Théâtre jeunesse : quand Morgat devient une résidence de création

Accueillis au village vacances de Morgat, dans le Finistère, les comédiens, la metteure en scène et le créateur sonore de la pièce "Martin/Gabriel et plus personne" travaillent ce spectacle qui sera joué cet été à la CCAS, dans le cadre des rencontres culturelles.

Accueillis au village vacances de Morgat, dans le Finistère, les comédiens, la metteure en scène et le créateur sonore de la pièce « Martin/Gabriel et plus personne » travaillent ce spectacle qui sera joué cet été à la CCAS, dans le cadre des rencontres culturelles. ©Charles Crié/CCAS

Début mai, la salle polyvalente du village vacances de Morgat (Finistère) a vu naître la pièce « Martin/Gabriel et plus personne », coproduite par les Activités Sociales et l’association Très Tôt théâtre. Accueillis en résidence de création durant deux semaines, les comédiens, le créateur sonore et la metteure en scène ont peaufiné ce spectacle jeune public que les bénéficiaires en vacances dans le grand Ouest découvriront cet été.

« Aujourd’hui, on va commencer à travailler sur l’économie de mouvements », annonce Kattel Borvon, metteure en scène, aux deux comédiens de la pièce « Martin/Gabriel et plus personne ». Pour Aloïs Chalopin et Martin Bouligrand, l’espace de jeu est en effet contraint : la scène est délimitée par un cercle de petits galets et de coquillages ; le décor est léger, figurant tantôt une maison quand il est recouvert d’un drap blanc, tantôt un bateau, fait de planches savamment assemblées et de branches pour les mâts.

« Dans la pièce, il est question d’un crocodile des mers, raconte la metteure en scène. Cet animal fantasmagorique, le seul qui reste quand toute trace de vie a disparu, fait écho à la situation sanitaire où tout s’arrête. Il ne reste alors plus aux êtres humains que l’imagination, qui peut les sauver… ou les manger ! » ©Charles Crié/CCAS

« Martin/Gabriel et plus personne », de Sophie Merceron, est l’un des sept textes issus des Commandes exceptionnelles de courtes œuvres inventives (CECOI), une idée qui a germé au moment où la crise sanitaire marquait l’arrêt des activités artistiques, privant artistes et spectateurs de rencontres au sein des théâtres. « C’est un projet global qui prend en compte l’ensemble de la chaîne de production d’une pièce de théâtre, notamment les auteurs, qui n’ont pas pu bénéficier de l’intermittence et/ou du chômage partiel durant cette période de crise sanitaire », explique Bernard Le Noac’h, fondateur et directeur de l’association Très Tôt Théâtre.

C’est ainsi que l’été dernier, l’association, en partenariat avec la CCAS, la CMCAS Finistère-Morbihan et d’autres acteurs culturels locaux, ont commandé à des auteur·es sept pièces courtes pour la jeunesse sur le thème de la mer. Publiées dans « CECOI la mer ? », le projet inaugure une collection de recueils de spectacles « tout-terrains », conçus pour se jouer en extérieur, dans des salles de classe ou tout autre espace non dédié au théâtre, avec un temps d’installation très réduit, et des moyens techniques les plus légers possibles.

Aborder des questions existentielles par le théâtre

Hughes Germain (à dr.), créateur sonore, a l’habitude de « travailler les sons comme de la matière vivante ». Celui de la mer, que l’on entend dans la pièce, est bien celui de l’Atlantique, capté tout près de Morgat ; mais celui du vent vient de beaucoup plus loin : le chasseur de son l’a rapporté d’un voyage dans le désert sahélien. ©Charles Crié/CCAS

Après lecture du recueil (dont cinq textes sont déjà montés), Kattel Borvon, metteure en scène d’origine quimpéroise, a choisi sans hésiter l’histoire de Martin et Gabriel, deux frères se réveillant un matin dans un monde où tout s’est arrêté. Avec leur lapin nain boulimique (détail qui a son importance), ils embarquent sur le bateau du père, et se retrouvent en pleine mer. Alors que toute trace de vie semble avoir disparu, les deux garçons dérivent… Martin, le cadet, sur les épaules duquel pèse la responsabilité de Gabriel, son aîné « qui a toujours 8 ans dans sa tête », tente de rassurer son « petit grand frère », mais masque mal l’angoisse qui le tenaille. Renaissent alors les souvenirs et fusent les questions, entre complicité et colère.

« Le texte aborde, en creux, un thème qui concerne profondément les enfants : celui de l’abandon, analyse la metteure en scène. C’est d’ailleurs un questionnement existentiel chez eux. C’est pour cela que le Petit Poucet, par exemple, est une histoire racontée depuis des générations, et qui fonctionne toujours : car elle répond à des angoisses fondamentales. Il est important de traiter ces thèmes dans le théâtre pour enfants, qui fait sens quand il aborde ces questions existentielles. »

Ce qui m’a plu dans ce texte, c’est aussi que l’auteure a joué avec la règle imposée : il fallait deux acteurs maximum, et elle a rajouté un lapin !

« Ce qui m’a plu dans ce texte, confie Katell Borvon, c’est aussi que l’auteure a joué avec la règle imposée : il fallait deux acteurs maximum, et elle a rajouté un lapin ! Le plus simple pour une petite forme théâtrale aurait été de placer l’action dans un lieu unique ; mais Sophie Merceron a choisi d’écrire une pièce se déroulant sur plusieurs jours dans une maison, puis un port, avec un bateau pris dans une tempête et même des oursins à profusion… Autant de défis à relever pour les comédiens et moi, afin de faire exister tout cet univers. En écrivant une telle pièce, sachant qu’elle serait jouée dans une économie de moyens, elle témoigne de sa confiance envers les comédiens et la metteure en scène pour rendre compte de tout cela, par la puissance du jeu ! »

De g. à dr. : Katell Borvon, comédienne et metteure et scène, n’est est pas à coup d’essai en terme de collaboration avec la CCAS ; Martin Bouligand, diplômé de l’école nationale du théâtre de Bretagne, incarne Gabriel ; Aloïs Chalopin, issu du conservatoire de Brest, incarne Martin, signe ici, à 19 ans, son premier contrat professionnel en tant que comédien. ©Charles Crié/CCAS

De fait, le travail de répétition, alors que les comédiens connaissent déjà parfaitement leur texte et démontrent un appétit sans limite pour le jeu, se concentre sur les expressions, le regard, les mouvements… Quand elle dirige les acteurs, Katell semble toujours tiraillée entre l’envie de les arrêter pour leur donner une indication (ce qu’elle fait parfois), et celle de se fondre dans l’émotion dégagée par l’interaction entre les acteurs.

« J’essaie d’être précise, sans leur imposer quelque chose qui les briderait dans leur jeu. Ce que je préfère chez les acteurs, c’est ce qui leur échappe : je veux garder cette porte ouverte. Alors parfois, quand je remarque un regard ou un geste formidable qui leur vient naturellement, je ne le leur fais pas systématiquement remarquer. J’essaie de faire en sorte qu’ils gardent l’état qui a permis à cela d’émerger. C’est tout l’intérêt du théâtre, c’est vivant ! », confirme celle qui toujours est attentive au choix des mots qu’elle emploie dans son travail. « Aujourd’hui, la langue est bouffée par l’accumulation de mots-valises et de termes institutionnels. Quand je dirige les comédiens, je pense à Orwell et je me dis ‘si tu prononces plus de deux fois le même mot, tu es en train de réduire l’espace de la pensée et donc de la liberté !' »

Au terme de son éclosion dans le cocon de la maison familiale de Morgat, le spectacle sera joué cet été dans les colos et les villages vacances du grand Ouest, où des rencontres avec l’auteure du texte seront proposées.


Pour aller plus loin

Théâtre jeunesse : quand Morgat devient une résidence de création | Journal des Activités Sociales de l'énergie | CECOI La mer

« CECOI La mer ? », textes de Mike Kenny, Sophie Merceron, Ronan Mancec, Sabine Tamisier, Fabien Arca, Sarah Carré, Karin Serres, Très Tôt Théâtre/Quimper, 2021, 128 p.


 

 

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