À travers un road-movie léger et lumineux, Anne Alix nous livre sa vision du monde contemporain, faite de voyages, de rencontres et d’humanité. Une sélection de l’Acid et de la CCAS, vue cette année à Cannes.
Une belle journée d’été. Avignon, ville provençale de carte postale, son soleil, ses cigales. Une femme se jette du haut d’un pont. Mais Irma ne mourra pas aujourd’hui. Au contraire, elle va renaître à la vie : après l’avoir sauvée, Dolorès, rédactrice d’un guide touristique « gay-friendly » (destiné aux personnes LGBT), l’embarque sur les routes de Camargue, entre Port-Saint-Louis-du-Rhône et Miramas, pour une virée en décapotable qui va s’avérer aussi poétique que politique.
Ainsi débute « Il se passe quelque chose », long-métrage soutenu par l’Acid et la CCAS. Sorte de cousin joyeux et planant du « Thelma et Louise » de Ridley Scott, ce film attachant repose sur la notion de rencontre. Qu’est-ce qu’une rencontre ? Ce mot désigne-t-il le simple fait de croiser quelqu’un, de communiquer avec lui ou le lien que l’on parvient (ou non) à tisser avec cette personne ?
La cinéaste Anne Alix fait de la rencontre entre Irma et Dolorès la mère de toutes les rencontres. Non seulement parce qu’elle en génère beaucoup d’autres, mais aussi parce qu’elle en est le modèle : deux femmes que tout oppose (Dolorès, solaire et dynamique, et Irma, mélancolique et contemplative) vont puiser chacune dans l’autre la force de survivre et d’apprécier la beauté du monde. Cette rencontre initiale est à l’origine de toutes les autres, qui jalonnent le voyage de nos deux héroïnes.
Afin d’illustrer cet enjeu du film, Anne Alix met l’accent sur l’improvisation. En effet, seules les deux comédiennes qui incarnent les personnages principaux sont professionnelles. Tous les autres acteurs jouent leur propre rôle. Ainsi Lola Dueñas (actrice fétiche de Pedro Almodóvar) et Bojena Horackova ne se contentent-elles pas d’interpréter leurs personnages dans des scènes écrites : elles doivent les transposer dans la réalité des « vraies gens », et composer avec celle-ci. Elles s’invitent dans un petit restaurant, une fête de village, chez des pêcheurs, dans une usine de conserves… et le hasard s’occupe du reste. Leurs personnages se nourrissent de ces rencontres, qui sont elles-mêmes un formidable révélateur d’humanité. Lorsque Irma prend le micro lors d’une soirée karaoké pour évoquer son suicide et son retour à la vie, les clients du bar l’embrassent, la félicitent… « La réaction spontanée des gens, d’une humanité immense, a surpassé de loin mes espérances », déclarera la réalisatrice.
Trouver sa place
Le voyage de Dolorès et Irma est une allégorie de tous les voyages, toutes les migrations, toutes les errances. Elles-mêmes sont deux étrangères (l’une espagnole, l’autre bulgare) qui ont choisi la France comme terre d’adoption, et ne peuvent communiquer entre elles que par la langue de leur pays d’accueil. Et tous les autres personnages sont plus ou moins dans la même situation : les uns ont traversé les océans au péril de leur vie (à l’image de Tango, le pêcheur qui a fui les Khmers rouges, ou de Mohammed, réfugié éthiopien dans l’attente d’un permis de séjour, qui court chaque jour 30 kilomètres pour tuer le temps). Les autres, comme Jean le métallo ou Dora la restauratrice, ont changé de région pour tout recommencer à zéro.
Les grands espaces qui défilent, les vastes étendues d’eau, les routes interminables, qui évoquent irrésistiblement le grand Ouest américain, donnent corps à cette errance, à ces histoires d’exil. Et chaque étape du voyage donne à voir, à ressentir un territoire, un pays qui se caractérise non par son identité propre, mais par les flux migratoires qui le traversent et l’enrichissent.
La France est ici dépeinte non seulement comme un entrecroisement de cultures, mais aussi, à l’image de toutes les terres de migration, comme le pays des nouvelles vies, des secondes chances. À l’image d’Irma, dont l’existence a perdu tout son sens depuis la mort de son mari, chacun y cherche sa place. Avec, en sous-texte, des questions essentielles : à l’heure des angoisses, des replis identitaires face au capitalisme mondialisé, quel humain voulons-nous être ? Et de quelle façon pouvons-nous habiter ce monde ?
La fiche
« Il se passe quelque chose »
Un film d’Anne Alix
Avec Lola Dueñas, Bojena Horackova
France, 2018, 1 h 43.
Production : Thomas Ordonneau – Shellac Sud
L’Acid : donner une chance à tous les films d’être vus
Ce film bénéficie du soutien de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid).
Site Internet : www.lacid.org
Plus d’infos sur ce partenariat sur ccas.fr
Née en 1992, l’Acid est une association de cinéastes qui œuvre à rendre accessible le cinéma indépendant à tous les publics, en lien avec l’action culturelle de proximité. En cela, elle partage la philosophie de la CCAS, dont elle est partenaire. Afin d’offrir une vitrine aux jeunes talents, l’Acid présente une programmation au Festival de Cannes, et au festival Visions sociales de la CCAS.
Tags: Acid Cinéma Festival de Cannes Réfugiés