Merci François !

Invité cette année de Visions Sociales , François Ruffin est le réalisateur du film Merci patron. © Eric RAZ/ccas

Invité cette année de Visions Sociales , François Ruffin est le réalisateur du film Merci patron. © Eric RAZ/ccas

Retour avec François Ruffin, invité de « Visions sociales », sur les quatre mois fous qui ont fait de « Merci patron ! » – dont nous vous annoncions la sortie en Janvier dernier– le film symbole d’une séquence politique marquée en France par un renouveau du mouvement social et de la contestation.

Avec 400 000 entrées, ce petit film bourré de vitamines, combatif, malin et formidablement humain, n’a pas fini son chemin. Le « New York Times » lui consacrait un papier la semaine dernière ; la Belgique l’adopte. Il y a dorénavant deux types de personnes à la surface de la terre : celles qui ont vu « Merci patron ! » et celles qui vont le découvrir !

Comment expliquez-vous qu’en prenant pour sujet l’histoire du combat d’une famille qui survit avec 400 euros par mois, aussi cocasse et malin soit ce film, on devienne le « Che » du cinéma français ?

Peut-être parce que le film met, au beau milieu du vide ambiant, un peu de réel ! Des tranches de réel qui surgissent d’un seul coup, ça paraît brutal pour les gens. Moi, je le fais depuis seize ans dans le journal « Fakir », mais là, il y a la force de l’image. Bon, c’est vrai aussi qu’il y a un montage « chiadé ». On a vraiment boulonné le truc.

Quand avez-vous compris que votre film devenait un succès ?

J’ai toujours été convaincu qu’il y avait une chance pour que le film marche. On traverse un désert de morosité. Ce film offre une oasis de joie. Donc je me suis dit, bien avant sa sortie, qu’il y aurait du monde pour venir s’y abreuver. Et puis, on a constaté aux avant-premières [des dizaines à travers tout le pays à l’initiative d’associations de citoyens, ndlr] organisées avant sa sortie, le 24 janvier, que le film rencontrait un public. Enfin, en salles, dès la première semaine, les projections étaient complètes. Il fallait que les cinémas ouvrent plusieurs salles, rajoutent des séances. Mais la grande surprise, c’est que cela devienne un succès dans la rue, sur les places publiques. Ce n’était pas prémédité du tout, ça.

Ce « tournant » survient quand le film est projeté le soir de la première Nuit debout place de la République à Paris le 31 mars dernier ?

Non. Le film, à ce moment-là, était déjà en route. Pour moi, le tournant a eu lieu le jour où l’économiste Frédéric Lordon a fini par glisser le DVD dans son lecteur, et qu’il m’a dit qu’il fallait faire de « Merci patron ! » un événement politique. Le succès du film était acquis. Mais qu’il devienne l’objet de réunion sur les places publiques, alors là, c’était vraiment surprenant.

Projection de "Merci Patron", de François RUFFIN, au festival Visions Sociales, mai 2016 © Eric RAZ/CCAS © Eric RAZ/CCAS

Projection de « Merci Patron », de François RUFFIN, au festival Visions Sociales, mai 2016 © Eric RAZ/CCAS © Eric RAZ/CCAS

Et quand situez-vous le moment où vous passez du statut de journaliste engagé à celui de quasi-homme politique ?

C’est ce qui se passe en ce moment. Et, en toute honnêteté, c’est ce que j’ai souhaité : porter une parole politique. Il y a un moment où j’ai dit aux attachés de presse : « Plutôt que de parler des mêmes histoires sur le film, des anecdotes de tournage – j’en avais marre – je leur disais : « Regardez : il y a là matière à parler du libre-échange, du partage de la valeur ajoutée, des inégalités. » Une parole qui est celle d’un homme politique, quoi. Cela fait des années que je participe à ce débat, un peu partout en France, dans des salles municipales.

Si aujourd’hui les médias me donnent la parole, ce n’est pas pour que je me contente de parler de « Merci patron ! », du nombre d’entrées ou de donner des nouvelles de la famille Klur ou de Marie-Hélène, la militante CGT – je vous rassure, tout le monde va très bien ! Quand j’ai été chez Ruquier, ce n’était pas pour faire la promo du film, mais pour sortir, face à Gattaz, mon panneau sur la répartition des dividendes. En même temps, je me dis que la frontière est mince entre journaliste activiste et activiste journaliste…

Dans divers entretiens, vous parlez de votre souhait de voir naître une nouvelle alliance entre les classes moyennes et les classes populaires, condition, dites-vous, du changement politique à gauche en France. Pourquoi sont-elles séparées et depuis quand ?

En gros depuis une trentaine d’années. La mondialisation est rentrée droit dans la gueule des classes populaires, tandis qu’elle a plus ou moins épargné – je dis bien plus ou moins – les couches intermédiaires. Au niveau politique, on a vu au début des années 1980 que toutes les deux s’étaient retrouvées dans le vote socialiste. Le P.S, devenu le fer de lance de la mondialisation, les classes populaires ont rejeté peu à peu le vote socialiste pour se tourner vers le FN, tandis que les professions intermédiaires ont persévéré dans leur choix. Dans le même temps, on a vu comment on a fait passer la mondialisation, qui est un choix purement économique, pour un choix idéologique et des valeurs culturelles.

Imaginons que demain on annonce que la rédaction du journal « le Monde » est délocalisée en Inde ou celle de France 3 en Bulgarie : il y aurait partout immédiatement des réactions indignées. Ben, pour les ouvriers, ça fait trente que ça dure et tout le monde s’en fout ! Il n’y a pas eu un débat à l’Assemblée nationale sur le sort des ouvriers, pas un seul sur le protectionnisme. Et encore moins de décisions de prises. Les politiques parlent de solidarité. Mais c’est quoi, cette solidarité ? Celle qui unit les porteurs de cercueils au cimetière ?

Et quel regard portez-vous sur le mouvement syndical ?

Dans le film, on montre l’utilité de Marie-Hélène, la syndicaliste. Y compris après la fermeture des ateliers, puisque c’est elle qui continue à jouer les assistantes sociales de dernier recours auprès des anciens employés. Si tous les syndicalistes étaient des « Marie-Hélène », la gueule du pays s’en trouverait changée. A ceux qui disent du mal des syndicats, il faut dire que c’est peut-être un outil un peu rouillé, mais qu’ils restent des points d’attaches, peut-être les derniers, de luttes collectives dans les milieux populaires

Vous avez, avec toute l’équipe, réalisé une web-série sur la loi El Khomry, « Merci Myriam ». Vous avez d’autres projets ?

Franchement, le projet, c’est de se reposer et de se mettre un peu la tête au frais [rires] parce qu’on est un peu liquides quand même. Bon, on s’est rendu compte de l’impact de l’image, de l’audience qu’elle donnait à des histoires qu’on raconte depuis quinze ans dans « Fakir ». Alors on réfléchit.

L’histoire continue

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François Ruffin était présent le 16 mai dernier à Mandelieu-La Napoule (Alpes-Maritimes) dans le cadre du festival Visions sociales. Le film sera programmé cet été lors des Rencontres culturelles organisées par les Activités Sociales de l’énergie.

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