Que vaut l’accord signé le 12 décembre en clôture de la COP21 ? Comment stopper la « machine à réchauffer la planète » ? Décryptage avec Maxime Combes, économiste, membre d’Attac et auteur de Sortons de l’âge des fossiles !
L’accord qui a clôturé la COP21 a été qualifié d’historique par de nombreux observateurs. Quels points positifs comporte-t-il ?
Je refuse de me positionner sur les points positifs ou négatifs car c’est une façon trop simple d’analyser cet accord. La question n’est pas de savoir si c’est un échec ou une réussite. Ce qu’il faut, c’est être lucide sur la situation et sur le contenu du texte d’accord en lui-même.
Comment analysez-vous ce texte ?
Il faut bien avoir en tête l’état d’urgence climatique auquel nous sommes confrontés. Quand on regarde le contenu du texte d’accord, il y a de quoi être inquiet sur de nombreux points. Premier point : il n’y a pas de feuille de route. Ce qui était important c’était d’avoir un horizon qui éclaire les choix politiques et économiques des années à venir, avec des points de passage et un objectif de long terme clairement identifiés. Ce texte se contente de renvoyer à du très long terme (seconde moitié du siècle).
De plus, il n’y a pas de traduction chiffrée de l’objectif. On ne sait pas par exemple quel est le cap donné pour 2050 en termes de réduction mondiale de gaz à effet de serre. Or si on ne connaît pas l’état d’arrivée, comment définir la transition et les taux annuels de réduction de gaz à effet de serre qui doivent nous permettre d’atteindre cet objectif global ? La mention de 2°C voire de 1,5°C tombe comme un objectif sans ambition pour l’atteindre. Quand on regarde les contribution des pays en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, on constate un grand écart entre le réel qui nous conduit à +3°C ou +3,5°C et le souhaitable annoncé à +1,5°C.
Quels sont vos autres sujets d’inquiétude ?
La question des financements. Les 100 milliards (d’aide aux pays en développement, ndlr) sont mentionnés dans la décision de la COP et non dans l’accord. Donc, cela augure mal de la possibilité réelle d’avoir des financements additionnels, nouveaux, prévisibles – autant d’adjectifs qui ne figurent pas dans le texte, alors que depuis des années ces adjectifs sont présents dans toutes les déclarations et décisions de COP. Autre problème : les 100 milliards sont considérés comme un plancher dans la décision de la COP mais pas dans l’accord, cela veut dire que lors de la prochaine COP, une autre décision peut aller à l’encontre de cette décision. Les 100 milliards ne sont donc pas sanctuarisés. C’est problématique de ne pas avoir l’argent qui permette aux pays du Sud d’entamer leur transition, de faire face aux dérèglements climatiques. Plus important peut-être encore : la plupart des contributions nationales des Etats sont conditionnées au déblocage de moyens financiers leur permettant de mener à bien leurs politiques. On ne donne pas aux pays du Sud les moyens de l’ambition affichée.
Vous craignez que derrière cet accord se cachent des coquilles vides ?
Mettons-nous à la place des pays du Sud : comment mettre en œuvre la transition si on ne dispose pas des moyens des pays plus riches ? A cet égard, le report de la taxe sur les transitions financières qui a été entériné le 8 décembre en conseil des ministres des finances européens est un très mauvais signal. Il y avait également une requête extrêmement forte à la COP21 : rééquilibrer les financements en allant vers l’adaptation, c’est-à-dire l’ensemble des initiatives et politiques qui peuvent être mises en place pour permettre aux populations directement victimes des dérèglements climatiques d’en supporter les conséquences : politiques d’accès à l’eau, maintien des populations en milieu rural, lutte contre la désertification, etc. Là encore, et c’est tout à fait symptomatique, le texte ne donne pas de garanties formelles.
C’est problématique car dans ce domaine, on a vraiment besoin d’argent frais immédiatement. Mais c’est de l’argent qui n’est pas rentable lorsqu’il est investi. Et pour l’instant, les pays du Nord et le secteur privé refusent de financer ces politiques ou en tout cas donnent la prééminence aux politiques d’atténuation (réduction des émission de gaz à effet de serre, ndlr). Cela veut dire que les populations qui sont vraiment en butte aux conséquences des dérèglements climatiques n’auront pas les moyens d’y faire face.
Dans votre livre, Sortons de l’âge des fossiles !, vous dites qu’il faut s’attaquer aux « fondements mêmes de l’économie mondiale. » Comment arrêter ce que vous appelez la « machine à réchauffer la planète » ?
La première des choses à faire, c’est de tenter d’en limiter l’expansion. L’une des principales choses que j’aimerais dire au gouvernement français, c’est que la révolution climatique nécessite de revoir l’ensemble des politiques publiques à cette aune-là. Donc, par exemple, il est grand temps, si l’on souhaite continuer à avoir des discussions bilatérales avec les Etats-Unis, de revoir intégralement le mandat de négociation qui a été donné pour organiser le marché transatlantique (TAFTA), à l’aune des déclarations faites depuis quinze jours en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Il est grand temps de stopper la libéralisation du secteur de l’énergie et de chercher à développer des coopérations entre Europe et Etats-Unis pour développer la sobriété, l’efficacité et la transition énergétiques. Le problème, c’est que de ce point de vue là, la COP21 a failli, parce que 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre ne sont pas pris en compte par l’accord : l’aviation civile et le transport maritime sont exclus de toute contrainte.
De la même manière, à l’échelle internationale, il reste sur les technologies vertes des droits de propriété intellectuelle et des brevets très lourds et coûteux. Il faudrait pouvoir a minima disposer des moyens permettant aux pays du Sud d’obtenir ces technologies. Dans le texte de négociation, il y avait une proposition d’article allant dans ce sens, mais elle a été supprimée.
On voit donc bien le décalage abyssal qui peut exister entre, d’un côté, la globalisation économique et financière que tout concourt à élargir, et de l’autre, une bulle de négociations qui ne sait pas s’emparer de ces choses-là. Un des chantiers prioritaires dans les années à venir sera de soumettre à l’objectif climatique les règles et les principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international.
Dans le secteur énergétique, va-t-on vers une confrontation toujours plus grande entre libéralisation et défense des services publics ?
Quand un Etat, une province, une région, une ville veulent développer un système énergétique en s’appuyant sur de la main d’œuvre locale ou des matériaux locaux, ou quand ils cherchent à développer des sources de production locales, ils se heurtent parfois à de gros obstacles. Exemple : la province de l’Ontario, au Canada, qui, il y a cinq ans, a décidé de fermer des centrales thermiques au charbon pour développer des énergies renouvelables, avec un tarif préférentiel de rachat de l’électricité. Cette province avait conditionné ce tarif préférentiel au fait que les entreprises utilisent majoritairement de la main d’œuvre locale et des matériaux locaux. Avec cette idée de bon sens que la population pourrait devenir actrice de cette transition. Or, cette politique a été attaquée par le Japon et l’Union Européenne devant l’OMC. Et ils ont gagné, au motif que cela privilégiait les entreprises locales au détriment des multinationales. C’est pourtant l’objet même de la transition : relocaliser nos systèmes productifs (ce qui ne veut pas dire qu’il faut penser le système électrique au niveau d’une commune).
Quel rôle les syndicats et la société civile dans son ensemble peuvent-ils jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Au sein de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, nous avons une alliance relativement forte entre le mouvement syndical, les ONG et les mouvements sociaux. Nous travaillons au quotidien dans les négociations avec la Confédération syndicale internationale. Il a été créé par exemple, en prélude à la COP21, un document qui fixe les lignes rouges à ne pas franchir. La bataille sur la question des droits des populations indigènes, des droits des travailleurs, de la transition juste (revendication syndicale, ndlr) a été menée collectivement pour que ces questions apparaissent dans des parties juridiquement opposables en droit international. Cela n’a pas été possible mais cette bataille va continuer.
La difficulté, c’est d’arriver à approfondir ces questions-là au niveau national et local. Ce que nous avons fait avec la Coalition Climat 21 en France, qui a permis de rassembler l’ensemble des ONG, des mouvements sociaux et des syndicats, doit nous permettre d’avancer dans les semaines à venir. Localement, dans les bassins d’emplois, dans les territoires, nous aurions intérêt à travailler sur la mise en œuvre de la transition, à échéance de 5, 10 ou 20 ans, avec les travailleurs, les ONG, les habitants.
Nous avons besoin de la mobilisation du plus grand nombre pour déterminer à la fois les objectifs à se donner et la façon d’y parvenir. La reconversion industrielle par exemple peut se faire de différentes façons : en fermant sauvagement des entreprises pour en développer d’autres à coté avec du capital-risque, ou bien en pensant cette reconversion avec une sécurité sociale organisée, en protégeant les emplois, en permettant aussi la reconversion des savoirs et des compétences de chacun.
Tags: Engagement Environnement Mouvement social
Attention dans le chapitre inquiétude ne pas confondre adjectifs et objectifs !! Juste une petite coquille, ! Sinon c’est intéressant tout en me paraissant pessimiste!