Quel avenir pour les stations de ski à l’heure du réchauffement climatique ? Ou comment débattre des enjeux du tourisme social sans en avoir l’air. Reportage à Megève, en Haute-Savoie.
Banquettes sculptées dans la neige, marshmallows « maison » grillés au feu de bois, sucettes au sirop d’érable… Ce soir, sur le terrain de sport couvert de neige, l’équipe d’animation du centre CCAS de Megève-Le Hameau a mis les petits plats dans les grands. Et ça marche. Les pancakes partent comme des petits pains et les rondins de bois transformés en torches réchauffent l’atmosphère. À l’heure où d’ordinaire tout le monde rentre prendre une bonne douche après une longue journée de ski, une cinquantaine de bénéficiaires jouent les prolongations par -8 °C. Dont une vingtaine qui participent à la rencontre-débat sur le thème « Tourisme social et tourisme durable ».
3 800 habitants, 50 000 en pleine saison
Pour se réchauffer les neurones, rien de tel qu’un petit film tourné l’été dernier dans une douzaine de centres CCAS. Un florilège de témoignages au parfum de pin et de bruyère, portant sur le rapport aux vacances et au tourisme. « Le tourisme social à Megève, je trouve ça génial ! » lâche Carine Fournier, l’intervenante du jour, géographe à l’université de Brest. Dans l’entre-deux-guerres, la station, créée par la famille Rothschild, était un lieu de villégiature pour l’aristocratie européenne. L’universitaire raconte comment le ski a longtemps été réservé à une élite, puis comment, avec la démocratisation des sports d’hiver, la montagne s’est urbanisée. Jusqu’à l’excès. D’où cette question : « Comment faire venir toujours plus de vacanciers tout en préservant l’environnement ? »
« Megève, c’est 3 800 habitants, mais 50 000 en pleine saison », constate Jean-Marc Vuilleminot. Le responsable principal de l’institution dénonce la « course à l’enneigement artificiel » qui s’accélère avec les effets des changements climatiques. « Aujourd’hui, il y a une centaine de stations en Savoie et Haute-Savoie. Si le réchauffement se poursuit à ce rythme, il n’y en aura plus que 40 en 2030 et 7 en 2050. Seules les plus grosses résisteront. »
Dans ce contexte morose, les Activités Sociales doivent cultiver leur ancrage local, estime Laurent Dupont, président délégué de la CMCAS Pays de Savoie. Selon lui, le tourisme social est un véritable combat politique : « Nous faisons le choix de réinvestir notre pouvoir d’achat dans l’économie locale. Par exemple, c’est une coopérative qui fournit les produits laitiers de ce centre. » « Le tourisme durable ? Je ne suis pas trop habitué à cette notion », reconnaît Philippe Trescarte, ingénieur études (CMCAS Hauts-de-Seine) qui n’a pas perdu une miette du débat et de l’intervention de la géographe sur les « perturbations écologiques » causées par le tourisme. « La neige artificielle doit poser un vrai problème de consommation d’eau », concède-t-il.
Ouvrir le débat
En lançant ces discussions dans les villages vacances, la CCAS veut susciter le débat chez les bénéficiaires et les faire réfléchir à l’émergence d’un tourisme responsable. Pour réaliser le documentaire présenté ce soir à Megève, film dont les bénéficiaires sont les héros, Mathilde de Romefort et Gurvan Hue, tous deux réalisateurs, ont rencontré des dizaines, voire des centaines de vacanciers. Borgo, Le Brusc, Soueix, Le Pont-de-Claix, La Rochelle, Trégastel… Dans chaque centre, afin d’ouvrir le débat, ils ont présenté un clip vidéo issu de ces rencontres. « Les gens finissent par se prendre au jeu. Ils ont toujours des choses à dire sur le tourisme social et les questions environnementales », assure Mathilde de Romefort.
Le film « Tourisme social, tourisme durable » a été réalisé en juillet et août 2017 à partir d’interviews de vacanciers ©Palikao Films
« À Trégastel, une bénéficiaire nous a parlé de toutes les questions qu’elle se posait sur l’environnement, comment elle envisageait les vacances de manière durable : le transport, l’alimentation, la culture, l’éducation… Elle a fait la conférence à elle toute seule ! », sourit la jeune réalisatrice. « Et à La Rochelle (village de toiles), tous les vacanciers sont venus au débat, enchaîne son coéquipier. Quand ils voient le film monté, ils se rendent compte que leur parole est digne d’intérêt. »
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