Grèves de 1947 : le spectre de l’instrumentalisation politique

Grèves de 1947 : le spectre de l’instrumentalisation politique | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 41558 Greve de 1947

Grève de 1947. Bourse du travail : les travailleurs écoutent leurs responsables syndicaux (29 novembre 1947). Saint-Etienne, Loire (42). ©Archives municipales de Saint-Étienne, Cote : 5 Fi 372

Troisième et dernier épisode de notre chronique : les grèves de 1947 furent-elles un moyen pour le parti communiste de fomenter une prise de pouvoir ? L’ouverture des archives montre que cette lecture est sans fondement. Pour autant, elles furent la source de divisions syndicales qui, soixante-dix ans plus tard, restent toujours prégnantes.

Les grandes grèves de l’automne 1947 ont-elles été « insurrectionnelles », comme on les qualifie parfois ? Cette vision est très présente chez les contemporains des grèves de 1947. La lecture de la presse de l’époque frappe ainsi par la violence des termes employés. En ces débuts de guerre froide, on ne s’embarrasse guère de nuances. Côté communiste, on dénonce le fascisme du RPF gaulliste, accusé de fomenter un « plan bleu » d’attentats, complot anti-communiste appuyé par d’anciens fascistes et miliciens. Socialistes, centristes et droite dénoncent de leur côté un PCF évincé du gouvernement en mai, qui aurait tenté de déstabiliser le pays en fomentant, via la CGT, un vaste mouvement de grève destiné à préparer sa prise de pouvoir.

De nombreux affrontements

Le fait est que les grandes grèves de l’automne 1947 ont été les plus violentes de l’histoire de France au XXe siècle. L’usage massif, et nouveau, de gaz lacrymogènes par la police frappe les esprits, et ce d’autant plus que les gaz sont alors associés à l’extermination des juifs dans les camps nazis, dont on découvre l’horreur. En maints endroits, manifestants et forces de l’ordre en viennent aux mains de la manière la plus rude. Au moins une demi-douzaine de manifestants sont tués lors des affrontements de l’automne 1947.

Le PCF, qui contrôlait la CGT, a-t-il pour autant délibérément instrumentalisé les grèves, pour en faire un outil de sa prise du pouvoir ? L’ouverture des archives sur cette période permet d’y voir plus clair. Premier constat : le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, était en voyage à l’étranger (en URSS puis en Pologne) au moment du début des grèves. Difficile donc de croire, dans une organisation aussi hiérarchisée que l’était alors le PCF, que des mouvements de grève aussi importants aient été initiés sans l’accord de la direction communiste.

Second constat : à la conférence de Szklarska Poreba (Pologne), en septembre 1947, qui réunit neuf partis communistes d’Europe sous la tutelle du grand frère soviétique, le PCF est critiqué pour sa participation au gouvernement jusqu’en mai 1947. Rien n’indique que le PCF ait, à aucun moment de cette dure année 1947, eu l’intention de prendre le pouvoir par la force comme le feront les communistes tchécoslovaques l’année suivante, à l’occasion du « coup de Prague ».

Scission au sein de la CGT

Si l’étude des archives montre qu’il n’y eut pas de projet insurrectionnel délibéré de la part du PCF et de la CGT, il n’en reste pas moins que cette possibilité était alors dans tous les esprits. Cette question de la politisation alléguée des grèves va avoir de violentes répercussions sur le mouvement syndical. Au sein de la CGT, qui syndiquait alors 6 millions de travailleurs, existait la tendance Force ouvrière, proche des socialistes et parfois des anarcho-syndicalistes mais hostile aux communistes. Les grèves de l’automne 1947 font du conflit latent une querelle majeure.

Dès le 27 novembre, la tendance Force ouvrière de la CGT demande aux salariés de cesser la grève. Tant bien que mal, Léon Jouhaux et Benoît Frachon, qui dirigent respectivement la minorité (FO) et la majorité, parviennent à s’entendre. Mais la conclusion du grand conflit de l’automne 1947 entraîne une scission au sein de la CGT. En décembre, FO se sépare de la CGT pour former une nouvelle confédération syndicale. Peu après, la Fédération de l’Éducation nationale – les instituteurs de la région parisienne avaient joué un rôle moteur dans les grèves de 1947 – quitte à son tour la CGT pour devenir autonome. La CGT sort affaiblie de ce vaste affrontement.

L’unité syndicale vole en éclats

À EDF et GDF, cependant, ces scissions n’ont guère d’impact. De cinquantaine de membres de la direction de la Fédération CGT de l’éclairage, seuls cinq rejoignent FO. Ils ne sont suivis que par une dizaine de syndicats, en particulier ceux de Bayonne, Besançon, Clermont-Ferrand, Épinal et Roanne. Il n’en reste pas moins que l’unité syndicale a volé en éclats durant cet automne 1947. Aux élections aux CCOS (Conseil central des œuvres sociales) de décembre 1949, la CGT obtient 68,9% des suffrages, en recul de quinze points par rapport aux élections de janvier 1947. FO en obtient 14,2 %, la CFTC (elle aussi en recul de 3 points) 12,7%, et l’Union nationale des cadres et de la maîtrise (UNCM, ancêtre de l’actuelle CGC), qui a obtenu en décembre 1947 reconnaissance par le ministère du Travail de sa représentativité, 4,2 %. Des grandes grèves de l’automne 1947 sont aussi nées des divisions syndicales qui, soixante-dix ans plus tard, restent toujours prégnantes.

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