Depuis quelques semaines, de multiples voix s’élèvent contre la répression de l’Etat à l’égard des migrants. Rencontre avec Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), institution chargée notamment de faire respecter les engagements de la France en matière de droits de l’homme.
Samedi 17 juin, onze associations ont saisi la justice pour mettre fin à la répression policière contre les migrants et aux « conditions effroyables » dans lesquelles ils survivent, autour de Calais. La veille, le Défenseur des droits dénonçait des atteintes aux droits fondamentaux d’une « inédite gravité ». Que se passe-t-il au pays des droits de l’homme ?
On se demande de plus en plus si ce n’est pas simplement le pays de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 plutôt que le pays des droits de l’homme. La France ne répond en aucun cas à ce qu’on est en droit d’attendre d’elle. Il est absolument et radicalement inadmissible que des associations qui interviennent simplement pour la protection de droits fondamentaux soient empêchées d’intervenir. La CNCDH ne peut être qu’effondrée de voir qu’une telle chose peut se passer en France.
Comment empêche-t-on ces associations d’intervenir ?
De diverses façons. Parfois simplement par des pressions, mais ça peut être aussi par des forces de police qui freinent toute action concrète auprès des migrants. Il y a quantité d’exemples montrant qu’on a empêché des gens d’accéder à des sanitaires (douches, toilettes) ou d’organiser des distributions d’eau et de nourriture. De manière plus indirecte, on les empêche d’agir par des intimidations, des pressions, les autorités publiques ayant recours à des délits annexes (délits d’outrage, d’injure et de diffamation ; infraction à la réglementation sur l’hygiène ou la sécurité des locaux…).
Le 18 mai, la CNCDH a émis un avis visant à mettre fin au délit de solidarité. Pourquoi cet avis ?
Parce que le délit de solidarité est en contradiction absolue avec l’un des si beaux mots de notre devise qui est « fraternité ». Le délit de solidarité est aussi en contradiction avec un certain nombre d’engagements de la France. Le gouvernement de François Hollande a énoncé une série d’exemptions possibles de condamnations pour « délit de solidarité ». Nous, ce que nous demandons, c’est la suppression réelle de ce délit. Nous demandons que seule l’aide à la circulation ou au séjour irrégulier apportée dans un but lucratif – j’insiste sur cette formule – soit sanctionnée.
La notion de délit de solidarité existe-t-elle depuis longtemps en France ?
Le délit de solidarité, c’est simplement la façon dont on coiffe l’infraction pénale. L’expression n’est pas écrite dans le Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ndlr). Mais des comportements d’aide à des personnes migrantes en situation irrégulière ont été qualifiés de délit de solidarité.
Le mois dernier, le tribunal correctionnel de Nice a requis 800 euros d’amende avec sursis à l’encontre de quatre retraités jugés pour « aide au séjour et au transport de personnes en situation irrégulière » dans la vallée de la Roya (voir notre vidéo en bas de page). Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Dans le texte actuel, il faut remplir deux conditions pour être exempté de poursuites et de sanctions : premièrement, on ne peut pas aider dans un but lucratif ; deuxièmement, l’aide doit avoir pour but de préserver la dignité des personnes (soins, hébergement, nourriture, conseils juridiques, etc.). Pour la personne poursuivie, il est assez facile de rapporter la preuve d’une absence de but lucratif, mais beaucoup plus difficile de prouver une atteinte à la dignité, cela en raison du caractère un peu flou de cette notion. Dans le cas de ces quatre retraités, il aurait été très facile pour le tribunal de les relaxer sur cette base. Or, en raison de l’interprétation donnée à cette notion d’atteinte à la dignité, la jurisprudence est extrêmement hasardeuse en la matière.
Le combat pour les droits des migrants est-il d’abord juridique ?
Non. C’est un combat de société. Oublier que la fraternité est une valeur fondatrice de la République, c’est extrêmement grave. En réalité, un délit de solidarité ne devrait en aucun cas exister, parce qu’il mine la cohésion sociale et le souci de fraternité d’un certain nombre de citoyens.
Selon vous, aider les réfugiés est une « réponse à la défaillance des pouvoirs publics ». Cette défaillance s’est-elle aggravée ces dernières semaines ?
J’avoue que je suis vraiment inquiète de voir que les mesures qui ont été prises par le ministre de l’Intérieur sont assez radicalement contraires aux annonces qu’avait faites notre président de la République pendant sa campagne ou dans son ouvrage « Révolution » (paru en novembre 2016). Le comportement actuel des forces de l’ordre à l’égard des migrants ne correspond pas du tout à la politique annoncée par Emmanuel Macron.
Peut-on dire aujourd’hui que la France ne respecte pas la Convention de Genève, relative au statut des réfugiés ?
Absolument.
En cette Journée mondiale des réfugiés, quel message souhaitez-vous porter ?
Je souhaiterais dire que les réfugiés sont des frères en humanité. Heureusement que la société civile est là, par le biais d’un certain nombre d’associations, pour faire en sorte que le comportement de la France, ou du moins des pouvoirs publics, soit un peu moins honteux. Quand on affiche au fronton de toutes les mairies « Liberté, égalité, fraternité », il est extrêmement grave qu’on oublie le mot « fraternité ».
« On a obligation de porter assistance à des personnes en danger »
Du 14 au 16 avril, notre photographe et réalisateur Joseph Marando s’est rendu dans la vallée de la Roya, près de Nice, à la frontière entre la France et l’Italie, où transitent de nombreux migrants. Il y a rencontré des réfugiés érythréens, soudanais, afghans… Et des membres de l’association Roya citoyenne qui leur viennent en aide sur leur chemin d’exil. Parmi ces citoyens, Cédric Herrou, devenu une figure emblématique de la défense des droits des migrants. Le 20 juin, il comparaissait en appel pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière ». Il risque jusqu’à 30000 euros d’amende et 5 ans de prison.