Fidèle à son ambition de démocratiser la culture, pour sa 15e édition, le festival le plus franchement populaire de la Croisette cannoise a braqué ses projecteurs sur la jeune création européenne. Et a fait place aux débats, partout, tout le temps.
Depuis vingt ans la CCAS propose, en marge du Festival de Cannes, une programmation cinématographique en lien avec les sujets sociaux et résolument ouverte sur le monde, afin, selon les mots de son président, Nicolas Cano, lors de l’ouverture, de dépasser l’ambition d’une culture « pour tous » pour en faire une culture « avec tous ». Jusqu’à créer, en 2003, le festival Visions sociales, avec le comité d’entreprise des cheminots de la région Paca. Cette année, les programmateurs de Visions sociales, dont on fête la 15e édition, avaient souhaité apporter un éclairage sur la jeune création européenne.
Durant une dizaine de jours, les vacanciers séjournant dans le nid de verdure surplombant la baie de Cannes qu’est le château des mineurs de la Napoule ainsi que tous les amoureux de cinéma de la région ont pu découvrir une vingtaine de films allant de la fiction au documentaire en passant par l’animation, en présence d’une dizaine de réalisateurs, tous disponibles et ouverts à la discussion, à l’image de Stéphane Brizé, le parrain de cette édition 2017.
Un long compagnonnage
Entre le réalisateur de « la Loi du marché » et de « Une vie » – tous deux présentés au public de Visions sociales – et les Activités Sociales de l’énergie, c’est une longue histoire : il y a vingt ans, son premier film, « le Bleu des villes », avait reçu le prix Soleil d’or décerné par un jury composé d’agents EDF à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes. Ce compagnonnage s’est poursuivi en 2005 quand une aide à l’écriture de scénario lui a été attribuée, contribuant à la réalisation de « Je ne suis pas là pour être aimé », avec Patrick Chesnay. Après le succès considérable de « la Loi du marché », pour lequel Vincent Lindon a été récompensé lors de l’édition 2016 du Festival de Cannes, Stéphane Brizé a reçu le prix Louis-Delluc pour son dernier film en date, « Une vie », inspiré de l’œuvre de Maupassant. C’est donc en cinéaste reconnu qu’il revient à la Napoule, mais surtout en cinéphile curieux et assidu, puisqu’il a tenu à voir un maximum de films et s’est montré particulièrement avide de discussions informelles avec les autres spectateurs et les réalisateurs présents avec lesquels il partageait volontiers ses impressions autour d’un café ou lors du déjeuner.
Regarder le monde en face
Parmi les films qui ont suscité le plus de débat, on citera « Suntan » du Grec Argyris Papadimitropoulos (sorti en salles mercredi 31 mai), qui montre le destin tragique de Kostis, médecin accueilli comme le messie sur l’île d’Antiparos où il va passer le temps d’un été du statut de notable à celui de paria, rendu fou par son désir incontrôlable pour Anna, une jeune fille hédoniste et insaisissable. Ce long métrage opposant la fascinante liberté des corps d’un groupe de jeunes touristes à la vision exclusive de l’amour d’un quarantenaire introverti a autant choqué qu’il a pu bouleverser les spectateurs.
« Marija », le premier film de l’Allemand (et un peu Suisse) Michael Koch, a également bousculé l’assistance tant l’instinct de survie et la détermination de son héroïne, une jeune Ukrainienne exilée à Dortmund où elle rêve d’ouvrir un salon de coiffure, la poussent à commettre des actes répréhensibles, trahissant les uns et les autres jusqu’à renier ses propres sentiments. Parviendra-t-elle à se retrouver une fois son but atteint ? La réponse n’est pas dans le film mais cette question est désormais dans l’esprit de chaque spectateur !
Regarder le monde et les autres dans les yeux, et s’en retrouver grandi. Telle est en effet l’expérience qu’ont réalisée les festivaliers, durant les séances de cinéma et en assistant aux débats qui les suivaient, mais aussi lors de la soirée d’ouverture dont le buffet était proposé en échange d’une participation en soutien à l’association Roya citoyenne, qui vient en aide aux migrants à la frontière franco-italienne. Au bar, au restaurant, au bord de la piscine, tout lieu était prétexte à échanger des points de vue sur les films projetés, à se raconter aussi, à témoigner de combats qui ont tous en commun le fait de ne pas renoncer à l’idée que la construction d’un monde plus juste est possible, et que cela dépend de nous.
Lire aussi
Aide aux migrants : la Roya, vallée rebelle
Spectatrices actives et engagées
Aline Benaceur, 31 ans, technicienne d’accueil conseil à la CMCAS Val-de-Marne, a pris très au sérieux son rôle de future ambassadrice du festival auprès des jeunes agents.
« On m’a sollicitée pour participer au festival et transmettre ensuite à mes collègues l’envie de venir aux prochaines éditions. J’ai accepté avec plaisir, car il est très important pour moi que les valeurs de notre entreprise soient connues de tous et surtout des plus jeunes agents. Quoi de plus important que la dignité, la solidarité et la justice ? Quand ces mots s’incarnent dans des films, des rencontres, des échanges comme ici, ça me fait chaud au cœur », confie cette fille d’agent qui s’inscrit dans les pas de sa mère, agente EDF qui a toujours été de tous les combats pour défendre les droits des salariés.
Toute première fois au festival pour Dominique Miñana, retraitée d’EDF, où elle était responsable de la gestion clientèle à Châtellerault, désormais rattachée à la CMCAS Languedoc.
Juchée sur le fauteuil électrique avec lequel elle grimpe à pleine vitesse les raidillons qui mènent au château, elle venait pour la première fois à Visions sociales. Depuis qu’elle ne travaille plus, cette passionnée de théâtre, de peinture et de cinéma qui dévore la vie à pleine dents consacre une grande partie de son temps à militer pour l’inclusion des personnes handicapées dans la société, notamment à travers l’exigence de l’accessibilité. Elle a été particulièrement touchée par le film « Willy 1er« . Ce premier film raconte le parcours d’un homme inadapté de 50 ans qui, sur ces mots : « À Caudebec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains, j’en aurai. Et j’vous emmerde ! », quitte pour la première fois ses parents pour s’installer dans le village voisin. Une émancipation salvatrice qui résonne avec celle de Dominique, dite Mino Dérive : divorcée, militante syndicale à la CGT qui, forte des valeurs transmises par ses grands-parents, républicains espagnols, a résolument choisi sa vie et surtout de « vivre pleinement en lien avec les autres », comme elle le raconte dans son livre « Gribouillis de pensées » (Édilivre, 2014).
Ses photographies ont été projetées chaque jour avant le début des séances, faisant lever une rumeur dans la salle, un peu comme quand on ouvre un album de famille. Sandrine Jousseaume exposait aussi un travail personnel, une série de photos d’identité de femmes d’une même famille, rebrodées au point de croix. Cette série, intitulée « les Pénélopes » interroge la place de la femme dans notre société et s’inscrit dans un travail plus large qui pointe avec une ironie mordante les assignations auxquelles se soumet la gent féminine. Ainsi une rosière factice se retrouve harnachée d’un voile orné de mouches mortes ; de photos de mariage, il ne reste que la robe de l’épousée comme une inquiétante chrysalide dont on ne sait si le papillon a pu s’échapper ou s’il moisit à l’intérieur… Une mise en question fine et revigorante des institutions et des traditions !
Tags: Cinéma Festival Visions sociales