Transition énergétique : le paradoxe des Outre-mer

Centrale thermique de Port Est, La Réunion

Après 10 ans au fioul, la centrale de Port Est, à La Réunion (210 MW), fonctionne désormais à partir de biomasse liquide : l’huile de colza. ©EDF PEI

Riches en sources d’énergie renouvelables, les Outre-mer ont tout, a priori, pour devenir des modèles de transition énergétique. Mais, dans un contexte de forte dépendance au pétrole, les projets de décarbonation peinent à s’imposer.

Beaucoup de soleil, du vent, des volcans, une forêt tropicale, des océans… Les territoires ultramarins disposent de ressources naturelles exceptionnelles, bien supérieures à celles de l’Hexagone. Un potentiel précieux dans la course aux énergies renouvelables et à la décarbonation imposée par la loi Énergie-climat, votée en 2019 et en cours de révision.

Pourtant, de Fort-de-France (Martinique) à Saint-Denis (La Réunion), ces ressources naturelles restent largement sous-exploitées et les promesses de transition verte tardent à se concrétiser.

Plus de 80 % de dépendance aux hydrocarbures

Dans ces territoires, c’est le pétrole qui fait la loi, que ce soit pour produire de l’électricité ou pour se déplacer. Les départements et régions d’outremer (Drom) « sont, en moyenne, dépendants à 83,3 % des énergies fossiles », observaient, dans une récente note, les membres d’un groupe de travail (parlementaires, collectivités, entreprises, ministères) sur la stratégie nationale énergie-climat en Outre-mer.

À Mayotte, où les problématiques sociales et les difficultés d’accès à l’eau courante prennent le pas sur les questions environnementales, la part des hydrocarbures dans la consommation d’énergie primaire atteint même 99 %.

L’utilisation massive de la voiture constitue l’une des principales causes de cette addiction. Aucune collectivité d’outre-mer ne possède un réseau de transports publics susceptible de concurrencer l’automobile. Une ligne de train de 128 kilomètres a bien existé à La Réunion jusqu’en 1976. Mais « ce réseau a été sacrifié sur l’autel de la voiture individuelle, considérée alors comme un progrès absolu « , regrettent les députés La France insoumise Davy Rimane et Jean-Hugues Ratenon, coauteurs d’un rapport parlementaire sur l’autonomie énergétique des Outre-mer publié en juillet 2023.

« Les ressources des collectivités sont actuellement basées en grande partie sur la fiscalité liée aux produits pétroliers. [Leur] demander de promouvoir les autres énergies revient donc à leur demander d’amputer leur budget. »
Rapport parlementaire sur l’autonomie énergétique des Outre-mer, juillet 2023.

Centrale thermique diesel de Pointe Jarry, Guadeloupe.

Plus grosse centrale thermique diesel de Guadeloupe (210 MW), la centrale de la Pointe Jarry apporte, selon EDF PEI, « une réponse optimale en attendant l’arrivée à maturité des énergies renouvelables ». ©EDF PEI

Pour réduire l’empreinte carbone des véhicules thermiques, le déploiement des véhicules électriques ne peut-il pas être une option d’avenir ? Il faudrait pour cela remplir au moins trois conditions : disposer de bornes de recharge, d’une filière de recyclage des batteries et d’une offre de véhicules à des prix accessibles. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, constatent les députés.

Si la conversion du parc automobile paraît hors de portée, le verdissement du mix énergétique est davantage dans les cordes des collectivités ultramarines. Mais cela suppose de lever un tabou : celui de leurs revenus fiscaux, relève le rapport parlementaire : « Les ressources des collectivités sont actuellement basées en grande partie sur la fiscalité liée aux produits pétroliers. [Leur] demander de promouvoir les autres énergies revient donc à leur demander d’amputer leur budget. »



La difficile progression de la géothermie

En matière de gestion du réseau énergétique, les départements et régions d’outre-mer ont un point commun : ce sont des « zones non-interconnectées » (ZNI). C’est-à-dire des territoires non reliés au réseau électrique hexagonal. Ils doivent donc se passer de l’électricité nucléaire et ajuster la production à la consommation.

Une tâche d’autant plus ardue lorsqu’il faut intégrer de l’électricité intermittente (solaire, éolienne) à des réseaux de petite taille. Et sans possibilité de stockage la plupart du temps. En 2021, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique était de 34 % en Guadeloupe. Et de 25 % en Martinique, comme dans l’Hexagone.

Ferme éolienne de Grand'Rivière, Martinique

Le parc éolien de Grand’Rivière – l’un des plus grand parc de l’espace caribéen – regroupe 7 éoliennes, en mesure de produire 2,5 % de l’électricité martiniquaise, sans perturbations sur le réseau grâce à un système de stockage. ©EDF PEI

Des projets visant à faciliter le stockage des électrons issus des panneaux photovoltaïques et des éoliennes sont en gestation dans les deux îles. Mais la trajectoire énergétique des Antilles reste largement en deçà de leur potentiel de décarbonation. La Guadeloupe possède la première centrale géothermique construite en France. Pourtant, la part de cette énergie plafonne à 5 % de la production électrique de l’archipel. Son développement est freiné par la lourdeur des investissements qu’elle nécessite. Et l’objectif de multiplier par cinq la production géothermique guadeloupéenne à l’horizon 2032, annoncé dans la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), paraît bien hasardeux.

Une « centrale à bioénergie » à La Réunion

Les initiatives pour décarboner l’électricité ne manquent pas en Outre-mer. Le 4 décembre, EDF a inauguré une « centrale à bioénergie » à La Réunion, issue de la reconversion de l’ancienne centrale au fioul. Elle produira « une électricité 100 % renouvelable à partir de biomasse liquide issue d’huile de colza », annonce l’entreprise. « Une première mondiale sur une centrale électrique de cette puissance », souligne EDF.

Centrale de Port Est, à La Réunion (210 MW). Reconversion de la centrale au fioul vers la biomasse.

Les douze moteurs de la centrale, à l’origine alimentés avec du fioul, fonctionnent désormais avec de la biomasse liquide élaborée à partir d’huile de colza. ©EDF PEI

Couvrir 40 % des besoins du département d’outre-mer le plus peuplé (860 000 habitants) en réduisant fortement les émissions de CO2 est une réussite indéniable. Mais, comme les agrocarburants, la biomasse, extraite à partir de colza importé intégralement de l’Hexagone par bateau, est loin d’avoir un bilan écologique neutre. De l’océan Indien à la forêt amazonienne, les chemins vers une énergie décarbonée sont pavés d’obstacles. Y compris en Guyane, région pourtant la plus avancée en la matière, avec 70 % d’électricité d’origine renouvelable, notamment grâce à l’hydroélectricité.

Près de Saint-Laurent-du-Maroni, un projet de centrale solaire couplée à du stockage d’hydrogène (140 hectares) a été stoppé pendant deux ans, face à l’opposition des habitants d’un village amérindien voisin, inquiets de voir leur forêt ancestrale détruite. Les gisements énergétiques ultramarins attisent les appétifs des sociétés privées. Et ces projets (plus ou moins verts) ont aussi un bilan social discutable : la plupart des salariés qui travaillent dans les énergies renouvelables ne bénéficient pas du statut des électriciens et gaziers.

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