Durant un an et demi, Rozenn Le Berre a travaillé comme éducatrice dans un service d’accueil et d’évaluation pour les jeunes exilés arrivés en France sans leurs parents. De cette expérience, elle a tiré un livre-témoignage, « De rêves et de papiers ».
Ce récit littéraire témoigne avec humour et tendresse de rencontres émouvantes, dramatiques, poétiques et parfois houleuses avec ces jeunes étrangers isolés : « Au moment où j’ai quitté ce travail, j’avais peur d’oublier les histoires aussi douloureuses que belles de ces jeunes incroyables que j’avais rencontrés. Mon désir était à la fois de partager mon expérience de travailleuse sociale et de rendre hommage à ceux et celles pour lesquels leur situation administrative, donc leur avenir ont été déterminés par les quelques minutes passées dans mon bureau. Ce livre est aussi une manière de montrer qu’au-delà de ma fonction ils m’ont marquée, qu’ils ne sont pas des ‘dossiers’, mais des enfants avec des rêves, des ambitions, une détermination et un courage qui forcent le respect », explique l’auteure de cet ouvrage bouleversant.
Quand ils arrivent dans ce bureau, c’est une partie de leur destin qui se joue car eux se déclarent mineurs, mais l’administration doit les reconnaître comme tels pour qu’ils puissent être placés en foyer, scolarisés et avoir un petit bagage pour bien démarrer leur vie en France. Si ce n’est pas le cas, ils sont alors considérés comme adultes et « sans papier ». L’entretien que Rozenn et ses collègues ont avec eux sert de base à la prise de cette décision. Alors qu’ils ont des milliers de kilomètres dans les jambes, des images de mort dans la tête et des traces de violence dans leur chair, on leur demande de raconter, sans se tromper dans les dates, les raisons pour lesquelles ils ont quitté leur pays. Un exercice difficile, surtout quand les souvenirs de leur pays natal se confondent avec ceux, terribles, du périple de plusieurs années qu’ils ont dû accomplir pour arriver en France.
C’est le cas de Moussa, dont Rozenn dépeint la détresse : « Il a beaucoup de mal à décrire sa vie dans son pays. À chaque fois, le voyage jusqu’en Europe arrive en trombe dans son esprit. Il ne pense qu’à ça, ne sait plus vraiment ce qu’il a fait avant ça, comment il vivait, ce qu’il aimait, ceux qu’il aimait. Tout se mélange, les rebelles touaregs du Nord-Mali, la traversée du désert du Sahara dans un pick-up surchargé. Les travaux d’esclaves dans le bâtiment, dans chaque ville-étape, pour trouver l’argent nécessaire à la poursuite de la route. Et surtout, Moussa se souvient des sept mois à Gourougou, le mont qui surplombe l’enclave espagnole de Melilla, au Maroc. Sept mois à vivre en forêt dans des tentes de fortune, à se faire déloger par les policiers marocains, à tenter de survivre. Et surtout sept mois à attendre avant de ‘partir choquer’, c’est-à-dire essayer d’escalader la triple barrière de 6 mètres de haut. »
Face à ce récit qui ressemble à mille autres, mais qui laisse, ancrés en chacun de ceux qui ont accompli ce parcours, des traumatismes singuliers, le poids de la responsabilité qui pesait sur ses épaules semble trop lourd à la jeune éducatrice. « Je ne pouvais plus supporter d’avoir autant d’impact sur leurs vies. Pour moi, c’était une journée de travail normale tandis que pour eux, c’était un moment où leur vie pouvait basculer », témoigne celle qui tient pourtant à préciser qu’elle a toujours tenté de se montrer juste avec ces jeunes, allant parfois jusqu’à outrepasser son rôle en offrant à manger ou un manteau, en accompagnant à la gare ceux qui voulaient rejoindre Calais ou encore en leur fournissant les contacts de militants associatifs qui pourraient leur trouver un hébergement solidaire.
Dans « De rêves et de papiers », Rozenn a aussi choisi de se mettre dans la peau de Souley, un jeune Malien qui a décidé de faire l’aventure et doit arriver en France avant ses 18 ans. À la première personne, elle raconte son voyage jusqu’à la porte de son bureau, en passant par le désert, la Libye, la terrible traversée de la Méditerranée… Pour reconstituer ce récit, elle s’est inspirée de ceux entendus mais a également demandé conseil à plusieurs jeunes, en les interrogeant sur des détails plus intimes qui donnent toute sa puissance à ce témoignage recomposé.
Un livre qui rend compte tout à la fois de la brutalité du dédale administratif français et de la formidable rage de vivre de ces jeunes qui n’aspirent qu’à construire leur avenir en France… à moins qu’ils ne soient l’avenir de la France !
« De rêves et de papiers, 547 jours avec les mineurs isolés étrangers », de Rozenn Le Berre, éd. La Découverte, 2017, 180 p., 16 € ou 11,99 € (version numérique). Lire un extrait |