Malgré un demi-siècle de luttes et de lois, trop de personnes handicapées sont encore discriminées au quotidien. Pourtant, cette mécanique d’exclusion n’est pas une fatalité, comme le montrent les initiatives menées au sein des Activités Sociales et en dehors. Décryptage des clés d’une société inclusive, et témoignages de bénéficiaires concerné·es par le handicap.
Comme de nombreuses personnes dont le handicap n’est pas visible, Paul Laborde, fils d’agent, ne veut pas afficher ses « difficultés ». À 23 ans, il vient d’être embauché dans une grande entreprise de télécommunications après avoir réussi à franchir toutes les barrières du système éducatif (lire plus loin). « Ç’a été une bataille, raconte sa mère, Françoise. L’école exclut, dès la maternelle. Il faut faire une demande pour bénéficier d’auxiliaires de vie scolaire et il y a un an d’attente. Les AVS et AESH [accompagnants des élèves en situation de handicap, ndlr] sont de bonne volonté mais souvent affectés du jour au lendemain sans avoir été correctement formés, et ils sont payés 700 euros par mois en temps partiel. »
Les colos Pluriel, un très gros « plus »
Si Paul a réussi à trouver sa place, il le doit bien sûr à ses qualités, à ses compétences et à sa volonté, mais aussi à la ténacité de ses parents. Et à une rencontre déterminante : « Au lycée professionnel où était Paul, poursuit Françoise Laborde, nous avons eu la chance d’être en contact avec un médecin scolaire qui nous a orientés vers Osons l’égalité, une association qui accompagne les jeunes en situation de handicap dans leur parcours scolaire et professionnel. » Une « chance » que bien des parents et des enfants n’ont pas, insiste Françoise Laborde.
Autre facteur non négligeable dans cette trajectoire : les colos Pluriel. « Notre fils est parti trois fois par an en séjour avec la CCAS à partir de l’âge de 6 ans, précise la mère de Paul. Il a bénéficié d’un accompagnement adapté et a pu participer à des activités qu’il n’aurait jamais pu faire ailleurs : du ski, de la vidéo… Ça lui a apporté un très gros avantage. L’atout de la CCAS, c’est de proposer des vacances ouvertes à tous, où l’on n’est pas pénalisé en raison d’un handicap. »
Selon Françoise Laborde, « tout devrait pouvoir être accessible à tout le monde ; c’est une question de moyens. On a tous droit à nos rêves ».
Le droit à l’autonomie, un combat toujours d’actualité
Prendre le train ou le métro, aller à l’école, habiter un logement adapté, partir en vacances, déjeuner au restaurant, aller au cinéma, occuper un emploi, avoir une vie sexuelle et amoureuse, vivre avec la ou les personnes de son choix… En 2021, l’autonomie et la dignité de nombreuses personnes en situation de handicap sont trop souvent piétinées. Et cela en dépit des multiples lois votées ces dernières décennies. En dépit également des droits à l’égalité, à l’autonomie et à l’émancipation conquis depuis les années 1970 par des associations militantes, notamment par le Comité de lutte des handicapés et son journal « Handicapés méchants ».
Pour pallier les carences des pouvoirs publics, les familles se sont organisées : en 1992, des agents d’EDF et de Gaz de France ont fondé l’association Entraide Handicap, devenue ensuite Handicap Énergie. Objectif : développer un réseau de solidarité au sein des Industries électriques et gazières.
En 2005, la France adoptait la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. En 2010, elle intégrait à sa législation la convention des Nations unies relative aux droits de ces personnes. Depuis, leur accessibilité dans les établissements recevant du public a indéniablement progressé sur le plan quantitatif. Mais, en septembre dernier, l’ONU publiait, via son Comité des droits des personnes handicapées, une analyse très critique de l’action de l’État. Et recommandait au gouvernement d’ »interdire la discrimination fondée sur le handicap », de « mettre en œuvre l’accessibilité universelle » et de « réformer la réglementation de l’allocation adulte handicapé afin de séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leurs conjoints ».
« En chaque personne, il y a quelque chose à développer »
De leur côté, les Activités Sociales poursuivent leur action en faveur d’une société inclusive : aides financières et matérielles, séjours Pluriel, partenariats associatifs… Mathieu Dupin, éducateur au foyer Hubert-Pascal, à Nîmes, a participé à deux festivals organisés autour du handicap par les CMCAS, l’un à Toulouse (Festiv’hand), l’autre à La Rochelle (Solihand), en tant que leader du groupe de musique Les UnsDifférents.
Ce groupe, composé de personnes atteintes de troubles cognitifs (autisme, trisomie, etc.) sillonne l’Hexagone au rythme de 60 concerts par an. « Dès qu’ils sont devant un public, une incroyable énergie se déploie en eux. En chaque personne, il y a plein de choses à développer », assure l’éducateur. Le groupe prépare actuellement un clip en collaboration avec Jean-Louis Aubert. À terme, Mathieu Dupin aimerait créer à Nîmes un Esat (établissement et service d’aide par le travail) des métiers de la musique. Un projet plus émancipateur, selon lui, que les « ateliers occupationnels » proposés dans les foyers. À 23 ans, Antoine Grangonnet, l’un des chanteurs des UnsDifférents, a lui aussi un rêve : faire de sa passion du chant un métier.
En savoir plus sur les aides aux situations de handicap (ouvrant droit, conjoint, enfant)
sur ccas.fr > Santé social > Aides de la branche des IEG et des Activités Sociales
« Handicapé » ou « en situation de handicap » ?
Depuis les années 2000, l’expression « personne en situation de handicap » s’est imposée dans toutes les institutions officielles ainsi que dans les médias. Sans faire l’unanimité. Pour les uns, cette notion permet de ne plus enfermer les gens dans leur handicap. Celui-ci peut en effet être temporaire et/ou lié aux hasards et circonstances de la vie (accident, maladie, âge, etc.). Pour d’autres, cette expression n’est qu’un cache-sexe, au même titre que le terme « seniors » ou la périphrase « personne issue de la diversité ». Une manière de dépolitiser ou de fausser le débat, estimait en 2012 l’enseignante Hélène Genet : « En tant que mère d’un enfant handicapé, je suis aussi en situation de handicap. »
C’est vous qui le dites
Le regard de la société sur le handicap a-t-il changé ? Comment l’améliorer et favoriser une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap ? Concernés, Christine, Sébastien, Luc, Paul et Jean-Loup nous livrent leur sentiment.
« Il faut être soi-même et croire à ses rêves »
Paul Laborde, fils d’agent, 23 ans, salarié dans les télécommunications, CMCAS Haute-Bretagne
« Le regard sur le handicap commence à évoluer dans le bon sens. Personnellement, je n’ai jamais eu à souffrir du regard des autres. J’ai des difficultés mais elles ne sont pas insurmontables du moment qu’elles sont prises en compte. J’ai toujours été accompagné par mes parents et, quand j’étais au lycée, j’ai été soutenu par une association basée à Saint-Brieuc. Les séjours Pluriel m’ont aussi aidé : je suis beaucoup parti en colo avec la CCAS. On me proposait des activités adaptées et je vivais comme les autres enfants, sans être étiqueté.
J’ai été embauché cette année chez Orange et ça se passe très bien : on me regarde comme quelqu’un de normal. Mon manager et certains collègues savent, par exemple, que j’ai des difficultés pour écrire, mais ça ne pose pas de problème. Quand vous expliquez les choses simplement à l’employeur et qu’il vous voit travailler, il se dit : ‘Finalement, cette personne est comme tout le monde.’ Il faut être soi-même et surtout croire à ses rêves, à ses projets. Il n’y a pas de fatalité. »
« C’est pénible de devoir s’excuser d’être handicapée »
Christine Courpotin, retraitée d’EDF, CMCAS La Rochelle
« Des choses ont avancé en matière d’aide aux handicapés mais j’ai l’impression qu’on reste souvent dans l’assistanat. De nombreuses entreprises se dédouanent encore de leur obligation légale de recruter des handicapés physiques ou mentaux. Il faut arrêter de regarder les handicapés comme des gens anormaux. Ils ont des sentiments, des envies, des compétences, des projets comme tout le monde. Aujourd’hui, on peut tout à fait adapter les postes de travail à certains handicaps.
On devrait aussi améliorer l’accès aux transports. Je suis malvoyante depuis quelques années et, dernièrement, j’ai voulu prendre le train pour aller voir ma famille. Impossible pour moi de trouver le numéro du quai car les panneaux d’affichage sont tous situés en hauteur. J’ai dû demander de l’aide à des gens pressés de prendre leur train et je l’ai mal vécu. C’est pénible de devoir s’excuser d’être handicapée. Il faudrait que les ‘valides’ se mettent à notre place. Non pas pour nous assister, mais pour nous permettre de vivre comme tout le monde. »
« Penser que tout peut être accessible est utopique »
Luc Bergeas, vice-président de l’Association sportive sociale des handicapés et adhérents valides (ASSHAV) de Poitiers, affiliée à la Fédération française handisport
« Le regard a changé, on ne peut pas le nier. L’inclusion scolaire et les avancées technologiques y sont pour beaucoup. Permettre à une personne de sortir de chez elle sans trop de difficultés la rend plus autonome.
Plus les personnes handicapées sortent de chez elles et circulent dans l’espace public, moins les gens sont étonnés de les croiser. C’est la rareté qui crée l’étonnement. Je trouve que, oui, des choses avancent, comme la mise aux normes des complexes sportifs. On est partis de très loin, on ne peut pas tout changer du jour au lendemain. Améliorer l’accessibilité a été un aspect fondamental, mais c’est utopique de penser que tous les espaces vont être accessibles. »
« Le handicap fait encore peur »
Sébastien Rodrigues, agent détaché, président de la SLVie de l’Eure et administrateur de la CMCAS Haute-Normandie
« Je n’ai pas envie de mettre l’accent sur mon handicap. J’ai refusé d’avoir un poste aménagé car je ne veux pas me sentir à part. Je fais mon boulot comme les autres, tout en ayant conscience que je dois toujours en faire un peu plus que les autres. Aujourd’hui, je marche et je cours, mais je remarque que certains regards s’attardent plus sur ma démarche que lorsque j’étais en fauteuil. C’est en tout cas ce que je perçois dans certains regards.
J’ai le sentiment que, si les questions d’accessibilité progressent, profondément les esprits ne changent pas. Le handicap fait encore peur, il renvoie à l’inconnu ou bien à ce que l’on n’aimerait pas qu’il nous arrive. Pour ne pas sentir cela, on s’entoure de gens ‘bien’ qui ne voient pas votre handicap, mais ils sont très rares. »
« Il faudrait que l’un de nous fasse le tour de France des centres de vacances ! »
Jean-Louis de Beausse, fils d’agent, CMCAS Finistère-Morbihan
« Je suis handicapé de naissance parce que j’ai souffert d’un manque d’oxygène durant l’accouchement. Mes parents souhaitaient m’inscrire dans une école privée mais le directeur a refusé, à l’époque le handicap était tabou. En tant que fils d’agent, j’ai fréquenté – et je continue de le faire – les centres de vacances de la CCAS qui proposent des logements accessibles aux personnes en fauteuil.
En pratique, lorsqu’on est en fauteuil, il suffit d’un détail pour rendre les lieux du quotidien inaccessibles ou faire barrage à la vie collective. Les valides ne s’en rendent pas toujours compte. Il peut s’agir d’un dos d’âne dans les toilettes d’une chambre pour handicapés, comme à Morgat, ou d’une marche installée à l’entrée des toilettes, comme à Mousterlin-Fouesnant, etc. Il faudrait que l’un d’entre nous fasse le tour de France des centres pour pointer tous ces problèmes. »
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