L’annonce faite par le gouvernement le 13 janvier dernier a fait l’effet d’une bombe : augmenter le volume d’électricité vendu à bas prix par EDF à ses concurrents, pour limiter la hausse des factures des usagers. Spolier EDF pour préserver le pouvoir d’achat ? Ni les agents ni le public ne sont dupes : de la puissante grève qui s’en est suivie, aux recours de l’intersyndicale, tour d’horizon d’un dossier… explosif.
Le 13 janvier dernier, le gouvernement annonçait exiger d’EDF la livraison de 20 térawattheures (TWh) supplémentaires aux commercialisateurs privés d’électricité cette année – ses principaux concurrents – qui s’ajoutent donc aux 100 TWh déjà à leur disposition dans le cadre de l’Arenh (Accès à l’énergie nucléaire historique). Coût estimé du total des opérations pour EDF : 7 à 8 milliards d’euros !
Cet « effort exceptionnel » imposé par l’État à l’opérateur public, est la principale mesure prise pour coller aux 4 % d’augmentation des tarifs réglementés de vente (TRV) promis par le gouvernement pour février. Du jour au lendemain, EDF a donc appris devoir vendre 40 % d’électricité à un tarif bien inférieur au marché en 2022. Le gouvernement a précisé que la Commission européenne aurait donné son aval à un léger ajustement de 4 euros de plus par mégawatt livré supplémentaire.
Compte tenu à la fois des prévisions de production, du planning de maintenance des tranches nucléaires (auquel il convient d’ajouter l’arrêt du CNPE de Fessenheim), le service public pourrait ainsi se voir contraint, pour se conformer à l’injonction du gouvernement, d’aller « faire ses courses » au bénéfice de ses concurrents sur le « Dingo Market » européen, où le mégawattheure s’échange déjà, à l’heure où nous écrivons ces lignes… à plus de 200 euros, soit cinq fois plus cher !
Un salarié sur deux en grève
Les fédérations syndicales de la branche ont immédiatement réagi à cette annonce, qui a provoqué « stupeur, colère et indignation » et ce, semble-t-il, à tous les étages du groupe public : « Le gouvernement ne peut pas jouer avec le travail de plus de 100 000 salariés, affirmaient les syndicats le 18 janvier, juste pour gagner du temps ou pour organiser de manière pernicieuse le retour du projet de démantèlement d’EDF en affaiblissant encore davantage et volontairement le groupe jusqu’à le mettre à terre. »
« Ce hold-up d’État est tout simplement scandaleux », dénonçaient également les présidents des organismes sociaux, CCAS et Comité de Coordination, dans un communiqué s’associant à l’appel des fédérations syndicales à un vaste mouvement de grève le 26 janvier dernier.
Une grève suivie à 51 % chez EDF SA (et à plus de 30 % chez Enedis), soit un taux record d’un salarié sur deux engagé dans le mouvement de protestation contre ce que les syndicats qualifient, dans une lettre ouverte au ministre de l’Économie, de « fragilisation » et de « spoliation » d’EDF, qu’elles estiment être « la sanction d’un échec de [la] politique et des décisions [des gouvernements] depuis plus de vingt ans ».
La longue bataille pour les salaires
Un peu estompé par la bataille largement diffusée dans les médias cette semaine, celle qui mobilise les collègues sur les salaires se prolonge depuis le 25 janvier. Elle porte sur l’exigence de l’augmentation du salaire national de base qui plafonne encore cette année à 0,3 %, et qui aboutit à l’effondrement de la fiche de paie de 10 % en 10 ans, selon les fédérations syndicales. Du coup, d’aucuns notent que la courbe des salaires, à la baisse, croise significativement celle, à la hausse, des factures des usagers…
Le 27 janvier, les électriciens et gaziers manifestaient partout en France en convergence avec les travailleurs d’autres secteurs de l’emploi public et privé, pour le pouvoir d’achat, à l’appel d’une intersyndicale (CGT, FO, FSU et Solidaires), dans des cortèges interprofessionnels ayant rassemblé entre 89 000 et 150 000 personnes, selon les chiffres respectivement avancés par le ministère de l’Intérieur et les syndicats.
« La mesure ira dans la poche des fournisseurs »
Les administrateurs représentant les salariés au conseil d’administration d’EDF ont également dénoncé cette décision revenant à « spolier EDF sur l’autel des promesses électorales », et réduisant à néant « les effets des divers plans internes de réduction des dépenses, qui pèsent depuis une décennie sur les effectifs, les rémunérations et l’ensemble des salariés ».
Cette manne offerte sur un plateau d’argent aux marchands d’électrons privés sera-t-elle répercutée sur la facture de leurs clients ? Pas si sûr. La Commission de régulation de l’électricité (CRE) se sent obligée, d’ailleurs, d’affirmer qu’elle contrôlera de près son utilisation. Mais, pour les administrateurs salariés du groupe public, cette nouvelle « livraison » n’apporte aucune garantie pour les clients.
La mesure ira dans la poche des fournisseurs, assurent les administrateurs salariés d’EDF, pas dans celle des consommateurs. Le soi-disant système de contrôle dont la sanction ultime reviendra à nommer le fournisseur défaillant est risible.
Les deux associations d’actionnaires salariés de l’entreprise montent également au créneau et assurent, dans un communiqué publié le 20 janvier, examiner tous les moyens d’action permettant de contester la décision inique de l’État.
Recours juridiques et droit d’alerte
Les fédérations ont annoncé le 27 janvier le dépôt de deux recours juridiques. Le premier concerne les ambiguïtés du calcul du TRV (tarif réglementé de vente de l’électricité), qui contient des clauses de préservation de la concurrence pour justifier de ses hausses successives. Un point déjà contesté en 2019 par la Haute autorité de la concurrence.
Le second demande, pour à la fois sauvegarder l’entreprise et répondre à l’urgence de « maîtrise » des factures, la suppression de la TVA auxquelles elles sont soumises. Afin de bloquer la hausse des tarifs réglementés de vente (TRV) aux 4 % prévus à l’automne, le gouvernement a en effet d’abord choisi de ramener la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité), ex-CSPE (contribution au service public de l’électricité), de 22,50 euros à 1 euro par mégawattheure, et de « lisser » les hausses tarifaires jusqu’en 2023. Mais sans toucher toutefois à la TVA (20 % sur la consommation). Or, notent les syndicats :
[Une baisse de la TVA] est parfaitement possible, souligne l’intersyndicale, et c’est d’ailleurs ce qu’ont fait nombre de pays européens confrontés à la flambée des prix de l’énergie en plus, pour certains d’entre eux, de taxer les surprofits réalisés par les énergéticiens dans cette crise, pétroliers compris. Et c’est nécessaire pour maintenir le pouvoir d’achat des Français.
De son côté, le Comité social et économique central (CSEC) d’EDF, qui vient de lancer une grande campagne d’information des citoyens et des élus sur la nécessaire sortie du marché de l’électricité et du gaz (energie-publique.fr), compte déposer un droit d’alerte économique lors du conseil d’administration du 4 février, que nous détaille son secrétaire, Philippe Page-Le Mérour :
Le droit d’alerte que nous voulons déposer auprès des directions d’EDF porte sur l’ensemble des questions liées à l’état du service public, les effectifs, les salaires, les capacités financières et celles de ses emprunts, et la recherche. La nationalisation et le retour à une tarification pérenne basée sur les coûts d’exploitation et de production, qui a su garantir l’essor du service public en garantissant à tous, particuliers et entreprises, l’électricité la plus performante, la moins chère et la plus décarbonée d’Europe, devient incontournable.
Les réponses argumentée et chiffrées à ce droit d’alerte devraient être disponibles dans le courant du mois de février.
Une pétition « Pour une énergie publique »
Campagne d’information publique du Comité social et économique central d’EDF SA, publiée le 20 janvier 2022. Source : CSE EDF SA/Facebook.
Signer la pétition « Pour une énergie publique »
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