Susan Georges : les transnationales face aux peuples

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Susan Georges, président d’honneur d’Attac ©J.Marando/CCAS

Dans « Les usurpateurs, Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir », Susan George, présidente d’honneur d’Attac, s’insurge contre le pouvoir grandissant des multinationales symbolisé par l’accord de libre-échange en cours de négociation entre les États-Unis et l’Europe (TTIP).

Depuis plus d’un an, vous menez un combat contre l’accord de libre-échange (TTIP) en négociation entre les États-Unis et l’Europe. Quelles menaces ce traité représente-t-il pour les citoyens européens ?

Il y a déjà 3 200 traités dans le monde qui, comme le TAFTA, comportent un chapitre sur l’investissement. (Le TAFTA ou Accord de libre-échange transatlantique, dont les négociations ont débuté en juillet 2013, a été rebaptisé TTIP, Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, NDLR). Que veulent les investisseurs maintenant ? Pouvoir faire toutes les lois eux-mêmes.

Dans la plupart de ces traités, il y a une clause qui stipule que si un investisseur (une entreprise) estime que ses profits actuels ou futurs ont été ou vont être entamés par une mesure quelconque du gouvernement, il a le droit de porter plainte contre ce gouvernement devant une cour privée d’arbitrage. Dans certains cas, les compensations accordées sont absolument incroyables.

Avez-vous des exemples ?

Oui. Une compagnie pétrolière a intenté un procès contre l’Équateur. Celui-ci avait refusé d’autoriser le forage dans une zone écologiquement protégée. La compagnie a dit à l’Équateur : « J’avais le droit de m’attendre à pouvoir forer partout chez vous. Je porte donc plainte et je réclame 1,7 milliard de dollars de compensations. » Ce qu’ils ont obtenu ! Autre cas : Veolia a porté plainte contre l’État égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum. Et il y a beaucoup d’autres exemples. Ainsi, les entreprises multinationales ou transnationales s’accaparent le pouvoir judiciaire de façon totalement illégitime.

Quels autres moyens les grandes entreprises utilisent-elles pour prendre le pouvoir ?

L’autre façon de prendre le pouvoir, c’est de dicter ses propres règles. Depuis vingt ans, les compagnies se rencontrent de part et d’autre de l’Atlantique pour que les réglementations diminuent jusqu’au plus petit dénominateur commun. C’est une usurpation de la fonction législative et même de la fonction exécutive d’un gouvernement quand il s’agit d’un État petit et faible.

Prenons l’exemple de la Slovaquie, qui avait privatisé les services de santé. Il y a eu un tel tollé dans la population que le gouvernement suivant a voulu réintégrer la santé dans le secteur public. Une compagnie d’assurance hollandaise, qui avait vendu beaucoup d’assurances au moment de la privatisation, a alors poursuivi l’État devant la justice. Cela risque fort de décourager les petits pays qui voudraient mieux protéger la santé, l’environnement, le travail, lutter contre les OGM ou appliquer le principe de précaution aux produits chimiques.

Les services publics de l’électricité et du gaz sont-ils menacés par le TAFTA ?

Tous les services publics peuvent l’être, notamment quand les entreprises ont le droit de se plaindre d’un monopole de fait et du non respect de la concurrence. Je n’ai pas d’exemple précis, car dans beaucoup de cas nous ne connaissons pas le motif exact de la plainte déposée par l’entreprise. Les Nations unies en ont dénombré plus de 560 à ce jour, avec un record de nouvelles plaintes l’an dernier. Elles vont exploser si le TAFTA est signé. Avec certainement des attaques contre les services publics. Le Québec avait signé un moratoire contre la fracturation hydraulique. Peu de temps après, une compagnie qui voulait forer dans le bassin du Saint-Laurent a intenté un procès à l’État, demandant 250 millions de dollars.

Les négociations sur le TAFTA doivent s’achever à la fin de l’année. Où en sommes-nous ?

Ces négociations sont secrètes. Même nos représentants élus au Parlement européen n’ont un droit d’accès que s’ils font partie d’une commission X. Mais je crois que l’Europe a maintenant peur car il y a eu énormément de protestations. Plus d’1,5 million de signatures ont été enregistrées contre le traité lors d’une initiative citoyenne auto organisée.

Comment les citoyens peuvent-ils reprendre ce pouvoir confisqué par les transnationales ?

La connaissance est le premier instrument. Il faut savoir comment les choses se font, qui intervient à Bruxelles, quels sont ces grandes fondations, ces cercles, ces comités, ces grands lobbies qui s’occupent de secteurs entiers comme l’alcool, l’alimentation, les produits pharmaceutiques, chimiques, etc.

Sur les 127 réunions préparatoires aux négociations sur le TAFTA, seules neuf ont eu lieu en présence de syndicats, de consommateurs, d’environnementalistes, bref avec ceux qui représentent réellement la société civile. Toutes les autres se sont déroulées entre groupes de pression et très grandes entreprises. Mais nous en savons assez pour pouvoir lutter contre. Les conséquences du TAFTA seraient graves et irréversibles. Voilà pourquoi je passe beaucoup de temps en ce moment à le combattre.

À lire

« Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir », Susan Georges, Seuil, 2014.

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