Sobriété énergétique : de quoi parle-t-on ?

Pollution lumineuse, sobriété énergétique, Getty images

La pollution lumineuse, notamment commerciale et publicitaire, fait partie des pratiques énergivores et antiécologiques. Pourtant réglementée par la loi depuis plus de dix ans, elle reste très peu réprimée. ©Filadendron/Getty Images

Longtemps déconsidérée, la sobriété a fait, cet été, une entrée tonitruante sur la scène politique et médiatique. Mais que signifie vraiment ce concept et comment, dès lors, interpréter le « plan de sobriété » lancé par le gouvernement ? Décryptage.

« On doit entrer collectivement dans une logique de sobriété. Je vais demander dès à présent aux administrations publiques, à nos grands groupes, à toutes celles et ceux qui [le] peuvent, de préparer un plan, dès cet été, pour qu’on puisse se mettre en situation de consommer moins. » Les mots prononcés par Emmanuel Macron le 14 juillet dernier devant 6,7 millions de téléspectateurs sont inhabituels.

Face à la crise énergétique qui secoue l’Europe (coupure du robinet de gaz russe, flambée des prix) et aux violentes conséquences du dérèglement climatique, le président de la République a sifflé, le 24 août dernier, « la fin de l’abondance », notamment celle des ressources énergétiques. « Notre première urgence, c’est d’arrêter dès maintenant toutes les consommations d’énergie qui ne sont pas indispensables, a précisé Élisabeth Borne devant les adhérents du Medef (Mouvement des entreprises de France) le 29 août. État, collectivités, entreprises, citoyens, chacun doit prendre sa part. »

Efficacité, chasse au gaspillage ou sobriété ?

La sobriété est souvent confondue, volontairement ou non, avec l’efficacité énergétique et la chasse au gaspillage. Bruno Villalba, spécialiste des politiques publiques environnementales, estime que la démarche actuelle du gouvernement s’apparente davantage à une recherche d’efficacité (produire autant avec moins d’énergie) qu’à un engagement vers la sobriété, qui implique une transformation en profondeur de nos modes de vie. Or l’efficacité ne permettra pas à elle seule de réaliser cette transformation.



Née en 2001, l’Association négaWatt met la sobriété au centre de son scénario de transition énergétique. Pour négaWatt, dont les analyses font désormais autorité, l’efficacité défendue par le gouvernement n’est que l’un des trois piliers de la transition énergétique, aux côtés de la sobriété et des énergies renouvelables. « Appliquer la sobriété énergétique, c’est donner la priorité aux consommations qui répondent à un service essentiel et abandonner celles qui apparaissent comme superflues, affirme l’association. La sobriété nous invite donc à modifier nos comportements en réfléchissant davantage à leurs impacts. » Reste à définir ce qui peut être considéré comme superflu. Ou comme « non indispensable » pour reprendre les termes d’Élisabeth Borne.

Dans sa note du 23 août intitulée « Comment donner une impulsion pour une sobriété collective, efficace et aller au-delà des symboles ? », le think tank Terra Nova fait de nombreuses propositions qui vont « des petits gestes individuels aux grandes décisions d’infrastructure ». Plus de trajets à vélo et moins en voiture, d’accord, mais à condition de créer un réseau de pistes cyclables digne de ce nom ; mais aussi « l’interdiction des terrasses chauffées en extérieur », l’application des « normes de chauffage et de climatisation dans les bâtiments publics » ou encore « l’extinction des vitrines et des panneaux d’affichage lumineux la nuit ». Soit, pour ces trois dernières mesures, la stricte application… de lois existantes.

Cinquante ans d’appels (ignorés) à la sobriété

« Tout ce qui nous semblait infini touche ses limites », a encore résumé la Première ministre. Une considération pour le moins ironique, puisque, pendant longtemps, les appels de la communauté scientifique à la modération dans la production et la consommation d’énergie ont été ignorés par les dirigeants politiques. Il y a tout juste cinquante ans, en 1972, le rapport Meadows exhortait déjà les décideurs à mettre un frein à la croissance économique afin de préserver les ressources de la planète, sous peine de plonger l’humanité « dans des souffrances infinies », précisait le fondateur du Club de Rome, l’industriel Aurelio Peccei. En vain.

Le premier choc pétrolier qui secouait l’économie mondiale l’année suivante n’aura pas eu davantage d’effets sur notre dépendance énergétique : entre 1973 et 2010, la consommation mondiale d’électricité a même été multipliée par trois, rappelle l’historien des sciences François Jarrige. Il a fallu attendre 2015 pour que la notion de sobriété figure clairement dans la Loi de transition énergétique pour la croissance verte. Un texte qui, comme son nom l’indique, continue cependant de faire de la croissance l’objectif principal.

Se dirige-t-on véritablement vers la sobriété à laquelle exhortent les scientifiques et les associations, ou vers une « croissance sobre », pour reprendre les termes du président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux ? Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), en tout cas, ne laisse pas de place à l’ambiguïté : « Sans une réduction immédiate et radicale des émissions dans tous les secteurs, il nous sera impossible de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. »

En quoi consiste le plan de sobriété du gouvernement ?

Une planification d’État. Le plan de sobriété énergétique du gouvernement s’inscrit dans le cadre de la « planification écologique », nouvelle ambition affichée par le candidat Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle en 2022. Elle doit permettre à chaque secteur économique de « définir une liste d’actions très concrètes à mener » afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

Moins 10 % en deux ans. Les négociations commenceront dès septembre dans trois « secteurs clés » : la forêt, l’eau et « la production d’énergie décarbonée, autour du nucléaire et des énergies renouvelables ». Objectif : « réduire de 10 % la consommation d’énergie sur les deux prochaines années » par rapport à 2019.

 

Un plan dans chaque entreprise. Dans le sillage de l’État et des collectivités, chaque entreprise devra établir avant la fin du mois de septembre son propre plan de sobriété. EDF SA a mis en place le sien dès le 29 août et annoncé qu’il était « en cours de transposition par les différentes filiales du groupe ». Les entreprises qui ne joueront pas le jeu de la sobriété pourront subir des coupures de courant cet hiver, a prévenu la Première ministre devant les adhérents du Medef.

Les citoyens « incités » à la sobriété. Quant aux citoyens, ils seront simplement (mais fortement) incités à modérer leur consommation de gaz et d’électricité : le gouvernement lancera cet automne une campagne d’information sur les « écogestes » à adopter.

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