La solidarité nationale en crise

Distribution alimentaire du Secours populaire français, à Paris, pendant le Covid-19.

Distribution alimentaire du Secours populaire français, à Paris, pendant le Covid-19. ©Nathalie Bardou/SPF

Le tournant économique libéral pris par la France depuis les années 1970 a un impact tant sur les politiques sociales que sur le secteur de l’économie sociale et solidaire. En conséquence, la précarisation grandissante des plus démunis et la fragilisation des acteurs associatifs.

Il y a un an, l’une des plus emblématiques associations françaises d’aide aux démunis lançait un cri d’alarme : grevés par l’inflation et la hausse des besoins alimentaires, les Restos du cœur étaient sur le point de mettre la clé sous la porte. La situation de cette structure, renflouée depuis, n’est qu’un exemple parmi d’autres dans la galaxie des acteurs caritatifs.

Le gouvernement d’Élisabeth Borne a bien tenté de proposer un Pacte des solidarités en septembre 2023. Ce catalogue de mesures n’a pas convaincu : la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe quelque 800 associations, réclame toujours des mesures d’urgence, comme la hausse des minima sociaux et la revalorisation des aides aux associations.

En chiffres

  • 62 % des Français ont connu ou ont été sur le point de connaître une situation de pauvreté en 2024 (+ 4 % par rapport à 2023).
  • 47 % des Français rencontrent des difficultés pour payer leurs dépenses d’énergie.

Source : Baromètre de la pauvreté et de la précarité par Ipsos pour le Secours populaire, juin 2024.

Le modèle social français, fondé en premier lieu sur la solidarité, semble en crise. Mais que recouvre le concept de solidarité ? La définition du mot a évolué au cours des siècles. Dans l’Antiquité, la solidarité désignait une « responsabilité juridique collective » (selon Pierre Musso, professeur des universités honoraire à l’université de Rennes), qui rendait des associés solidaires les uns des autres. Ce principe s’est maintenu à côté de la charité chrétienne jusqu’au XIXe siècle.

Avec l’émergence du mouvement ouvrier, de multiples associations se sont créées. La solidarité est devenue un idéal, un devoir moral, renvoyant à la fraternité. On peut également évoquer l’émergence du concept de solidarisme, créé par Léon Bourgeois en 1896, qui a été à l’origine des lois de protection sociale mises en place à partir de 1945.

L’État a ainsi joué un rôle croissant et majeur dans l’organisation de la solidarité publique, en particulier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec la création de la Sécurité sociale.

1946 : la France, dévastée, sort du malheur en instaurant une politique de solidarité jamais vue, qu’on appelle déjà la Sécurité sociale. Un document France Culture, 13 mai 2020.

Au cours des décennies suivantes, son action a été complétée, dans un contexte de mondialisation, par le travail d’organisations non gouvernementales (ONG) à vocation internationale telles que Médecins sans frontières (1971), Aides (1984), SOS Méditerranée (2015)…

Avec le tournant libéral pris par les politiques gouvernementales depuis les années 1970, le rôle des associations se fait de plus en plus prégnant. À titre d’exemple, les Restos du cœur assurent aujourd’hui 35 % de l’aide alimentaire d’urgence. Un chiffre à mettre en lien avec le nombre croissant de Français concernés par la précarité (62 % en 2024, selon le Baromètre de la pauvreté et de la précarité réalisé par Ipsos pour le Secours populaire, publié en juin 2024). De fait, le secteur de l’économie sociale et solidaire tourne à plein régime.

La maltraitance institutionnelle

De nombreux facteurs expliquent cette situation, dont la « maltraitance institutionnelle », pointée par ATD Quart Monde dans un rapport paru en septembre dernier. Il s’agit de mécanismes à l’œuvre dans les organismes publics qui touchent tout le monde mais ont des effets dévastateurs sur les personnes les plus vulnérables.

Un exemple : en même temps qu’il durcit les conditions d’accès aux allocations, l’État mène une politique de lutte contre la fraude aux aides sociales. C’est ainsi que la Caisse d’allocations familiales a mis en place un algorithme qui attribue aux allocataires un « score de risque » : plus ils sont précaires (faibles revenus, chômage…), plus leur score est élevé. Ils sont davantage soupçonnés de commettre des erreurs dans leurs déclarations de ressources. Ils sont donc plus contrôlés que les autres, ce qui ajoute à leurs difficultés. Ces pratiques accentuent le non-recours aux allocations, dont le taux varie entre 30 et 40 % selon les aides.

En chiffres

  • 48 % des Français estiment que les pouvoirs publics « ne font pas assez » pour les plus démunis.
  • 51 % des Français ont réalisé au moins un don en 2023
  • 28 % des Français ont participé à une ou plusieurs actions de bénévolat en 2023

Sources : ministère des Solidarités, 2022 ; Baromètre de la solidarité Ipsos, mars 2024.

Les organismes de l’économie sociale et solidaire eux-mêmes subissent aussi les effets de la logique néolibérale, comme l’expliquait le sociologue Matthieu Hély dans Libération fin 2023 (article réservé aux abonnés). Si la solidarité demeure leur finalité, ces structures n’en doivent pas moins être viables économiquement. Soutenues initialement par une politique de subventions « automatiques », elles ont été peu à peu mises en concurrence par l’attribution de financements sur des appels à projet.

Une logique qui implique à la fois un surcroît de travail, une focalisation sur les chiffres, ainsi que de nouvelles méthodes managériales qui détournent les salariés des bénéficiaires dont ils sont censés s’occuper. Si l’État veut remettre la lutte contre la précarité au cœur de ses préoccupations, il ne pourra s’épargner une réflexion sur les dysfonctionnements des services publics, ainsi que sur le statut ambivalent du secteur associatif.



 

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