. » Même analyse à la CFE Énergies et à l’Adeaic, l’association des experts agréés auprès des CHSCT, qui intervient à EDF, Enedis, GRDF et RTE. « On va perdre la connaissance du terrain », craint Annabelle Chassagnieux, coprésidente de l’association. « Actuellement, je réalise une expertise dans une entreprise où le CHSCT couvre un périmètre de 300 personnes, avec des métiers très différents. Demain, le CSE devra couvrir un effectif trois fois plus important. Comment les représentants du personnel feront-ils s’ils ne savent pas ce qui se passe dans les ateliers pour chaque catégorie de métiers ? »
« La fin des CHSCT menace la santé des salariés »
Annabelle Chassagnieux, coprésidente d’Adeaic, association des experts agréés auprès des CHSCT.
« La fin des CHSCT menace la santé des salariés, pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’il y aura vraisemblablement moins de CSE demain qu’il n’y avait de CHSCT. Et ils seront plus éloignés du terrain. On aura donc sans doute une moins bonne connaissance des conditions de travail réelles des gens. Or, en matière de santé au travail, cette proximité est l’un des aspects les plus déterminants. La deuxième raison, c’est qu’avec la fusion des instances représentatives du personnel, les élus devront maîtriser tout un tas de sujets (économie, formation, égalité professionnelle, santé), mais ils ne pourront pas être spécialistes de tout. Dans un contexte de chômage élevé, les questions liées à l’emploi risquent fort de prendre le pas sur les questions de conditions de travail. »
Des négociations cruciales dans les prochains mois
Selon l’Adeaic, la réforme des IRP décrétée par ordonnance remet en cause « les droits des représentants du personnel et la prévention des risques professionnels ». Elle a décidé, le 30 mars dernier, d’engager un recours devant le Conseil d’État contre ce décret relatif au CSE. De leur côté, les syndicats espèrent tirer parti de la petite ouverture que leur offre la loi. Des négociations devraient s’ouvrir avec les employeurs, au plus tard cet automne. Elles s’achèveront fin 2019, période d’élections dans la quasi-totalité des entreprises des IEG. Les discussions porteront notamment sur le nombre de titulaires du CSE, le nombre d’heures de délégation, la composition de la CSSCT et le pouvoir d’action de ses membres. La loi oblige les entreprises à mettre en place des CSE au plus tard le 31 décembre 2019. La fenêtre de tir est étroite pour les syndicats, mais l’enjeu crucial. Pour la FNME-CGT, il s’agit ni plus ni moins que de « sauver un syndicalisme de proximité ». Les organisations syndicales n’ont donc pas d’autre choix que de construire une plateforme de revendications communes en vue des négociations. Mais une partie du rapport de force pourrait aussi se jouer dans la rue.
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