Le centre de vacances d’Arès, en Gironde, a accueilli les 6 et 7 octobre derniers un week-end de retrouvailles à l’occasion des 70 ans de l’Association Amicale Énergies (AAE). Une manifestation festive et émouvante qui a mis en lumière le rôle fédérateur et émancipateur des écoles de métiers.
Paul, 93 ans, issu de l’une des premières promotions de l’école de métiers de Gurcy-le-Châtel est venu seul en voiture depuis Douai. À l’instar de la centaine d’autres participants, pour rien au monde il n’aurait raté ce rendez-vous. Une occasion unique de retrouver des camarades de promotion ou des collègues qui partagent cette expérience inoubliable qu’a été la formation au sein des écoles de métiers d’EDF-GDF.
Organisé par l’Association Amicale Énergies, pour célébrer ses sept décennies d’existence, ce week-end mêlant réflexion, détente et convivialité avait pour cadre le centre de vacances d’Arès. « Un événement tel que celui-ci a toute sa place au sein du patrimoine des Activités Sociales. Cela permet de faire vivre hors saison des infrastructures comme celle-ci, où le personnel et le directeur se sont mobilisés pour faire de ces journées de retrouvailles une véritable fête », précise Christophe Baldès, administrateur de l’AAE et cheville ouvrière du partenariat qui a permis à cette rencontre de se tenir à Arès.
Souvenirs de jeunesse
Outre la commodité des lieux, le programme, alliant découverte de la région et temps d’échanges, était effectivement plutôt attractif : dès le samedi midi les agent·es venu·es pour certain·es accompagné·es de leurs enfants, leur conjoint ou d’autres membres de leur famille, ont été accueilli·es autour d’un verre de l’amitié durant lequel une liste des participants leur a été communiquée par l’équipe des organisateurs. Une première occasion, pour certains, de renouer des liens, et, pour d’autres, de faire connaissance et de comparer leurs souvenirs de jeunesse.
À peine le repas terminé, un premier groupe a pris le chemin de l’embarcadère pour une visite guidée, en bateau, du bassin d’Arcachon. Célèbre pour ses huîtres creuses, le bassin réserve une place de choix à l’ostréiculture, puisque 1 600 ha, soit un dixième du bassin, lui est réservé avec une production annuelle d’environ 16 000 tonnes, nous apprend notre skippeur. Cette balade est aussi l’occasion de découvrir la faune qui peuple cet espace naturel relativement préservé, très prisé des oiseaux. Et d’admirer les somptueuses villas qui bordent le bassin, en face desquelles sont amarrés à quelques dizaines de mètres de petits bateaux de plaisance, dont la durée moyenne de navigation est de 24 heures par an, nous précise le guide avec une pointe d’ironie…
Après quasiment deux heures de navigation, alors que la pluie commençait à tomber, le groupe a débarqué et rejoint le centre de vacances où une conférence sur la formidable école de la vie que furent les écoles de métiers les attendait. Ces écoles ont été créées durant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, par EDF, avant même la nationalisation de 1946. Elles ont tout d’abord accueilli de jeunes garçons puis à partir de 1954 des adultes en formation continue, leur dispensant un enseignement axé sur les métiers de l’électricité, alliant savoirs techniques, apprentissage civique et éducation aux valeurs humanistes. Et ce, jusqu’à leur fermeture définitive en 2004.
Hommage aux écoles de métiers : le cas de Gurcy
Au total, ce ne sont pas moins de 33 000 jeunes hommes, agents d’exécution à 90 %, qui sont sortis des écoles de métiers réparties dans toute la France : Gurcy-le-Châtel en Seine-et-Marne, La Pérollière dans le Rhône, Scourdois dans le Puy-de-Dôme, Saint-Affrique dans l’Aveyron, Sainte-Tulle dans les Alpes-de-Haute-Provence, Soissons-Cuffies dans l’Aisne pour EDF, Nantes-Montluc en Bretagne, Versailles dans les Yvelines et Lyon-La Mouche pour GDF.
À Gurcy, l’école sur laquelle s’est penchée Mireille Landrot, agente EDF et auteure d’un mémoire en histoire contemporaine sur le sujet, la formation des jeunes élèves s’arrête en 1986, après 87 promotions qui ont formé 6 863 jeunes élèves et 707 agents de maîtrise technique, soit 7 570 élèves au total. Le centre restera jusqu’en 2004 un lieu de perfectionnement professionnel pour les adultes, mais la page « école de métiers » se tourne au milieu des années 1980, après trente années sous ce statut, et quarante-cinq années au service de la formation technique des jeunes agents.
« L’histoire n’est pas ma formation initiale, raconte Mireille Landrot. C’est après être entrée à EDF que j’ai décidé de me lancer ce défi : poursuivre mes études dans un domaine totalement différent, par goût… Je pense qu’il est important de montrer que l’on peut continuer à évoluer, à progresser, à apprendre, tout en travaillant. Personnellement, je suis attachée à EDF, mon entreprise, qui a toujours promu la formation, la transmission. Donc, faire connaître aux salariés le résultat de mes recherches sur les écoles de métiers, c’est une manière de m’inscrire dans cette tradition de partage. Les jeunes générations ne connaissent pas du tout l’histoire des écoles de métiers, donc c’est important de la diffuser pour renforcer la culture de l’entreprise. »
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« La grande majorité des anciens élèves des écoles de métiers ont la conviction qu’ils ont une responsabilité sociale. Certains prennent des mandats syndicaux, d’autres des responsabilités politiques à l’échelle municipale, ou encore ont un ou plusieurs engagements associatifs. C’est vraiment une caractéristique commune, qu’ils soient en activité ou à la retraite. À Gurcy, la formation était technique mais aussi humaine : nombre de ceux que j’ai rencontrés pour rédiger mon mémoire, et qui avaient 17 ans à l’époque, m’ont raconté leur vie professionnelle et ont aussi évoqué leur engagement citoyen, essentiel à leurs yeux. » Et effectivement, tous les anciens de l’école des métiers de Gurcy-le-Châtel semblent se souvenir de cette maxime qui a rythmé leur apprentissage : « Tu seras dans la vie ce que tu as été à Gurcy. »
Et c’est grâce à leur appui que Mireille Landrot a pu réunir les documents qui lui ont permis de réaliser son mémoire. Certains ont parcouru des kilomètres pour récupérer des archives qui allaient être détruites lors de la fermeture des écoles. D’autres, nombreux, ont témoigné, permettant à l’universitaire de se replonger dans l’ambiance de l’époque et de documenter cet épisode de l’histoire qui risquait de sombrer dans l’oubli.
L’AAE : un réseau pour ceux qui n’en ont pas
Le repas festif du samedi soir fut l’occasion pour les anciens d’échanger leurs souvenirs… Entre deux pas de danse, ils se sont succédé au micro pour raconter, qui une partie de rugby mouvementée, qui les manies d’un professeur de maths, qui encore, les fameuses journées d’intégration des nouvelles promotions… Les rires fusaient, traduisant une complicité intacte entre les anciens camarades. « Les écoles de métiers, c’était vraiment quelque chose d’unique. Ces hommes [très peu de femmes ont intégré des écoles de métiers, NDLR] ont passé seulement une année ensemble mais tellement intense qu’ils sont restés très soudés. Ils sont plus proches de leurs camarades de promo que de collègues avec qui ils ont passé vingt-cinq ans au boulot », remarque Christophe Baldès qui sait de quoi il parle puisqu’il est lui aussi issu d’une école de métiers : celle de Saint-Afrique dont il a intégré l’une des dernières promos.
« C’est fou, j’ai l’impression que mon beau-père a retrouvé ses 17 ans : ce matin il était le premier levé, pressé d’aller retrouver ses copains au petit déjeuner… Il se tient droit et court comme un lapin alors qu’à la maison on a du mal à lui faire quitter son fauteuil », nous confie le dimanche matin l’une des participantes, venue en famille pour ce week-end à Arès.
C’est « l’effet retrouvailles », confirme Rudy Racon, président de l’AAE : « À chaque fois que nous organisons ce type de rencontres, nous sommes surpris et ravis de leur succès. Mais au-delà du partage des souvenirs, l’objectif de notre association, fondée par et pour les agents en 1948, soit deux ans après la création d’EDF-GDF, est la formation qui permet l’évolution au sein de l’entreprise. Nous nous battons pour que les savoirs et les compétences acquis tout au long de la vie des agents par la formation soient reconnus et utilisés dans l’entreprise. Beaucoup de gens partent à la retraite sans avoir rien transmis. L’AAE et notamment ce type de rencontre permet de le faire et de promouvoir la solidarité intergénérationnelle.
L’AAE, c’est le réseau de ceux qui n’en ont pas : quand on a fait une grande école de commerce ou d’ingénieur, on a un réseau, par contre quand on s’est formé en étant dans l’entreprise, ce n’est pas le cas, donc on a besoin du soutien des anciens qui ont travaillé dans la même branche, ce sont ces solidarités qui permettent d’évoluer dans la vie professionnelle et c’est ce à quoi nous travaillons à travers nos rencontres. Les agents qui sont passés par les écoles de métiers ont en général avancé très rapidement dans leur carrière, mais sans jamais courber l’échine et en défendant toujours les valeurs du service public. Ils n’avaient pas pour principe d’obéir aveuglement à des ordres, leur but était de faire avancer les choses. Ce sont ces valeurs-là qu’il faut perpétuer aujourd’hui. »
Pour aller plus loin
> Lire le mémoire de Mireille Landrot sur l’école de Gurcy-le-Châtel
L’Association Amicale Énergies en bref
Née en 1948, cette association professionnelle est la plus ancienne de l’histoire des Industries électriques et gazières depuis la nationalisation d’EDF-GDF. Elle accompagne les salarié·es des IEG dans la construction de leur parcours de formation professionnelle. Depuis 2010, l’AAE s’est ouverte à l’ensemble des salarié·es français·es, ainsi qu’aux demandeurs et demandeuses d’emploi, afin de leur apporter un soutien financier, professionnel et moral dans l’élaboration de leur projet de formation.
Contacter l’AAE
Sur son site Internet : www.amicale-energies.org, rubrique contact.
Par courrier : À l’attention de l’Association Amicale Énergies, Fondation Groupe EDF, 6, rue Récamier, 75007 Paris.