Une loi visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables, éolien et solaire en tête, a été promulguée le 10 mars 2023. Très en retard dans ce domaine par rapport aux autres pays européen, la France veut réduire sa dépendance aux énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais cette nouvelle loi fait l’impasse sur les questions qui fâchent.
Le 7 février dernier, le Parlement français a adopté un texte très attendu, le projet de loi « relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables » (ENR). C’est la première fois qu’un texte législatif traite spécifiquement de cette question. Dans l’exposé des motifs, l’exécutif se montre très ambitieux : il s’agit notamment, d’ici à 2050, de « multiplier par dix notre capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW » et de « déployer 50 parcs éoliens en mer pour atteindre 40 GW ».
« Le développement massif des énergies renouvelables est une absolue nécessité pour atteindre la neutralité carbone, pour sauvegarder notre sécurité d’approvisionnement et pour assurer notre indépendance énergétique », insiste l’exécutif. Afin de respecter les objectifs fixés dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), il faudrait doubler en cinq ans notre capacité de production d’électricité renouvelable et multiplier au moins par quatre notre production de gaz renouvelable.
La France, bonnet d’âne des renouvelables en Europe
Avec seulement 19,1% d’énergies renouvelables (hydraulique, éolien, photovoltaïque, géothermie, biomasse, biogaz) dans sa consommation finale brute d’énergie en 2020, la France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir respecté l’objectif qu’elle s’était elle-même fixée (23 %). Une indiscipline qui aurait coûté 500 millions d’euros aux finances publiques l’an dernier selon la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Malgré une année 2022 « record » selon RTE en termes de mise en service de nouvelles installations renouvelables (5 GW), la France est encore loin du compte.
Pour Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), ce retard dans le déploiement de l’éolien ou du solaire est essentiellement dû à des « délais administratifs trop longs » et au « manque de moyens de l’Etat sur le terrain » pour instruire les demandes et traiter les contentieux. Il a ainsi fallu dix ans pour que le premier parc éolien en mer français, en fonctionnement depuis l’an dernier au large de Saint-Nazaire, voie le jour. En Allemagne, les délais sont deux fois plus courts.
Que contient le texte de loi ?
Le nouveau texte adopté le 7 février va-t-il permettre de donner un vrai coup d’accélérateur aux projets d’énergie verte, notamment éoliens et solaires ? Voici les quatre grandes nouveautés qu’il introduit dans la législation pour y parvenir :
- Des zones d’accélération des projets photovoltaïques et éoliens terrestres pilotées par les maires et les intercommunalités
- Une planification des parcs éolien en mer visant, pour chaque façade maritime, à établir une cartographie des projets
- L’obligation d’installer des panneaux solaires sur les parkings extérieurs de plus de 1500 mètres carrés ; l’incitation à le faire le long des routes, des autoroutes, dans les zones littoral, en montagne ou sur des surfaces agricoles (agrivoltaïsme)
- La réduction des délais d’instruction par le biais de la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) dont certains projets pourraient bénéficier.
Les industriels du secteur ont accueilli ces nouveautés avec tiédeur. « Il y a des choses intéressantes mais aussi des éléments qui ne vont pas simplifier le développement des énergies renouvelables », résume Jules Nyssen. Le président du SER voit d’un bon œil le fait de « mettre les élus locaux au centre du jeu » dans la mise en œuvre de zones d’accélération et d’ »associer toutes les parties prenantes (pêcheurs, usagers de la mer, riverains, etc.) » dans la planification des parcs éoliens en mer. Il salue aussi « l’accélération de l’accès au foncier » pour les installations photovoltaïques.
Mais il critique l’interdiction de développer du « solaire au sol » dans les zones forestières : « déboiser, ce n’est pas forcément couper des grands arbres centenaires », plaide-t-il. Plus globalement, Jules Nyssen déplore que « le texte de loi n’ait pas repris dans sa version finale les dispositions qui visaient à réduire le délai d’instruction des dossiers, notamment les recours abusifs qui font vraiment perdre du temps. »
Les associations de défense de l’environnement, a priori favorables au développement des énergies vertes, ne sont pas plus convaincues par l’efficacité de la loi. Adeline Mathien, cheffe de projet transition énergétique et sobriété à France nature environnement (FNE), juge « complexe » le processus de planification prévu. « Il n’y a pas d’enquête publique pour décider des zones d’accélération, pas d’étude d’impact non plus. » Surtout, observe-t-elle, la loi ne dit pas « comment les porteurs de projets vont vraiment être incités à y aller ».
Du côté des syndicats des industries électriques et gazières (IEG), cette nouvelle loi ne séduit pas davantage. Et pour cause : elle élude des pans entiers des énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité, la première d’entre elles. Les barrages hydrauliques, qui représentent 40% de la puissance installée du secteur des ENR (25,9 GW sur un total de 65 GW), auraient, selon les organisations syndicales, mérité autre traitement. Même dans un texte à visée technique. Dans un référé envoyé le 2 décembre 2022 à la Première ministre Elisabeth Borne, la Cour des comptes s’inquiétait de l’avenir de ces concessions de service public « fragilisées par des années d’incertitudes à l’égard de leurs modalités de renouvellement. » Le brouillard entretenu depuis des années par la Commission européenne, favorable à une ouverture à la concurrence, ne s’est toujours pas dissipé.
Autre question en suspens : quelle est la stratégie du gouvernement en matière d’ENR ? Il y a à peine deux ans, l’exécutif prévoyait encore, avec le projet Hercule, de couper EDF en trois, avec une branche « renouvelables » ouverte aux capitaux privés. Un projet sans vision industrielle claire ni ambition en termes d’emplois. Précisons que les salariés d’EDF Renouvelables ne sont pas au statut des IEG. Pas plus que la plupart des salariés d’Engie ou que les employés des entreprises du photovoltaïque, de l’éolien ou du biogaz.
La loi de programmation sur l’énergie et le climat très attendue
Âprement débattue au Parlement pendant plusieurs mois, la loi d’accélération des énergies renouvelables est un compromis qui reflète les conflits opposant les aménageurs aux défenseurs de l’environnement et aux riverains. Si le nucléaire est une énergie très centralisée et presque invisible aux yeux des Français, ce n’est pas le cas des éoliennes qui sont amenées à se multiplier partout sur le territoire. Aujourd’hui, trois régions (Hauts-de-France, Occitanie et Grand-Est) concentrent près de 60 % des parcs terrestres existants. Là où ils tentent de s’implanter, ces parcs font souvent naître des controverses sur les avantages et les nuisances qu’ils génèrent.
Efficace ou pas, la loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelable ne fixe de cap pour la filière. C’est la mission de la future loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC) qui doit être votée au plus tôt cet été. C’est elle qui sera vraiment déterminante, estime Jules Nyssen : « on en attend des objectifs ambitieux en matière de trajectoire vers la neutralité carbone, des objectifs qui envoient un signal clair aux investisseurs pour les inciter à mettre les moyens [dans les projets énergies renouvelables, ndlr]. » La LPEC fixera les grands objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour les prochaines années.
Dernière interrogation : peut-on accélérer la production d’ENR tout en réduisant notre consommation ? La loi d’accélération ne dit pas un mot sur l’objectif de sobriété censé être au cœur des politiques énergétiques françaises depuis l’été dernier.
Tags: Énergies renouvelables Environnement