Lors du congrès de Toulouse, en mars 1936, les deux branches rivales de la CGT, séparées depuis 1921, décident de se réunifier. C’est la première étape vers l’unité syndicale en France. C’est le premier épisode de notre chronique de 1936.
C’est un de ces événements qui passent souvent inaperçus, mais qui portent pourtant en eux tous les bouleversements à venir. Lors du congrès de Toulouse, en mars 1936, les deux branches rivales de la CGT, séparées depuis 1921, décident de se réunifier. La division entre CGT, regroupant socialistes et anarchistes, et CGTU (U pour unitaire), proche des communistes, prend fin. L’autre confédération syndicale, la CFTC, proche du mouvement du christianisme social, reste à l’écart de cette réunification syndicale, mais elle pèse alors bien moins que la CGT. Son implantation reste cantonnée à Paris, à Lyon, au Nord et à l’Alsace. Elle n’a de réelle influence que dans des branches d’activité majoritairement féminines, comme le textile. A l’inverse, les deux CGT sont implantées sur la totalité du territoire national, même si l’ancrage est inégal d’une branche à l’autre. La réunification des deux CGT représente ainsi une véritable union de la quasi-totalité du mouvement ouvrier.
Electriciens et gaziers sont parmi les branches les plus syndiquées et les plus combatives. Cependant, la réunification syndicale ne se déroule pas parmi eux sans tension. Trois points, au moins, sont débattus lors du congrès fédéral de Toulouse. Le premier est le périmètre professionnel du nouveau syndicat. A la CGT, sont réunis en une fédération les travailleurs de ce que l’on appelle alors « l’éclairage ». A la CGTU, ceux des services publics.
Le deuxième point de débat, bien plus épineux, est celui de l’indépendance du syndicalisme à l’égard de la politique, conformément à la charte d’Amiens de 1906. La CGT y est fermement attachée, mais la CGTU défend une ligne plus nuancée, permettant à certains dirigeants syndicaux d’exercer des mandats politiques. Comme le dit ironiquement Marcel Paul, à la fois dirigeant syndical de la CGTU et conseiller municipal de Paris (et futur député et ministre), dans son adresse au congrès de réunification : « C’est un cumulard qui vous parle. » Mais la suite de son discours souligne sa « confiance dans le mouvement syndical » et sa conviction que la réunification est indispensable.
Troisième point de débat : la composition du nouveau comité fédéral. Sera-t-il élu à la proportionnelle du nombre d’adhérents ou au nombre de syndicats ? La première option est en faveur de la CGTU, la seconde de la CGT.
Sur ces trois questions litigieuses, le congrès de Toulouse finit par trouver un terrain d’entente. Une nouvelle direction fédérale est élue, formée de Charles Biot et d’Henri Surugue, de Gaz de Paris et de Raoul Lèbre, de la société Sainte-Tulle/Energie électrique du littoral méditerranéen, ainsi que de Marcel Paul, de Jean Duflot, de Gaz de Paris, et de Clément Baudoin, de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, tous ex-CGTU. Soit une stricte parité entre les deux organisations concurrentes. On voit aussi, à lire la liste des entreprises où travaillaient les dirigeants syndicaux, combien le syndicalisme ouvrier avait alors à faire face à la lourde tâche de fédérer les revendications de travailleurs de multiples entreprises du secteur de l’électricité et du gaz, aux conditions sociales fort différentes.
Comment une telle réunification syndicale a-t-elle été possible en quelques mois seulement ? La réponse tient au contexte international. CGT et CGTU s’étaient rudement affrontées dans les années 1920, en contrepoint différé de la rupture entre socialistes et communistes du congrès de Tours de 1919. Mais avec la montée européenne du fascisme dans les années 1930, qui se traduit en France par les manifestations insurrectionnelles des ligues d’extrême droite du 6 février 1934, l’union syndicale apparaît comme un impératif vital.
Déjà, en région parisienne, les deux syndicats rivaux pratiquaient l’unité d’action depuis 1934. Dans certaines entreprises, comme à l’usine gazière du Cornillon à Saint-Denis, les sections syndicales des deux confédérations avaient déjà fusionné. Le mouvement partait donc des aspirations de la base. Le congrès de réunification de Toulouse apparaît ainsi comme l’aboutissement d’un long travail de prise de conscience collective que, face au danger du fascisme, l’unité des travailleurs était la meilleure parade.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |