Soixante-dix ans : c’est peu ou prou ce qui séparait le Front populaire de la Commune de Paris. Et c’est pour lui rendre hommage qu’une foule immense se rassemble le 24 mai 1936 pour la montée au mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise, dernier bastion des communards écrasés par les versaillais durant la Semaine sanglante de mai 1871. C’est le quatrième épisode de notre chronique de 1936.
Un peu plus de soixante-dix ans nous sépare de l’époque de l’Occupation nazie, mais cette période continue à occuper notre imaginaire politique, comme le montrent les fréquentes références au programme, très progressiste, du Conseil national de la Résistance. Autant d’années séparait le Front populaire de la Commune de Paris. Le 24 mai 1936, lors d’une manifestation en forme d’hommage, plus de 500 000 personnes se rassemblaient pour la montée au mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. La manifestation a laissé un souvenir inoubliable à tous ceux qui y ont participé. Le pays est alors sans gouvernement, mais la victoire électorale du Front populaire début mai a galvanisé les esprits à gauche. Les grèves, si elles ne sont pas encore massives, commencent à se développer dans les entreprises. Et une immense attente de progrès social se fait entendre dans le cortège qui se rend au mur des Fédérés pour y déposer gerbes d’églantines ou œillets rouges.
Dès 13 heures, les boulevards de Charonne et de Ménilmontant sont noirs de monde. La montée au mur démarre lentement. En tête du cortège défilent les dirigeants du Front populaire, communistes, socialistes, et syndicalistes de la CGT (le Parti radical ne s’est pas associé à cette manifestation). Maurice Thorez, Léon Jouhaux et Léon Blum sont acclamés. Ce dernier, pressenti pour prendre la tête du gouvernement, est souvent interpellé. « Blum, de l’énergie ! » ou « Au travail, Blum » entend-on à son passage. L’internationalisme n’est pas oublié. José Diaz Ramos, dirigeant du Parti communiste espagnol (lui aussi membre d’un gouvernement de Front populaire depuis la victoire électorale de la gauche en février 1936), fait partie du carré de tête, au côté de dirigeants en exil de la gauche italienne. Derrière, c’est toute la diversité du peuple rassemblé dans le Front populaire qui s’exprime, chantant « L’Internationale » ou reprenant les airs révolutionnaires que joue la fanfare de la Fédération musicale populaire. D’innombrables ouvriers, en particulier du métro, de la construction, du gaz et de l’électricité ; des « midinettes », ouvrières parisiennes qui forment leur propre cortège ; des chrétiens de gauche, défilant derrière une banderole réunissant la croix, la faucille et le marteau ; des athlètes de la Fédération sportive et gymnique du travail, qui scandent « Pas un homme pour Berlin » (où sont prévus les Jeux olympiques d’été) ; des anciens combattants et des mutilés de la Première Guerre mondiale ; des intellectuels, groupés derrière la banderole du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, parmi lesquels on reconnaît Louis Aragon, Paul Nizan, Le Corbusier ou encore le futur ministre Jean Zay, récemment panthéonisé.
Mais les plus acclamés sont les anciens communards, vieillards qui défilent appuyés sur leurs cannes. A 21 heures, la nuit tombe, et tous ne sont pas encore arrivés au mur des Fédérés. Ce n’est que vers 22h30, ce 24 mai 1936, que le cimetière du Père-Lachaise ferme ses portes, alors que nombre de manifestants ont dû renoncer à aller rendre hommage aux communards. Mais tous repartent pleins de force et d’enthousiasme dans la possibilité d’une transformation sociale radicale permise par la victoire électorale du Front populaire. Deux jours plus tard, les grèves s’étendent jusqu’à aboutir à un blocage total du pays.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |